Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, les débats que nous avons eus en commission – je rappelle les incidents qui les ont émaillés : il n'est pas si commun que le rapporteur et la majorité s'apprêtent à refuser un texte à défaut d'améliorations, lesquelles sont en partie intervenues – ces débats, donc, résument l'incongruité de ce projet de loi, en ce qui concerne tant les modalités qui ont présidé à son élaboration que son contenu même.
L'empressement à supprimer la profession d'avoué et l'absence de démonstration que cela conduirait à une meilleure administration de la justice viennent accentuer l'impression que nous avons affaire à une réforme de circonstance sans justification particulière.
J'ai interpellé à plusieurs reprises votre prédécesseure, madame la ministre, depuis l'annonce de la suppression pure et simple de cette profession. Au-delà de l'absence totale de concertation, et de l'inexistence d'un quelconque impératif européen, j'avais dénoncé l'absence de prise en considération des conséquences de cette suppression sur la situation des avoués et de leur personnel. J'avais aussi constaté la faiblesse de la démonstration des effets réels de ce projet en termes d'améliorations pour le justiciable.
Même si je reconnais une écoute plus attentive de votre part que de celle de votre prédécesseure, je ne peux me satisfaire des quelques propositions que le Gouvernement a présentées, et ce d'autant moins qu'elles dépendent de la loi de finances, dont nous ne disposons pas de tous les éléments au moment où nous parlons.
L'État supprime une profession ; il doit en prendre la totale responsabilité, tant au niveau des avoués et de leurs salariés que de celui des justiciables.
Pour les avoués, il est de votre devoir non seulement de rembourser totalement la valeur de leur office mais aussi de les indemniser pour réparation du préjudice subi par la suppression de leur charge.
Pour les salariés d'avoués, nous n'avons pas adopté l'article 14, et nous attendons de votre part une proposition qui permette à l'État d'assumer pleinement sa responsabilité, tant au niveau de l'indemnisation des licenciements que pour le reclassement. Certes, des avancées ont été réalisées in extremis, mais pour les salariés ayant le moins d'ancienneté, les progrès sont seulement de quelques mois d'indemnisation supplémentaires, ce qui n'est pas du tout suffisant.
Actuellement, nous ne disposons donc pas d'éléments satisfaisants. On ne peut prendre pour argument, comme l'a fait le collègue qui m'a précédé, le fait que « les temps ont changé » pour justifier le refus d'une indemnisation équivalente à celle accordée dans des situations similaires plus anciennes.
En outre, nous promettre des ouvertures de postes au niveau des juridictions reste sans effet réel et revient à nous demander de signer un chèque en blanc sur l'avenir de ces personnes, sans aucune garantie.
Enfin, je doute que l'accès des justiciables à la procédure d'appel soit amélioré, non seulement pendant la période de transition mais aussi lorsque la réforme sera réalisée, à moins, comme l'a remarqué notre collègue Dominique Perben, membre de la majorité, que vous ayez prévu de « recruter des magistrats et des greffiers supplémentaires ».
Dois-je vous rappeler, madame la garde des sceaux, les chiffres de votre ministère, selon lesquels le taux d'appel en matière civile et commerciale est grandement inférieur au taux d'appel en matière sociale parce que les avoués régulent et filtrent les procédures dans ces domaines ? Selon les mêmes sources, les délais moyens d'évacuation des appels pris en charge par les avoués sont moins longs de huit mois en moyenne.
De même, le fait que le tarif de postulation disparaisse ne garantit absolument pas une baisse des frais de justice, alors que celle-ci sera plus longue à être rendue. Les honoraires libres et non réglementés des avocats et les « frais obligatoires » sous-entendus dans votre texte sont de nature à augmenter le coût de la procédure d'appel, pourtant déjà dissuasif, notamment pour ceux qui ne bénéficient pas de l'aide juridictionnelle.
En conclusion, madame la garde des sceaux, ce texte n'est pas suffisamment abouti, sa mise en oeuvre n'est pas urgente, les solutions qu'il propose ne sont à ce stade pas satisfaisantes et dépendent trop de la loi de finances. Il n'est pas envisageable de voter aujourd'hui sur la base de propositions susceptibles de ne pas être suivies d'effet dans le cadre des arbitrages financiers que nous devons rendre. Il est urgent d'attendre et de se prononcer une fois que vous aurez inscrit au budget l'ensemble des garanties financières a minima qui doivent accompagner cette loi.
Par respect pour tous ces salariés, dont je rappelle qu'il s'agit en majorité de femmes, nous demandons toutes ces clarifications. En attendant, nous voterons contre votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)