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Intervention de Régis Juanico

Réunion du 28 septembre 2009 à 15h00
Vote électronique pour les élections au conseil des établissements publics à caractère culturel scientifique et professionnel — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico :

Madame la ministre, monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi 1824 " tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère culturel, scientifique et professionnel".

Ce texte a été déposé sur le bureau de notre assemblée le 8 juillet dernier par M. Arnaud Robinet, aujourd'hui rapporteur, et 38 de ses collègues UMP.

Peut-on encore parler de proposition de loi ?

Depuis notre réunion en commission cet après-midi, ce texte n'a plus d'origine parlementaire que dans son nom. Comme l'a très bien expliqué à l'instant le président Didier Migaud, injustement mis en cause du côté droit de cet hémicycle, deux des trois articles de la proposition de loi ont été supprimés par la commission des finances en vertu de l'application de l'article 40, comme l'y autorise le nouveau règlement de l'Assemblée nationale, que vous avez voté, mes chers collègues de l'UMP. Le texte a donc été fort logiquement vidé de son contenu.

C'était compter sans l'intervention in extremis de la ministre de l'enseignement supérieur, jusqu'ici peu diserte sur son soutien à la proposition de loi, et qui a repris à son compte sous forme d'amendements gouvernementaux ces deux principaux articles.

Les masques sont tombés! Mi-projet de loi, mi- proposition de loi, il serait plus juste de parler d'un projet de loi d'origine parlementaire, ce que j'appellerais volontiers un OPNI, objet parlementaire non identifié.

Les déboires de ce texte laborieux auront au moins fait le bonheur de Jean-François Copé, qui voit enfin son idée de coproduction législative se concrétiser. Ayons une petite pensée pour lui.

Le parcours de ce texte a beau avoir été laborieux, il n'en fut pas moins fulgurant.

Si l'on prend en compte l'interruption des travaux parlementaires pendant le mois d'août, il aura mis moins de cinq semaines pour être inscrit à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée, qui plus est dans le cadre d'une session extraordinaire. C'est un record dans l'histoire de la Ve République !

Les organisations étudiantes et les personnalités que vous avez auditionnées il y a quelques jours, monsieur le rapporteur, vous ont toutes fait part de leur surprise et de leur perplexité face à la célérité du calendrier d'examen de ce texte « express » dont personne n'était vraiment demandeur, à part à l'UMP, au Gouvernement ou chez des experts proches du Gouvernement.

La question de la démocratie étudiante n'est pas nouvelle et elle a fait l'objet de discussions entre les ministres successifs et les organisations concernées depuis quatre ans. Que ce soit avec Luc Ferry en 2005, dans le cadre de la préparation de la loi LRU de 2007 ou bien même au sein du groupe de travail sur la vie étudiante mis en place l'an dernier par vous-même, madame la ministre, à aucun moment la question du vote électronique n'a été évoquée par les principaux acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche directement concernés.

Nous nous interrogeons également sur l'opportunité d'examiner aujourd'hui ce texte. N'y avait-il pas d'autres priorités politiques à inscrire à l'agenda de notre assemblée ? Dans le contexte de crise économique et sociale que nous traversons, nous aurions pu consacrer cette soirée à l'emploi, au pouvoir d'achat ou aux bonus des traders.

Les députés du groupe UMP manquent-ils à ce point d'idées ?

Ce texte apparaît surtout complètement décalé par rapport aux préoccupations des étudiants, du monde de l'enseignement supérieur et de la recherche, au moment même de la rentrée universitaire.

Alors que le nombre d'inscrits à l'université a baissé de 10% en cinq ans, que le début de l'année a été marqué par un mouvement de mobilisation sans précédent ayant touché la quasi-totalité des universités pendant près de quatre mois, nous aurions pu revenir utilement sur les raisons de cette mobilisation, à commencer par les 900 suppressions d'emplois dans l'enseignement supérieur en 2009, ainsi que vos décrets, madame la ministre, sur le statut des enseignants-chercheurs et le recrutement des enseignants.

Deux ans après l'adoption de la loi « libertés et responsabilités des universités », qui était au coeur de ce mouvement, nous aurions pu profiter de cette discussion pour faire ensemble un bilan lucide de l'application de la loi LRU, contre laquelle, je le rappelle, nous avons voté en juillet 2007.

Nous aurions pu discuter du 1er cycle et de l'échec du plan licence, appliqué dans seulement 30% des universités, des 10 000 étudiants qui verront leur bourse baisser cette année, de l'amélioration de la vie étudiante – le rythme de construction ou de rénovation des logements étudiants est encore trop faible – ou de l'accompagnement financier des universités laissées pour compte du plan Campus.

A la veille des annonces du président de la République sur la question de la jeunesse, le Parlement aurait pu faire preuve d'initiative en proposant, par exemple, un texte sur la création d'une allocation d'autonomie pour les étudiants.

Je maintiens les propos que j'ai tenus en commission : par rapport à toutes ces questions fondamentales pour l'enseignement supérieur et la recherche, celle du vote électronique est franchement anecdotique et je m'étonne que la seule réponse politique de l'UMP au mouvement de contestation des réformes de Mme Pécresse soit le vote électronique. C'est un peu court, vous en conviendrez.

La rapidité avec laquelle nous examinons ce texte, son improvisation la plus totale, le forcing politique dont il fait l'objet le rendent du coup suspect. Le groupe SRC s'interroge sur les réelles intentions du groupe UMP et de la ministre : y aurait-il derrière ce texte des motivations inavouables ?

S'agirait-il de faire oublier une autre initiative parlementaire malheureuse du même groupe UMP, déposée quelques semaines avant celle-ci, la proposition de loi 1746 tendant à sanctionner le blocage des universités par la convocation d'une assemblée générale et un vote à bulletin secret, les étudiant se rendant coupables d'entrave pouvant à ce titre être sanctionnés d'une amende de 1000 euros ? Même si les signataires ne sont pas les mêmes et appartiennent dans leur grande majorité à la frange la moins progressiste de l'UMP, on voit quel intérêt vous auriez à donner des gages à ces parlementaires les plus radicaux avec un texte de diversion et d'attente sur le vote électronique.

Pour en savoir plus sur les intentions réelles de l'UMP et de la ministre, il faut peut-être se référer à un article du Figaro – journal dont la lecture est toujours instructive – paru le 24 septembre, au titre évocateur, « La bataille contre les votes truqués est lancée ». On y apprend qu'une participation en hausse diminuerait vraisemblablement le poids des syndicats de gauche et d'extrême gauche dans les conseils universitaires, et par conséquent leur légitimité et leur influence, en particulier lors des grèves et des blocages des facultés.

À moins – motif inavouable – qu'il ne s'agisse pour la ministre de se protéger, en faisant peser une épée de Damoclès sur les organisations syndicales afin de les dissuader, au moins jusqu'aux élections régionales de mars 2010 en Île-de-France, auxquelles elle est candidate, de relancer dans les universités une mobilisation qui pourrait la gêner dans sa campagne. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Improvisation, précipitation, approximations, imprécisions et absence de concertation approfondie : cette proposition de loi, qui n'en est plus une, est un texte bâclé et c'est, pour notre groupe, un premier motif de rejet préalable.

Mais il existe également au moins quatre raisons de fond de voter le rejet préalable de ce texte.

Tout d'abord, contrairement à ce que démontrerait votre étude – qui sort d'on ne sait où –, le coût du vote électronique n'est pas inférieur à celui du vote papier.

Selon le rapporteur, l'organisation considérable du processus électoral conduit à gaspiller une grande quantité de papier. Pourtant, il réclame également, à la fin de son rapport – et nous sommes d'accord avec lui sur ce point –, la généralisation de l'envoi des professions de foi par courrier aux étudiants. Sur ce sujet, il ne faut pas faire preuve de démagogie : la démocratie a un prix, un coût, que la collectivité doit assumer. Quant au souci du respect de l'environnement et du développement durable, également invoqué par le rapporteur, je rappelle que l'électronique n'est pas vraiment écologique.

S'agissant des éventuelles économies financières réalisées, l'audition de la représentante de la Commission nationale de l'informatique et des libertés a été tout à fait instructive. Celle-ci a en effet rappelé qu'il serait nécessaire que chaque initiative de vote électronique fasse l'objet d'un examen préalable par un expert indépendant, ajoutant que l'argument de l'économie budgétaire était surprenant, puisque les garanties démocratiques du vote ne sauraient être réduites et qu'un système de vote électronique nécessitait un personnel spécialisé et nombreux tout au long du processus de vote.

Selon Chantal Enguehard, professeur à l'université de Nantes, « l'apparente simplicité du vote par internet – pour les électeurs – masque une complexification des opérations électorales : mise à disposition de serveurs informatiques, mobilisation de nombreuses personnes qualifiées pour l'installation, les tests et les éventuelles corrections des programmes, et de la gestion du système de vote, qui nécessite l'organisation d'une astreinte technique durant toute la période du vote, sans compter les coûts de sécurisation des envois postaux pour les identifiants et les mots de passe, qui doivent être envoyés par recommandé avec accusé de réception si l'on veut éviter les possibilités de fraudes ». Bref, le seul gain obtenu par le vote électronique n'est pas financier : c'est un gain de temps au moment du dépouillement.

Ensuite, la mise en place du vote électronique dans les EPSCP se heurte à des difficultés techniques et pratiques considérables, à commencer par l'insuffisance de l'équipement informatique des universités.

Je sais qu'un plan numérique va être lancé, madame la ministre, mais je vous rappelle que, pour le moment, un tiers seulement des universités disposent d'un espace numérique de travail et que, contrairement à ce que vous avez affirmé rapidement tout à l'heure, la majorité des étudiants ne possèdent pas un ordinateur connecté à internet – avec des inégalités très fortes entre filières et étudiants, le taux d'équipement en médecine et dans les sciences dures, par exemple, n'ayant rien à voir avec celui des étudiants en sciences humaines. Il s'agit d'un premier obstacle majeur.

En outre, sous une apparence de simplicité, le vote électronique pose, ainsi que l'a bien démontré l'APRIL – l'Association pour la promotion et la recherche en informatique libre –, des problèmes techniques aigus, qu'il s'agisse de l'interopérabilité des formats ouverts, de l'accessibilité ou de la neutralité technologique vis-à-vis de l'électeur concerné. Sur ce sujet, je vous renvoie à un excellent article de M. Pierre Cros.

Ainsi, lors des élections prud'homales à Paris, des problèmes de fiabilité sont apparus. Le choix de la CGT, par exemple, n'était pas possible sous navigateur Firefox.

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