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Intervention de Martine Billard

Réunion du 22 septembre 2009 à 15h00
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, après cet énième épisode du feuilleton consacré aux droits d'auteurs, nous avons le sentiment de n'avoir pas beaucoup avancé depuis la loi DADVSI. Nous avons entendu des promesses que le Gouvernement avait déjà faites à l'époque. Il avait alors promis, juré, que, après l'étape répressive de la loi DADVSI, il y aurait un développement de l'offre payante sur internet. Quatre ans plus tard, il réitère la même promesse : comprenez que nous ayons quelques doutes sur ce sujet. Les ministres de la culture se sont succédé, mais leurs promesses toujours identiques sont restées lettres mortes.

Après les cafouillages de la loi HADOPI 1, censurée par le Conseil constitutionnel, vous pensez clore aujourd'hui la série HADOPI 2. Toutefois, la question de l'inconstitutionnalité de HADOPI 2, que nous avons soulevée en juillet, se pose encore, de même, malheureusement, que les questions de la rémunération des artistes et du financement de la création, puisque votre dispositif n'apporte pas un centime de plus en ces matières.

Plutôt que d'annoncer déjà HADOPI 3 – ce qui résonne comme un aveu de l'indigence du projet de loi dont la navette parlementaire s'achève –, il serait grand temps de réconcilier artistes, internautes et fournisseurs d'accès, en réunissant tous les acteurs des cultures numériques autour d'une table, et de ne pas se contenter de ne parler qu'à ceux qui ont les faveurs de l'Élysée – je n'évoquerai pas à nouveau la commission des trois.

Monsieur le ministre, obstination n'est pas raison. Que le Président de la République tienne tant à satisfaire ses promesses aux multinationales de la communication et du divertissement – comme il l'a rappelé dans son discours de Versailles, le 22 juin – ne légitime en rien la grave atteinte à la neutralité des réseaux en oeuvre dans le dispositif HADOPI.

L'obstination d'un petit cercle d'élites du monde politique et des industries culturelles ne donne pas raison à cette loi HADOPI 2 dont le but est, ni plus ni moins, de passer outre, de façon scandaleuse, la censure décidée par le Conseil constitutionnel le 10 juin 2009.

En effet, vous piétinez l'esprit des principes énoncés par le juge constitutionnel, en réintroduisant à l'article 3 la suspension de la connexion à internet pour une durée pouvant atteindre un an, que vous transformez en peine complémentaire au prononcé d'une peine d'amende ou de prison, par le subterfuge de l'ordonnance pénale.

Pis encore, à l'article 3 bis, vous rétablissez la présomption de culpabilité de l'internaute, en créant une contravention pour les abonnés qui n'auraient pas suffisamment contrôlé leur accès à internet et permis ainsi un téléchargement illégal. Un abonné pourra donc voir sa connexion suspendue en raison d'actes illicites de tiers.

La décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009, après la saisine des députés de l'opposition, a sévèrement censuré la volonté gouvernementale d'accorder à une simple autorité administrative le droit de sanctionner les internautes. Le juge judiciaire doit donc être chargé de prononcer d'éventuelles sanctions, notamment la suspension de l'abonnement. Vous aviez pourtant été avertis de l'inconstitutionnalité du dispositif que vous proposiez, non seulement par l'opposition, mais aussi par des députés de votre propre majorité. Cela n'empêchait toutefois ni la ministre ni l'UMP de nous répondre qu'ils n'étaient pas inquiets ; ils auraient visiblement dû l'être un peu plus.

Le Conseil constitutionnel considère que la liberté de communication et d'expression implique aujourd'hui, « eu égard au développement généralisé d'internet et à son importance pour la participation à la vie démocratique et à l'expression des idées et des opinions », la liberté d'accéder à ces services de communication au public en ligne. Pour notre part, nous l'avions dit et répété, notamment en nous appuyant sur les votes réitérés du Parlement européen que votre majorité a pris de si haut en affirmant, à plusieurs reprises, que l'accès à internet n'était pas un droit fondamental.

Pour le groupe GDR, cette prise de position très claire du Conseil constitutionnel consacre l'importance d'internet dans notre société à un moment où plusieurs pays, comme l'Iran ou la Chine, ne rêvent que de le corseter.

Le Conseil constitutionnel a également précisé en juin dernier, dans un communiqué de presse, que « le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les titulaires du droit d'auteur. Ces pouvoirs ne peuvent incomber qu'au juge. »

Cette décision est claire : en matière de sanctions, il ne peut y avoir de délégation de compétence au profit de l'HADOPI. La Haute autorité devra donc se contenter de transmettre à la justice des dossiers relatifs à des délits présumés. « Cette autorité ne dispose plus que d'un rôle préalable à une procédure judiciaire », indique clairement la décision du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, s'agissant de la présomption d'innocence et du constat de la matérialité de l'infraction, le Conseil constitutionnel a rappelé que, en droit français « c'est la présomption d'innocence qui prime » et que, « en vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ». Ainsi, toute personne poursuivie pour une infraction ne peut être considérée comme coupable avant d'avoir été jugée comme telle. Il en résulte qu'il ne saurait exister en matière pénale de « présomption de culpabilité » ni, en conséquence, de sanctions privatives de droits avant une décision de justice.

Qu'en est-il de ces principes dans le projet de loi HADOPI 2, sur lequel nous avons tenté, une nouvelle fois en juillet dernier, de vous ramener à la raison ? Certes HADOPI 2 rend à la justice ce que la loi HADOPI 1 lui avait volé, mais c'est pour prévoir aussitôt des dispositions tout aussi critiquables.

Ainsi, le fichier des FAI n'est plus national, mais les informations devront être transmises, sous une forme peu précise dans le texte, aux sociétés de perception des droits. Le délit de non-sécurisation de l'accès à internet a été réintroduit. Des dispositions relatives à la suspension de la connexion à internet, censurées par le Conseil constitutionnel, ont été réinsérées. Enfin, le système de « l'ordonnance pénale », écarté lors de l'examen du projet de loi sur la simplification du droit, est abusivement introduit dans le domaine du droit d'auteur.

Confrontés à la question délicate du droit d'auteur et à la difficulté technique de prouver les infractions, vous brandissez la massue de la justice d'abattage en recourant à une procédure jusqu'alors applicable aux contraventions au code de la route, pour lesquelles l'existence matérielle des actes est simple à établir et difficilement discutable.

Après que la décision du Conseil constitutionnel vous a mis dans l'obligation de déférer les faits incriminés devant une instance judiciaire, l'ordonnance pénale constitue votre solution pour maintenir une justice expéditive. Mais, dans cette adaptation d'une procédure écrite, le fait que, à aucun moment, la personne mise en cause ne soit entendue par l'autorité judiciaire tourne le dos à un principe essentiel de notre droit.

De plus, une cour à juge unique rendra justice sur la base de faits presque exclusivement établis par la seule HADOPI, alors que, contrairement à ce qui a été dit en commission par le rapporteur, les agents de la HADOPI ne peuvent être assimilés à des officiers de police judiciaire, car ils n'ont pas – et c'est heureux – de pouvoirs de perquisition qui leur permettraient d'établir les faits avec plus de précision que la simple transmission par les sociétés d'ayants droit d'adresses IP relevées lors d'échanges peer-to-peer.

Rapide et sans publicité, le recours systématisé à la procédure de l'ordonnance pénale porte atteinte à la qualité de la justice en raison de particularités qui ne sont pas sans conséquences. Vous créez aussi une exception dans l'exception, puisque l'ordonnance pénale exclut habituellement la possibilité de réclamer des dommages et intérêts. En permettant que soient demandés des dommages et intérêts dans le cadre spécifique de la procédure d'ordonnance pénale pour les atteintes au droit d'auteur, vous créez un monstre juridique. Vous ajoutez une nouvelle peine aux quatre qui préexistent déjà : la coupure de la connexion, le maintien du paiement de l'abonnement et les amendes et peines de prison.

Dans HADOPI 2, le renversement de la charge de la preuve réapparaît, ce qui revient à réintroduire la présomption de culpabilité à l'égard du titulaire de l'accès à internet. Vous avez pourtant été contraints d'accepter, en commission, de modifier la rédaction de l'article 1er afin de préciser que vous visiez des « faits susceptibles de constituer des infractions » et non d'« infractions ».

Malgré votre obstination à nier la réalité technique de l'internet depuis le début des débats sur HADOPI, les faits sont implacablement têtus. Le seul relevé d'adresses IP, sans saisie de l'ordinateur de l'abonné, conduit à 30 % ou 40 % de faux positifs. Ce sera donc au titulaire de la connexion de prouver qu'il n'a pas commis l'infraction qui lui est reprochée. Cela constitue d'autant plus une violation du droit de la défense que la personne mise en cause ne sera pas obligatoirement consultée pour présenter ses observations.

L'infraction de négligence est prévue dans un décret qui viserait à punir le titulaire d'un abonnement à internet qui aurait « laissé par négligence, au moyen de son accès à internet, un tiers commettre une des infractions ». Il s'agit d'une atteinte évidente au principe de la présomption d'innocence.

En conclusion de ce feuilleton HADOPI 2 – qui ne s'achèvera, en fait, que lorsque le Conseil constitutionnel rendra sa décision, après la nouvelle saisine que l'opposition déposera dès que le texte de la CMP aura été adopté –, il nous faut une nouvelle fois dénoncer l'hypocrisie de ce projet de loi. Il n'a pas pour objectif d'empêcher le téléchargement sans respect des droits d'auteur de toutes les oeuvres circulant sur internet.

En fait, ce texte a pour unique objet de protéger les intérêts de quelques auteurs parmi les plus connus, et ceux des sociétés produisant ces derniers et commercialisant leurs oeuvres. Ses dispositions créent ainsi des inégalités de traitement parmi les auteurs et créateurs. Le projet HADOPI recherche la protection des droits patrimoniaux pour ceux qui en perçoivent le plus, mais il oublie la protection du droit moral des auteurs, comme l'a très bien montré votre obstination à refuser la protection des licences libres telle que Creative commons. Vous excluez d'ailleurs toujours de réfléchir à une autre solution, comme celle de la contribution créative, pour vous arc-bouter sur un modèle impossible.

Finalement, la grande majorité des auteurs ne verront rien venir, si ce n'est le mirage de la répression censée endiguer, comme la loi DADVSI, une technologie du xxie siècle, à partir d'une réflexion du xxe siècle.

En conséquence, les députés communistes, Verts, du Parti de gauche et ultra-marins du groupe GDR se prononcent contre les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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