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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 6 octobre 2009 à 15h00
Fusion des professions d'avocat et d'avoué — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'ai l'honneur de défendre à cette tribune la motion de rejet préalable sur le projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel. Initialement intitulé « projet de loi portant fusion des professions d'avocat et d'avoué près les cours d'appel », ce texte ne fait en réalité qu'évoluer en rhétorique, Mme Dati ayant déclaré, le 10 juin 2008, vouloir supprimer la profession des avoués pour le 1er janvier 2010.

Le Gouvernement justifie cette décision, d'une part, par « la volonté d'achever cette réforme pour moderniser la justice et pour assurer le respect par la France de ses engagements européens » et, d'autre part, suite à « plusieurs rapports et notamment celui de la commission pour la libération de la croissance française présidée par M. Attali, et celui de la commission présidée par Maître Jean-Michel Darrois, consacré aux professions du droit », qui « ont mis en lumière la nécessité de simplifier la démarche du justiciable et de réduire le coût du procès en appel ».

Louable ambition, mais piètre méthode !

L'argument de la transposition de la directive « services » est irrecevable. Celle-ci ne pose en effet aucune obligation de réforme de la profession d'avoué. Son objet est simple : il s'agit d'assurer la libre prestation des services dans l'Union européenne. De nombreuses analyses viennent contredire l'interprétation que fait le Gouvernement de la directive « services ». M. le rapporteur lui-même est incapable de trancher la question. Les enjeux sont donc ailleurs.

Par cette motion, j'entends démontrer que le texte présenté en l'état par le Gouvernement n'est ni opportun ni conforme à nos principes constitutionnels.

Les défaillances de ce texte ne sont pas étrangères à ses conditions d'élaboration. Obsédé par l'idée de faire vite, on oublie de faire bien. C'est devenu la marque de fabrique de ce gouvernement. Comme l'écrit Guy Carcassonne, « alors que Jean Foyer adjurait de ne légiférer que d'une main tremblante, le législateur tremble, certes, mais d'excitation et d'impatience ». Encore une fois, la précipitation l'emporte sur la raison. Cela mérite d'être rappelé : quand la loi est bâclée, elle n'exprime plus la volonté générale conformément à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Nous le savons, la profession d'avoué recèle des situations très nuancées selon les cours. Des voix se sont élevées pour contester le principe même de leur charge, tant du côté des justiciables que du côté de la magistrature ou des avocats. Une réforme était devenue inéluctable, d'autant que tout le monde s'accorde pour dire qu'il faut réformer la procédure civile. Postulation, représentation devant les cours, dématérialisation des procédures, tout cela doit être abordé.

Ce n'est donc nullement le principe même de la réforme de la représentation devant les cours d'appel que je viens contester à cette tribune. Ce sont les conditions dans lesquelles cette réforme a été menée. Une telle réforme aurait pu, aurait dû s'inscrire dans le cadre d'une réflexion globale sur le service public de la justice. L'intérêt des justiciables et le respect des droits des avoués et de leurs salariés : tels sont les deux objectifs que le Gouvernement n'aurait jamais dû perdre de vue.

Une telle réforme aurait pu, aurait dû être menée après une phase de concertation. Il eût été nécessaire de procéder à des consultations préalables plus importantes, de recueillir les avis éclairés des professionnels concernés, des salariés et des justiciables. Jamais nos lois ne sont plus efficaces que lorsque leurs destinataires sont associés à leur élaboration !

Le Gouvernement a fait le choix d'entreprendre cette réforme de manière mesquine et étriquée. Au final, c'est non seulement la qualité du service public de la justice qui est condamnée à en pâtir, mais le sort des avoués et de leurs salariés qui est ici gravement négligé.

Brutal, irréfléchi, ce projet, s'il était adopté, créerait davantage de problèmes qu'il n'apporterait de solutions. Monsieur le rapporteur, vous l'avez vous-même reconnu au terme de votre intervention en commission des lois pour relever que, en l'état, vous ne le voteriez pas. Cet aveu, pour peu commun qu'il soit venant d'un parlementaire de la majorité, n'en démontre pas moins l'absence de préparation de ce texte. Pour preuve : nous prenons connaissance, en commençant notre débat, de nouvelles dispositions qui concernent l'avenir de 2 500 personnes !

L'enjeu n'est pas des moindres, madame la ministre : il s'agit, ni plus ni moins, de la suppression d'une profession. Cette suppression affecterait non seulement les avoués, mais aussi leurs nombreux collaborateurs et salariés, condamnés à se reconvertir vers d'autres métiers. In fine, cette suppression affecterait la qualité du service public de la justice, et donc les justiciables.

Parlons des avoués qui subiront, du fait de cette loi, de nombreux préjudices. Il s'agit en effet d'envisager la suppression pure et simple d'une profession dont l'origine remonte à l'article 91 de la loi du 28 avril 1816. Les avoués à la cour, comme tous les officiers ministériels, sont cessionnaires du droit de créance de leurs prédécesseurs, dès lors que ce dernier a contracté un emprunt auprès des titulaires de charges et que cet emprunt se renouvelle à chaque mutation dans la personne de ces titulaires. Même si ce droit de présentation fut rapidement critiqué, le ministre des finances déclarait à l'occasion de la discussion du budget de 1838 que « de tous les sacrifices que les malheurs du temps ont forcé de faire en 1816, il n'en est pas de plus onéreux, de plus funeste, que celui qui a créé la vénalité des charges et amené les conséquences que tout le monde déplore, et le Gouvernement plus que qui que ce soit ». Vous verrez que ces propos sont d'une grande actualité deux siècles plus tard.

En 1835, dans son traité de droit public et administratif, le professeur Foucart relevait que « les conséquences de la loi de 1816 sont très difficiles à réparer, car les titulaires des charges ont traité sous la garantie de la loi, et il n'est pas possible de leur enlever sans indemnité le droit qu'elle leur assure ». Et d'ajouter : « Ce ne serait qu'autant que la prospérité financière de la France lui permettrait de rembourser le prix des charges, qu'on pourrait abolir le droit de présentation. »

Ce rappel historique étant fait, on peut se demander si la situation a changé. Le droit à indemnisation ne peut être contesté. Il a été scrupuleusement respecté dans l'histoire récente des officiers ministériels, chaque fois que l'État a entrepris une réforme visant à supprimer une profession ou à modifier ses conditions d'exercice.

Le premier préjudice subi par les avoués est lié à la privation de leur droit de présentation. Parce que la loi fera baisser la valeur économique de leurs offices, ils subiront une atteinte au droit de propriété. Ce sera le cas des jeunes avoués qui se sont endettés pour acheter une charge dont ils se retrouveront dépossédés, et auxquels on ne proposera de rembourser que le capital restant dû.

En 2005, lors de la réforme de la profession de commissaire-priseur, le Conseil d'État a considéré que « la dépréciation de la valeur pécuniaire de leur droit de présentation résultant […] de la suppression par la loi du 10 juillet 2000 de leur monopole, porte atteinte à un droit patrimonial ». C'est aussi la position de la Cour européenne des droits de l'homme, qui estime que le droit de propriété a une portée autonome ne se limitant pas à la propriété des biens corporels. Enfin, dans sa décision n° 2000-440 concernant les courtiers et les conducteurs de navire, le Conseil constitutionnel a considéré que la suppression d'une profession devait être compensée par une indemnisation suffisante et par l'existence de possibilités de reclassement.

Le préjudice patrimonial résulte de la perte par l'officier ministériel de son droit à présenter un successeur, laquelle entraîne la disparition de l'office et place celui qui en était titulaire dans l'impossibilité d'exercer sa profession. Contrairement à ce que prétendent le rapport Attali et le Gouvernement, il s'agit de la perte de la totalité d'un bien – et non seulement de ses deux tiers ou de 92 % –, dont la valeur doit encore être discutée. Voilà qui donnera du grain à moudre au Conseil constitutionnel et qui pourrait bien grever le budget de l'État.

Le Conseil d'État a certes apporté quelques nuances dans son arrêt du 19 novembre 2004, mais les limites acceptées par la Haute Juridiction seront-elles tolérées par les juges constitutionnels ou par ceux de Strasbourg ? Le risque qu'une telle disposition soit censurée est bien réel.

Un office est un bien incorporel, dont la valeur ne se réduit pas à celle du droit de présentation. Cet impératif qui, formulé dans d'autres termes, a contribué à faire échouer la réforme de Maupeou sur les Parlements, ne peut être méconnu ni en droit européen ni en droit interne. Son coût sera supporté par l'État – c'est-à-dire, concrètement, par les citoyens constituant le monde des justiciables actuels et potentiels – après le détour d'une taxe nouvelle sur les affaires civiles, grâce au financement des fonds d'indemnisation.

Le Gouvernement a certes prévu de dédommager les avoués de la privation de leur droit de présentation, mais cette indemnisation préalable est-elle suffisante, autrement dit est-elle « juste » au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? Nous ne le pensons pas.

Le second préjudice que subiront les avoués, le préjudice de carrière, n'est pas davantage contestable. L'adoption du projet de loi les contraindrait à repartir de zéro. Si le texte leur offre la possibilité d'exercer la profession d'avocat, la brutalité de la réforme induira une concurrence déloyale entre les avocats, qui disposent de leur clientèle, et les avoués fraîchement reconvertis, qui mettront entre trois et cinq ans pour s'en constituer une. Il est en effet prouvé que celle des avoués procède quasi exclusivement – à 94,6 % selon les chiffres établis à partir des constats d'huissier opérés à la demande de la profession – des avocats eux-mêmes, prescripteurs à la cour d'appel. Moins de 10 % de leur chiffre d'affaires vient d'une clientèle propre, puisque les affaires hors monopole en représentent moins de 1 % du total et que les dossiers sans avocat ne constituent que 5,4 % des affaires traitées dans le cadre de la représentation obligatoire. Ainsi, la mise en concurrence risque d'être fatale à de nombreuses études d'avoués. Or le projet de loi ne prévoit pas d'indemniser ce préjudice.

Si le préjudice économique de carrière, dit aussi perte de chance, peut répondre à la notion de « bien » au sens européen, il relève en tout état de cause et, à défaut, de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, soit sur le fondement de la responsabilité de l'État pour faute, soit sur celui de la responsabilité sans faute du fait de la loi.

Par ailleurs, la suppression brutale de la profession aura un effet direct sur l'emploi de celles et ceux qui collaborent au sein des études d'avoués. Des milliers d'emplois se trouvent ainsi menacés. L'étude d'impact présentée par le Gouvernement admet que le licenciement d'une part importante de ces 1 850 salariés sera inévitable. Ce sont à 90 % des femmes, d'une moyenne d'âge de quarante-trois ans. Leur niveau de qualification est faible, puisque leur compétence a souvent été acquise à l'intérieur même de l'étude.

Selon le rapport Copé sur les professions du droit, « ces salariés sont donc presque certains de ne pas pouvoir être embauchés par des avocats ou des notaires et de se retrouver au chômage ». Ce qui les attend n'est donc qu'un licenciement économique du fait de la loi. Voilà quelle mesure que le Gouvernement projette de nous faire voter, au coeur d'une grave crise économique qui frappe durement les professions du droit – les notaires n'ont-ils pas abondamment licencié, ces derniers temps ?

Il revenait au législateur de fixer les modalités de calcul des indemnités de licenciement et surtout de mettre en place un accompagnement des salariés licenciés. Pourquoi, dans la version soumise à la commission des lois, le projet reste-t-il largement en deçà des dispositions de loi du 10 juillet 2000 relative aux commissaires-priseurs et à leurs salariés ? Son article 49 prévoit que, « en cas de licenciement économique pour motif économique survenant en conséquence directe de l'entrée en vigueur de la présente loi, les indemnités de licenciement dues par les commissaires-priseurs sont calculées à raison d'un mois de salaire par année d'ancienneté dans la profession dans la limite de trente mois », et ce pour tous les salariés, sans distinction d'âge ni d'emploi. Pourquoi faire moins aujourd'hui ?

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