Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens, en préambule, à remercier M. le rapporteur d'avoir communiqué un chiffre qui, à lui seul, devrait susciter notre plus grande prudence : notre pays compte aujourd'hui 4,5 salariés par avoué contre seulement 0,8 par avocat. C'est dire que, même dans le contexte économique le plus favorable, même avec les salariés les mieux qualifiés sur le marché de l'emploi et même avec la meilleure volonté du monde, nous ne parviendrions pas à reclasser l'ensemble des 1 852 salariés qui travaillent aujourd'hui auprès des avoués.
Nul n'est besoin de trop s'attarder sur le contexte que chacun connaît et les quelque 600 000 chômeurs supplémentaires que notre économie aura créés tout au long de l'année 2009. Il est néanmoins certain que cela ne va guère inciter les avoués à se reconvertir dans le métier d'avocat, d'autant que 41 % d'entre eux auront plus de cinquante-cinq ans en 2010 et qu'il leur faudra compter au mieux trois à quatre années avant de se bâtir une clientèle. C'est donc peu dire, madame la garde des sceaux, que toutes les personnes concernées – les avoués et leurs salariés – s'interrogent sur le sens inouï du timing qui vous conduit à envisager précisément aujourd'hui une réforme, certes annoncée de longue date, mais qui a toutes les chances de se transformer en gouffre social.
Cette perspective est d'autant plus certaine que les populations concernées comptent parmi les plus fragiles en termes de réinsertion sur le marché de l'emploi. L'étude d'impact social réalisée par l'IDDEM est à ce propos particulièrement instructive : 90 % de ces salariés sont des femmes qui, pour 55 % d'entre elles, ont un niveau de qualification inférieur ou égal au bac. Elles ont, en réalité, appris sur le tas un métier qu'elles occupent en moyenne depuis plus de quinze ans, voire depuis plus de trente ans pour près de 15 % d'entre elles, et 48 % n'ont jamais, je dis bien jamais, exercé aucune autre profession que celle que vous proposez aujourd'hui de supprimer. Disons-le simplement, la majorité de ces salariées n'aspirait qu'à achever sereinement leur carrière au sein de leur étude, où leur degré d'expérience et de compétence leur garantissait un revenu assez nettement supérieur à ce que le marché du travail semble aujourd'hui à même de leur proposer.
C'est donc un véritable séisme professionnel, social et psychologique qui s'annonce pour ces femmes que j'ai reçues à ma permanence villeurbannaise et que je tiens aujourd'hui à saluer pour la dignité et responsabilité qui est la leur depuis que l'examen de ce texte est annoncé.
Au fond, jamais elles n'auront tenté d'arrêter un train dont elles sentent bien qu'il devait passer tôt ou tard, et leurs revendications n'ont rien d'extravagant. Elles demandent simplement l'égalité des droits et la même considération que celle accordée en pareille situation par exemple aux salariés des commissaires priseurs. Nous reconnaissons vos efforts, madame la ministre, mais une partie d'entre elles seront confrontées au chômage. Je vous rappelle que le taux de chômage des femmes dans notre pays est élevé, plus élevé que celui des hommes. C'est pourquoi d'ailleurs je suis très sensible à leur situation.
J'en viens à mon dernier point : la mauvaise volonté manifeste dont votre gouvernement a fait preuve face à l'enjeu de l'accompagnement social de ces salariées. Sur le calcul des indemnités – cela s'est arrangé mais il y aurait encore beaucoup d'efforts à faire –, sur les possibilités de départ à la retraite, les passerelles entre professions, la garantie des emprunts contractés, l'aide à la reprise ou à la création d'entreprise, peu des préoccupations exprimées par les salariées, hélas, ont été prises en considération.
Les députés de l'opposition mais aussi de la majorité, et votre propre rapporteur, ont déposé à ces sujets des amendements tombant sous le coup de l'article 40 mais ayant pour but d'attirer votre attention sur ces manquements manifestes.
Ces mesures de justice sociale coûtent bien évidemment de l'argent, à l'heure où votre gouvernement a laissé filer les déficits et s'apprête à y ajouter aujourd'hui 900 millions d'euros. Si vous n'avez pas les moyens, si vous ne voulez pas vous donner les moyens d'offrir à chaque salarié dont vous allez supprimer l'emploi une existence digne et une chance significative de rebondir, alors ne faites pas cette réforme, et n'attendez pas des députés socialistes, alors que chaque jour apporte son écot de plans sociaux, qu'ils votent un projet de loi qui supprimerait directement 1 000 ou 1 500 emplois supplémentaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)