On a rappelé cet après-midi que le degré d'évolution d'une société se juge au sort qu'elle réserve aux plus faibles : les mineurs, les handicapés, les fous, les prisonniers. Il est vrai que nos prisons sont, encore aujourd'hui, des lieux où trop de femmes et d'hommes demeurent soumis à des conditions de vie dégradantes et humiliantes. Cette situation est dénoncée depuis longtemps, par exemple dans le remarquable rapport écrit en 2000 par les députés Jacques Floch et Louis Mermaz.
Depuis cette date, les réformes indispensables attendent et les détenus désespèrent. Encore récemment, les états généraux de la condition pénitentiaire avaient invité tous les candidats à l'élection présidentielle à prendre position sur ce sujet. Alors que nous entamons nos travaux, nous devons rappeler les engagements que le Président de la République a pris à cette occasion, en réaffirmant que « la dignité de la condition carcérale devrait être une priorité », et que « la dignité humaine exige cet engagement, mais aussi la protection des victimes, car tout détenu qui sort de prison avec un projet de réinsertion a beaucoup moins de chances de récidiver ». « Le principe de l'encellulement individuel pour toute personne qui le souhaite doit être garanti », ajoutait-il ; « les règles pénitentiaires érigées par le Conseil de l'Europe indiquent les normes considérées comme indispensables. À nous de les appliquer. »
Nous sommes tous d'accord sur le constat fait par le Président de la République. Encore faut-il désormais avancer ! Or nous hésitons trop à le faire, et je me demande si ce n'est pas parce que les femmes et les hommes qui sont en prison sont des pauvres, précaires, exclus. Les milieux populaires et ouvriers y sont surreprésentés, de même que les personnes à la santé mentale fragile, voire très perturbée. En somme, ces gens pèsent peu dans nos sociétés et, de surcroît, n'ont qu'un faible poids électoral.
Aujourd'hui, vous n'avez pas vraiment tranché, dans votre politique pénale, entre deux conceptions : soit la prison est un lieu de garde et de sûreté qui met à l'écart les mauvais pauvres que l'on veut châtier, soit elle est un lieu de réinsertion. Or, force est de constater que, quand une personne sort de prison aussi illettrée ou perturbée que lorsqu'elle y est entrée, et qu'elle est sans argent, sans logement et sans personne pour l'épauler, alors la rechute est fort probable.
Un tel projet de loi et une politique pénitentiaire adéquate exigent que l'on fasse attention aux conditions de détention et que l'on offre des aménagements de peine corrects. Ainsi, on tend la main non seulement à l'homme qui a failli en lui permettant de se racheter, mais aussi aux victimes, en assurant leur sécurité ultérieure.
Aujourd'hui, il me semble que nous devons emprunter résolument la voie de l'aménagement et de la réinsertion. Trop souvent, ce texte et le débat qu'il suscite donnent l'impression que l'on affirme un principe avant de revenir immédiatement sur son application. Ainsi, les fouilles à corps sont humiliantes et dégradantes. Vous dites qu'il faudra y renoncer, mais, aussitôt, vous remettez l'application de ce principe à une date ultérieure. C'est ce type de reculs que nous ne comprenons pas, et que nous n'acceptons pas !
Par ailleurs, comme je l'ai dit en commission, les étrangers sont les grands oubliés de ce projet de loi. Ils constituent pourtant plus de 21 % de la population carcérale, précisément parce qu'ils n'ont pas les garanties de représentation qui permettent d'éviter la détention préventive, ni la possibilité de présenter des plans satisfaisants en vue d'une libération conditionnelle – ne serait-ce que parce que leur situation administrative est souvent devenue un véritable imbroglio au cours de la détention. En outre, s'ils obtiennent une libération conditionnelle, c'est souvent, contrairement à ce que l'on nous avait annoncé en matière de double peine, à la condition de partir. Ils ne peuvent donc pas utiliser la période de détention pour préparer leur réinsertion. Ce sujet est bien absent de votre texte ! Dans ces conditions, l'article 729-2 du code de procédure pénale, qui permet un aménagement de peine, est inapplicable pour les étrangers.
Je conclurai en indiquant que notre rapport sur les centres de détention relève une anomalie dans l'articulation entre détention et rétention. En effet, on attend trop souvent la libération d'un détenu pour enclencher les procédures de reconduite à la frontière.