Pourtant, la suppression de leur emploi sera la conséquence directe d'une décision gouvernementale. Cette perte d'emploi sera d'autant plus traumatisante qu'elle ne sera pas la conséquence d'une faute de leur part. Ils devront changer de métier, avec ce que cela implique, à un certain âge et après une longue expérience, comme perte de repères familiers de travail et comme angoisse.
Leur indemnisation, telle que la prévoyait initialement l'article 14, est une insulte. Quant à leurs possibilités de reclassement, le projet de loi n'aborde même pas ce point. Pour l'indemnisation de leur licenciement économique, le texte prévoyait le double du montant légal fixé par le code du travail, soit, pour un salarié ayant quarante années d'ancienneté, quatorze mois de salaire !
Devant l'iniquité de cette disposition et la colère qu'elle a suscitée, le Gouvernement a revu sa copie, mais l'effort consenti reste décevant, et d'ores et déjà les salariés ont fait connaître leur déception, notamment tous ceux – c'est la majorité – qui ne justifient pas d'une très grande ancienneté et qui seront licenciés.
Concernant leur reconversion professionnelle, le projet de loi est muet. N'escomptons pas que l'ensemble des employés puisse se reconvertir dans les cabinets d'avocats. D'abord parce que le marché est saturé et que cette saturation a été aggravée par la suppression des tribunaux décidée dans le cadre de la carte judiciaire. Ensuite parce que la composition salariale d'une étude d'avoués diffère de celle d'un cabinet d'avocats. Le ratio de salariés par avoué s'élève à 4,95, contre 0,8 pour un avocat.
Or qu'a prévu le Gouvernement pour leur devenir professionnel ? Rien, sinon « un plan de reclassement » qui les mènera de stages en emplois précaires. Le seul engagement concret pris par la nouvelle garde des sceaux, est l'ouverture, dans le projet de budget pour 2010, d'environ 380 emplois qui seront réservés dans les juridictions aux salariés venant des études d'avoués. C'est mieux, mais largement insuffisant et insatisfaisant puisqu'il restera 1 500 salariés qui auront beaucoup de difficultés à retrouver un emploi équivalant à celui que vous leur avez supprimé.
Pourquoi une telle distorsion entre les mesures prévues pour les avoués et celles prévues pour leurs employés? Je souhaite que le Gouvernement réponde à cette question. Ce souhait devrait devenir une exigence de la représentation nationale ; mais en avons-nous encore le pouvoir ? Ligotés par l'article 40, nous sommes empêchés de proposer les amendements que nous aurions pourtant voulu mettre en débat. Le rapporteur lui-même l'a regretté puisque plusieurs de ses amendements se sont vu réserver le triste sort de tomber sous le coup de l'article 40.
Nous aurions par exemple proposé de revoir l'indemnité de licenciement prévue par l'article 14, ce que le Gouvernement a été contraint de faire sans aller jusqu'à ce qui a été consenti aux salariés des commissaires priseurs.
Nous aurions proposé que l'indemnité de fin de carrière soit versée aux salariés des avoués, bien qu'ils ne puissent pas finir leur carrière au sein d'une étude d'avoué, comme ils l'auraient pourtant souhaité.
Nous aurions proposé que les licenciements réalisés depuis l'annonce de la réforme puissent être pris en considération et que les salariés démissionnaires, du fait et depuis l'annonce de la réforme, puissent bénéficier de ces indemnités.
Nous aurions demandé la mise en place d'un système de préretraite pour les salariés de plus de cinquante-cinq ans.
Nous aurions aussi proposé la mise en oeuvre du congé de reclassement tel que défini par les articles L.1233-71 à L.1233-76 et R. 1223-17 à R.1233-36 du code du travail.
Nous aurions déposé un amendement visant à une compensation temporaire de la baisse de rémunération dans l'éventualité où un salarié accepterait un emploi moins bien rémunéré, en vertu des articles R.5123-9 et suivants du code du travail.
Nous aurions proposé de voter l'attribution d'une enveloppe budgétaire d'aide à la mobilité géographique, ainsi qu'à la création d'entreprise et à la reconversion des salariés pour des formations qualifiantes.
Nous aurions également demandé une garantie de la Caisse des dépôts et consignations pour les emprunts immobiliers souscrits sans assurance chômage.
Si nous disposions d'un réel pouvoir législatif, voilà ce que nous aurions pu mettre en débat. Ces amendements n'auraient peut-être pas tous été adoptés, mais ils auraient au moins été discutés. Non : nous ne pouvons, malheureusement, que nous en remettre au Gouvernement pour qu'il répare le préjudice subi par les salariés de son fait, en leur donnant les moyens d'une vraie reconversion professionnelle.
Je terminerai cette intervention par un point qui n'est pas mis en avant par le Gouvernement. Dans l'exposé des motifs, un des arguments censé convaincre de l'utilité de cette réforme est l'économie qu'elle présenterait pour les justiciables, car elle réduirait le coût de l'accès à la justice en appel. Pourtant, c'est bien le justiciable qui financera le coût de cette réforme.