Cette loi pénitentiaire était attendue comme le grand rendez-vous de la France avec ses prisons, comme une étape importante dans l'histoire de la construction de notre démocratie. Le chemin à parcourir pour opérer la transformation du système carcéral était clairement jalonné pour qu'il se conforme enfin aux exigences de l'État de droit.
Il y a près de dix ans, ont été énoncées les conditions indispensables de la réforme à mener. Le législateur devait assumer pleinement ses attributions constitutionnelles en ne laissant pas à l'exécutif le soin de régir, par un droit subordonné et mouvant, le fonctionnement des prisons. Pour mettre fin à l'arbitraire carcéral, la règle de droit devait limiter précisément les pouvoirs de l'administration pénitentiaire. Pour que les rapports entre personnels et détenus ne soient pas la cause d'un surcroît de violences, les règles applicables devaient constituer une référence claire pour tous les membres de la collectivité carcérale. Le statut du détenu devait ensuite être défini en considération de sa pleine appartenance à la nation – c'est-à-dire en le consacrant comme citoyen à part entière, privé de sa seule liberté d'aller et de venir. Le droit pénitentiaire devait enfin s'insérer pleinement dans son environnement juridique, en intégrant la jurisprudence de la Cour européenne.
Suite aux états généraux de la condition pénitentiaire et grâce à l'engagement de notre collègue Robert Badinter, les dix organisations réunies – syndicats de surveillants, de magistrats et d'avocats et associations de défense des droits de l'homme – avaient présenté une série de revendications collectives qui, loin de viser la satisfaction de besoins immédiats et catégoriels, portaient, en miroir des recommandations européennes, aussi bien sur le fonctionnement interne des prisons que sur les orientations d'une politique pénale rationnelle et responsable.
Aux termes de cette déclaration, la loi pénitentiaire devait faire de la prison une sanction de dernier recours, réservée aux auteurs d'infractions les plus graves. Elle devait consacrer le principe selon lequel toute personne dont l'état de santé – physique ou mental – est incompatible avec la détention doit être libérée. Elle devait permettre aux exigences de l'État de droit de s'imposer effectivement, en organisant et en garantissant l'exercice de l'ensemble des droits fondamentaux des personnes détenues – exception faite de la liberté d'aller et de venir. Le pouvoir disciplinaire devait s'exercer dans le respect des principes du procès équitable et n'admettre que des sanctions garantissant le respect de la santé et de la dignité. L'ensemble des services publics devaient investir l'espace carcéral et y assumer pleinement leurs missions. La préparation et l'accompagnement du détenu à la libération devaient être érigés en mission première de l'administration pénitentiaire. La loi devait assurer une transformation de la condition des personnels pénitentiaires.
Les dix points de la déclaration des états généraux sont seuls susceptibles de faire cesser les violations permanentes des droits de l'homme, d'améliorer la condition de tous ceux qui vivent et travaillent en prison et de mieux assurer la sécurité de tous, en faisant preuve de plus d'intelligence dans l'exécution des peines tout en réduisant le recours à l'emprisonnement et la durée des sentences.
Ici, non seulement le compte n'y est pas, mais nous devons redouter l'accentuation de l'exception carcérale qu'induit ce texte de loi. Force est de constater qu'il n'est pas de nature à faire cesser l'arbitraire. Nous sommes invités à voter une simple litanie de voeux pieux concernant le respect des droits fondamentaux et de la dignité, tandis que le véritable droit de la prison s'élabore dans notre dos, au sein des bureaux du ministère de la justice. Alors qu'il nous revenait de définir les restrictions admissibles aux droits des détenus, nous sommes appelés à doter les prisons, par les régimes différenciés, d'un système de droits conditionnés, d'un pouvoir disciplinaire déguisé et sans garde-fou. De même, l'affirmation du rôle des services pénitentiaires dans la protection de la sécurité intérieure du pays n'est qu'un rideau de fumée destiné à masquer le refus d'améliorer la condition des personnels. Enfin, ce texte ne permettra en rien d'enrayer la surpopulation carcérale, phénomène qu'il tente en vain de limiter par un traitement des flux.
Devant une entreprise qui ne vise qu'à expédier une fois pour toutes le débat sur le rôle de la prison, notre groupe ne peut que se dégager de la logique gestionnaire imposée par ce projet, et continuer à faire entendre une autre voix en vue d'opérer les évolutions décisives que commande l'impératif démocratique. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)