Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'ai l'honneur de présenter cette motion de renvoi en commission sur un texte dont tout le monde s'accorde à reconnaître le caractère inopportun, mal préparé, réducteur, bref, inutile et insatisfaisant.
Il ne m'appartient pas de me prononcer sur les motivations véritables du Gouvernement lorsque ce projet de loi a été mis en chantier, mais je veux d'ores et déjà stigmatiser l'absence de calme, de concertation et de discussions qui a présidé au premier contact entre la chancellerie et les professions d'avoués et de salariés d'avoués.
Aujourd'hui, ce texte suscite les plus grandes inquiétudes de la part de l'ensemble des professionnels concernés. Il entraîne des conséquences sociales pour l'avenir de 2 500 personnes, et des conséquences financières qui nous apparaissent aujourd'hui manifestement insupportables pour l'État, à moins, comme le prévoyait le projet de loi initial, que l'on ne veuille spolier une catégorie socioprofessionnelle qui exerçait ses activités sous forme libérale, mais dont l'intervention a permis au service public de la justice de fonctionner normalement jusqu'à ce jour.
Je veux critiquer la genèse de ce projet de loi et la hâte, voire la sauvagerie, avec laquelle la chancellerie a cru pouvoir imposer sa façon de penser. Je parle, madame la garde des sceaux, d'une période aujourd'hui révolue, et je salue au passage le sens de la négociation et de la concertation dont vous faites preuve aujourd'hui.
Il n'en reste pas moins qu'un certain nombre de reproches demeurent justifiés. Je rappelle, tout d'abord, qu'aucune étude d'impact n'avait été prévue. Ce n'est que parce que la chambre nationale des avoués est intervenue que le projet de loi est finalement précédé de ce document prévu par la loi organique relative à l'application de l'article 39 de la Constitution.
Cette étude d'impact, rédigée à la hâte par les services de la chancellerie, est loin de présenter les garanties d'objectivité et d'exhaustivité que l'on était en droit d'attendre avant l'examen d'un texte qui, dans un contexte fortement marqué par la progression du chômage, supprime 235 entreprises et l'emploi de 1 800 salariés. Du reste, elle fit l'objet, dès sa publication, d'une critique sévère, mais objective, de la chambre nationale des avoués près les cours d'appel, qui a rappelé certaines vérités, que je cite très rapidement et qui sont au nombre de huit.
Cette étude d'impact dénature le champ réel de l'activité des avoués, en mettant l'accent sur des possibilités offertes par la réglementation qui n'ont jamais été mises en oeuvre par les avoués.
Elle laisse entendre à tort que les revenus des avoués ont fortement progressé à partir de 2003 du fait de la forte réévaluation du tarif, ce qui ne correspond en rien à la réalité.
Elle justifie le principe de la réforme non seulement par la nécessité de moderniser la justice et de faciliter l'accès au juge d'appel, mais aussi par les exigences posées par le droit européen, ce qui est tout à fait erroné.
La réforme ne rendra pas l'accès au juge moins coûteux et plus simple pour la majorité des justiciables, dont les plus modestes.
La programmation d'une période transitoire de un an, prétendument à l'avantage des avoués, est totalement insuffisante pour permettre à ces derniers de se reconvertir dans la profession d'avocat et de tenter de se constituer une clientèle, sachant qu'ils devront, au cours de la même année 2010, poursuivre leur activité et liquider leurs études.
Loin d'améliorer le fonctionnement de la justice d'appel, la réforme proposée par le Gouvernement risque, du fait du calendrier retenu, de désorganiser totalement le fonctionnement des cours d'appel, dès lors que la plupart des avocats se trouveront dans l'incapacité de communiquer leurs dossiers d'appel dans les formes requises à partir du 1er janvier 2011.
S'agissant des avoués, l'indemnisation prévue par le projet de loi, qui se limitait – puisque ce point a fait l'objet d'amendements – à la prise en compte de 66 %, dans un premier temps, puis de 92 % de la valeur du droit de présentation des études, méconnaissait tant les exigences constitutionnelles que les conventions internationales signées par la France. Je reviendrai sur l'indemnisation à hauteur de 100 % proposée aujourd'hui.
Alors que la suppression de leur emploi serait la conséquence directe d'une décision de l'État, les salariés des études d'avoués et leurs instances professionnelles se voient proposer une indemnisation et des possibilités de reclassement manifestement insuffisantes.
Ces critiques adressées à l'étude d'impact par les professionnels sont aujourd'hui avérées et demeurent d'actualité. Entre-temps et pendant de nombreux mois, plus aucun contact n'a été pris par la chancellerie avec les professionnels, bien que Mme Rachida Dati, alors ministre de la justice, ait annoncé, non sans une certaine brutalité, la suppression de la profession d'avoué à compter du 1er janvier 2010, dans le cadre d'un projet de réforme visant à simplifier l'accès à la justice en appel.
À ce moment-là, différents mouvements furent organisés par les professionnels concernés par cette étrange mesure et les premières questions commencèrent à être posées par les parlementaires, toutes origines politiques confondues. L'essentiel de ces questions consistait à rappeler que, au moment où notre pays traverse une crise sociale et économique sans précédent, il paraît inopportun qu'une telle réforme, dont le coût social et budgétaire est évident, soit ainsi menée dans l'urgence.
C'est dans ces conditions de rapidité absolue et d'impréparation manifeste que le projet de loi portant fusion des professions d'avocat et d'avoué près des cours d'appels était déposé au mois de juin 2009 devant la commission des lois. Il était in fine rappelé que, pour faciliter la transition professionnelle des avoués, la fusion interviendrait au 1er janvier 2011, tout en laissant la possibilité à ces derniers d'exercer simultanément la profession d'avocat dès le 1er janvier 2010. Il était également rappelé, avec une délicatesse non feinte, que, puisqu'il convenait que le fonctionnement des cours d'appel ne soit pas affecté par l'extension à tous les avocats de leur ressort de la faculté de s'adresser à elles, l'introduction de l'instance par voie électronique devant ces juridictions serait rendue obligatoire par voie réglementaire. Or rien n'est dit sur les moyens affectés à la mise en oeuvre réelle de cette généralisation de l'instance par voie électronique.
Tel est donc le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis et dont le groupe SRC demande le renvoi en commission.
Avant d'examiner les risques – car il s'agit bien de risques – qu'entraînerait l'application immédiate de ce texte, dont l'impréparation a été dénoncée par tous, je voudrais souligner un point particulier, qui est loin d'être neutre et négligeable.
Si le fondement de la décision de supprimer les avoués était bien, comme cela a été dit, la diminution des coûts de justice, le groupe auquel j'appartiens aurait pu être sensible à l'argumentation. Hélas, il n'en est rien. En effet, on s'aperçoit que les seules personnes satisfaites de cette disparition programmée des avoués sont les avocats – et il ne s'agit pas ici pour moi de renier la profession à laquelle j'ai appartenu pendant près de trente ans –, lesquels viennent d'indiquer très clairement qu'ils souhaitaient que les tarifs de la postulation soient revus et qu'une rémunération spécifique soit appliquée pour la postulation devant la cour d'appel.