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Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 22 septembre 2009 à 15h00
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélie Filippetti :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « le temps du monde fini commence », nous avait prévenus Paul Valéry. Monsieur le ministre, vous auriez dû prendre en compte ce monde qui vient dans la préparation de la loi qui va sans doute être votée dans quelques minutes.

Que va-t-elle changer ? Rien. Que reste-t-il à faire pour adapter le droit d'auteur à l'univers numérique ? Tout.

Plaçons-nous, si vous le voulez bien, dans quelques mois, lorsque la Haute autorité sera installée et aura déjà envoyé des dizaines de milliers de courriers électroniques à nos concitoyens. Le « pari », qu'a évoqué Christine Albanel à propos de cette loi qu'elle a eu temps de mal à porter et qui lui coûta si cher, sera perdu à grands frais pour les finances publiques.

Plaçons-nous même, de votre point de vue, dans la meilleure des situations et admettons que 80 % de nos concitoyens, traqués par la HADOPI, cesseront de télécharger. Ces 80 % ne représenteront vraisemblablement que 20 % des téléchargements non soumis au droit d'auteur. Les 20 % de téléchargeurs restants, responsables de 80 % des téléchargements, auront simplement contourné l'usine à gaz technico-administrative que vous avez inventée.

Monsieur le ministre, les solutions techniques de contournement sont connues et à la disposition de tous. J'en citerai deux.

La première est l'anonymisation de la connexion par le biais de sites créés à cet effet, dont vous assurez le succès grâce à ce projet de loi, ou par l'utilisation de logiciels dédiés – je pense notamment au logiciel Tor accessible gratuitement.

La seconde solution technique de contournement, simple, utilise le chiffrement des données échangées, lequel empêchera toute identification des quelques oeuvres suivies, rendant ainsi inefficace, et donc inutile, HADOPI en un clic de souris. Je passerai, monsieur le ministre, sur les funestes conséquences qu'aura ce passage aux échanges chiffrés pour la lutte que mènent les pouvoirs publics contre la cybercriminalité. Une des conséquences indirectes de cette loi sera en effet de rendre beaucoup plus délicat le travail des enquêteurs et des forces de l'ordre.

Toutefois, il y a techniquement plus fort : rien n'empêchera en effet un contrevenant sommé par la HADOPI d'installer un logiciel espion sur son ordinateur, d'en utiliser un autre, installé sur un réseau privé virtuel, muni éventuellement d'un système d'exploitation différent et d'une adresse MAC aléatoire, afin de poursuivre paisiblement son activité de téléchargement sans être détecté par le mouchard public.

Comment identifierez-vous ces flux ? Vous ne le pourrez pas. Dans ce cas également, l'efficacité de la HADOPI sera parfaitement illusoire.

Monsieur le ministre, si cette loi met fin aux dispositifs archaïques anti-copie en préservant, dans une proportion minimale, les conditions normales d'utilisation des oeuvres par le consommateur, elle ne règle pas la question réelle du droit d'auteur à l'ère numérique. Le mode de rémunération des créateurs reste à trouver.

Vous avez cité Pascal, à mon tour de le faire : « La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique ».

Monsieur le ministre, vous n'aurez pas les moyens techniques d'appliquer cette loi et votre justice sera impuissante. Vous sanctionnerez des internautes sans être en mesure de prouver qu'ils sont effectivement responsables. Votre force sera donc tyrannique. Ce n'est pas par la peur du gendarme et au moyen d'une usine à gaz que nous réglerons la question du droit d'auteur, mais grâce à l'émergence d'un nouveau modèle économique associant artistes et internautes, c'est-à-dire toutes les parties concernées, et fondé sur une contribution créative associée à des budgets publics massifs de soutien à la création, comme le préconise Joseph Stiglitz, qu'a cité Patrick Bloche.

Ce travail qui reste à faire aurait dû être entrepris bien avant que de bâtir une loi inutile et inapplicable. Nous regrettons que tel n'ait pas été le cas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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