La libéralisation des honoraires conduira mécaniquement à une flambée des tarifs. Ce fut le cas avec les commissaires-priseurs dont les honoraires ont augmenté de près de 80 % à la suite d'une réforme comparable. En outre, le financement de la réforme pèsera exclusivement sur les justiciables, alors qu'elle est censée leur profiter.
Les indemnisations versées aux avoués comme à leurs salariés seront en effet financées par une taxe payée par les justiciables. On nous dit que le projet de budget en fixera le montant. Mais ni l'assiette ni le taux de cette taxe ne sont connus. Nous avons entendu parler de 88 euros, puis de 350 euros. Jusqu'où ira-t-on ? Nous ne le savons pas. Ce que nous savons, c'est qui paiera.
Finalement, c'est l'État qui retire tous les bénéfices cette affaire : en fiscalisant la plus-value résultant de la suppression des offices pour fait du prince, il va prélever un impôt sur les avoués expropriés, et il fait supporter aux justiciables, en fait aux seuls appelants, la charge de l'indemnisation, puisque c'est une taxe qu'ils paieront qui abondera le fonds d'indemnisation. Ainsi le coût de cette réforme commode pour le Gouvernement sera supporté par les justiciables.
Au surplus, cette décision risque de porter atteinte aux droits de la défense. Derrière cette réforme, se cache en réalité la volonté d'écarter la présence de l'avocat devant le magistrat. Allons-nous vers la conduite interactive du procès ? Allons-nous vers des audiences par vidéoconférence ? L'hypothèse a été envisagée, mais les articles 432 et suivants du code de procédure civile attestent toujours l'importance de la parole. On ne saurait, au nom de l'efficacité et de la modernité, recourir à une technique vidéo au risque de déshumaniser le procès.
L'exposé des motifs du projet de loi sacrifie à cette modernité techniciste sans prendre conscience de ses limites. Quid de la présence du plaideur qui veut entendre et voir son procès ? Ce n'est pas l'ordinateur qui plaidera, c'est l'être humain. Il faut juger les affaires humaines, humainement, tout en conjuguant les moyens nouveaux et les relations interpersonnelles, relevait à juste titre le professeur Croze dans un récent article.
La disparition de l'avoué préfigure une réforme beaucoup plus profonde, au nom d'une prétendue efficacité dans l'organisation, qui laisserait de côté d'abord ceux qui instrumentalisent la procédure, puis les plaideurs, et enfin le justiciable.
C'est là une nouvelle illustration de la crise qui affecte la production de lois. Parce que le Gouvernement est sommé de faire vite, parce que la consultation et la réflexion sont à ses yeux une pure perte de temps, les projets de loi sont votés à la chaîne et nourrissent une inflation législative qui dissimule mal la réalité : l'action de ce Gouvernement est inefficace. Non seulement l'objectif affiché ne sera pas atteint, mais l'application de cette loi provoquera de nombreux dysfonctionnements du service public de la justice, sans compter qu'elle ouvre la voie à une atteinte beaucoup plus profonde aux droits du justiciable.
Pour toutes ces raisons, je vous appelle à voter la motion de rejet préalable. Notre responsabilité de représentants de la nation nous impose de penser la loi et, en conséquence, de refuser d'enregistrer la volonté capricieuse de l'exécutif. Je crains, hélas, que la logique du fait majoritaire ne l'emporte encore une fois sur cet impérieux devoir. Au moins l'opposition aura-t-elle joué son rôle en exhortant la majorité à ne pas méconnaître les principes de valeur constitutionnelle qui sont les fondements de notre République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)