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Intervention de Philippe Josse

Réunion du 6 mai 2008 à 17h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Josse :

a souligné que le Gouvernement a décidé de présenter un budget triennal pour les années 2009-2011, ce qui fait suite au deuxième rapport Lambert-Migaud sur la mise en oeuvre de la LOLF, qui préconise une programmation pluriannuelle déclinée chaque année dans la loi de finances et à l'annonce, au cours du débat d'orientation budgétaire, en juin dernier, du ministre Éric Woerth, d'une programmation détaillée des dépenses. Il a rappelé également les travaux du Conseil d'orientation des finances publiques et le rapport de Gilles Carrez sur les conséquences du vieillissement de la population qui évoquent cette piste pour améliorer la gouvernance des finances publiques. La mise en oeuvre concrète de la pluriannualité s'est faite en trois étapes : une circulaire du Premier ministre en octobre liant la révision générale des politiques publiques – RGPP – et la budgétisation pluriannuelle, puis une décision du Conseil de modernisation des politiques publiques de décembre, à propos de laquelle le Président de la République a indiqué qu'elle mettrait la France « au standard des pays européens » – en particulier le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Suède – ; enfin, le lancement de la phase de programmation budgétaire avec une circulaire du Premier ministre de février dernier, qui confirme le principe d'un budget triennal et la programmation par mission.

L'architecture du budget pluriannuel repose sur neuf piliers.

Premièrement, la programmation portera sur l'ensemble des dépenses de l'État, c'est-à-dire les crédits du budget général, mais aussi les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales, comme c'est le cas depuis le projet de loi de finances pour 2008.

Deuxièmement, la maille de programmation sera la mission. Elle se révèle un bon compromis entre logique politique – c'est sur elle que débat et vote le Parlement – et logique de gestion – la mission a un champ suffisamment large pour que les ministres responsables puissent amortir d'éventuels chocs, donc que le principe d'auto-assurance puisse jouer. Ce choix implique quelques ajustements de la nomenclature de façon à pouvoir appliquer le principe de responsabilité.

Troisièmement, la programmation se déclinera tant en autorisations d'engagement – AE – qu'en crédits de paiement – CP. Un plafond sera défini sur chacune des trois années de la programmation.

Quatrièmement, une programmation triennale semble la plus pertinente. À moins de trois ans, on est trop proche de l'annualité, et, au-delà, l'incertitude l'emporte sur la capacité à prévoir. Elle sera non glissante mais, au sein de la période, le degré de fermeté de la programmation diminuera entre l'année n+1, l'année n+2 et l'année n+3.

Cinquièmement, la programmation devra intégrer les réformes de la RGPP. L'un des grands intérêts de la programmation, c'est bien la visibilité accrue qu'elle donne pour mettre en oeuvre les réformes.

Sixièmement, le principe d'auto-assurance est retenu au niveau de la mission. En contrepartie de leur engagement sur des plafonds pour chacune des missions pour une durée de trois ans, les gestionnaires doivent pouvoir absorber des chocs éventuels, afin de respecter les trajectoires programmées. Toutefois, il convient de prévoir une réserve de budgétisation pour la deuxième et la troisième année, au moyen d'une enveloppe de crédits non répartis initialement.

Septièmement, et ce point est particulièrement important aujourd'hui, la programmation pluriannuelle peut se faire à LOLF constante. L'autorisation annuelle donnée par le Parlement ne sera en rien modifiée dans sa consistance et sa portée. Le Gouvernement s'oblige seulement à présenter un projet de loi de finances – PLF – conforme à la programmation qu'il a proposée, mais le Parlement dispose. Cela conforte le choix de la mission comme maille de la programmation puisque, dans ce cadre, le Parlement a le pouvoir de basculer des crédits d'un programme à l'autre.

Huitièmement, un ajustement de la maquette budgétaire sera nécessaire, pour clarifier les périmètres de responsabilité.

Neuvièmement, deux vecteurs sont possibles pour porter la pluriannualité. Une première option, a minima, consiste à présenter, lors du débat d'orientation budgétaire, la trajectoire des AE et des CP pour chacune des trois années ; la seconde à voter une loi de programmation des finances publiques qui contiendra notamment la trajectoire pluriannuelle de chacune des missions, mais aussi une trajectoire globale en recettes et en dépenses sur l'ensemble du périmètre des administrations publiques.

Le plafond global du budget de l'État, pour chacune des trois années serait déterminé en fonction d'une norme d'évolution définie par le Gouvernement. Pour 2008, l'enveloppe est fixée à 341 milliards d'euros. Si, à titre de simple exemple, l'évolution restait la même d'une année sur l'autre, à savoir plus 5 milliards d'euros, elle serait ainsi de 346 milliards en 2009, de 351 milliards en 2010 et de 356 milliards en 2011. Les missions, quant à elles, seraient budgétées de manière ferme pour les années n+1 et n+2 et, pour la troisième année, 2011, les chiffres seraient révisables. Au niveau des programmes, pour la première année, c'est-à-dire 2009, les chiffres seraient fixés, la répartition n'étant qu'indicative pour les deux années suivantes. Ainsi, le degré de fermeté de la programmation varierait selon la taille des unités qui composent le budget de l'État, plus ferme pour les missions que pour les programmes.

Pour ce qui est de la chronologie, au cours de l'année n, soit 2008, l'année n+1 fera l'objet d'un projet de loi de finances ordinaire, les crédits des missions de l'année n+2 seront fixés, ainsi que ceux de l'année n+3. Au cours de l'année n+1, en 2009, on se contentera d'affermir, pour l'année 2010, la répartition par programme des enveloppes fixées par mission l'année précédente. La préparation du PLF pour 2010 sera plus légère puisqu'elle ne consistera qu'à préciser la ventilation par programme, l'enveloppe de chacune des missions restant fixe. En revanche, l'année n+3, c'est-à-dire en 2011, on révisera la dernière année de la programmation initiale et on ajoutera deux nouvelles années, et ainsi de suite. On parle d'un système « 2+1 » car, tous les deux ans, on recommence une programmation triennale complète. Ce modèle ressemble beaucoup à ce que font nos voisins britanniques.

La programmation suppose la prise en compte des aléas, autrement dit une réserve de budgétisation, non pas pour l'année n+1, c'est-à-dire 2009, mais pour les deux suivantes. Et cette réserve ira en augmentant puisque le risque s'accroît avec le temps. Elle doit servir non pas à rouvrir des négociations budgétaires annuelles – sinon, on n'aurait pas beaucoup avancé – mais à couvrir les cas de force majeure, c'est-à-dire les événements ayant un caractère d'irrésistibilité, d'extériorité et d'imprévisibilité, comme l'augmentation de la charge de la dette. Les dépenses n'ayant pas un caractère obligatoire relèveront quant à elles du principe d'auto-assurance et seront donc financées dans l'enveloppe des crédits des missions dont elles relèvent.

Quels sont les bénéfices à attendre de cette nouvelle architecture et quelles sont les conditions de son succès ?

Elle permettra d'abord de généraliser des éléments de pluriannualité qui sont encore insuffisants, tels que la budgétisation en autorisations d'engagement ou les programmes de stabilité, transmis à l'Union européenne. Les contrats pluriannuels entre le ministère des Finances et certains ministères, ou directions, couvrent un champ trop étroit. Quant aux lois de programmation, outre leur caractère sectoriel, elles prévoient surtout des augmentations de moyens. Or il est paradoxal de donner davantage de visibilité à des gestionnaires dont la situation est plus confortable qu'à ceux qui gèrent des crédits stables ou en réduction. Par ailleurs, tous ces éléments conduisent à rigidifier le budget de l'État, au détriment de la politique budgétaire.

Ainsi, plus de 30 % des dépenses du budget général sont totalement contraintes, au moins à court terme, comme la charge de la dette, les pensions, la mission Pouvoirs publics ou les régimes spéciaux de retraite. Par ailleurs, un petit quart du budget général fait aujourd'hui l'objet d'une programmation, puisque les lois de programmation couvrent 18 % du budget et les contrats avec les ministères, 5 %. La masse salariale représente environ la moitié de ce qui n'est pas couvert par ces deux premiers ensembles, si bien que les 24 % résiduels constituent le volant, somme toute, réduit, sur lequel peut jouer la politique budgétaire annuelle. Les marges de manoeuvre et les capacités d'ajustement sont donc limitées. Généraliser la pluriannualité budgétaire permettrait d'activer près de 70 % des crédits, ce qui constituerait un progrès très important pour la gouvernance des finances publiques.

Ensuite, la pluriannualité améliorerait la visibilité, que tous les gestionnaires appellent de leurs voeux. L'engagement pluriannuel du Gouvernement sur les missions peut se décliner sur les programmes, les budgets opérationnels de programme ou les contrats passés avec les opérateurs. Bien structurer le cadre global d'évolution du budget de l'État aurait ainsi l'avantage de stabiliser l'environnement de certains acteurs microéconomiques et de faciliter leur gestion.

Une telle réforme implique une évolution de la nomenclature des trente-quatre missions et des programmes. Le principe de responsabilité suppose de définir de véritables périmètres de responsabilité, ce qui signifie moins de missions interministérielles. Ensuite, l'auto-assurance ne peut fonctionner qu'avec des masses budgétaires significatives, supérieures à un milliard d'euros. Or les missions sont de tailles très hétérogènes. La maquette budgétaire est une coproduction de l'exécutif et du législatif et son évolution devra se faire en utilisant les rapports spéciaux et pour avis, en concertation étroite avec les commissions des Finances des deux assemblées. Comme la LOLF l'impose, au moment du débat d'orientation budgétaire, le Parlement pourra exprimer son avis sur les modifications qui lui seront fournies à titre indicatif.

L'état des lieux révèle que les onze missions interministérielles représentent 136 milliards d'euros, soit près de 50 % des crédits du budget général, dont certaines, comme l'enseignement scolaire, la défense, la recherche et l'enseignement supérieur, sont très importantes. Quelques-unes d'entre elles ne pourraient-elles pas être « ministérialisées », à l'instar de la mission Sécurité au sein de laquelle la gendarmerie, relevant du ministère de la Défense, a été basculée sous l'autorité gestionnaire du ministère de l'Intérieur ? Cela permettrait de faire coïncider la responsabilité politique et la responsabilité gestionnaire. Cette évolution, les parlementaires l'avaient réclamée, elle a été réalisée – et de façon heureuse – pour la Sécurité. Elle est possible quand le leadership d'un ministère émerge naturellement.

Par ailleurs, les missions du budget général sont extraordinairement hétérogènes quant à leur taille. Les missions regroupant moins d'un milliard d'euros représentent en nombre un tiers des missions, mais à peine plus de 2,5 % des crédits. Elles n'ont sans doute pas la taille critique nécessaire pour pratiquer l'auto-assurance. Si celles qui ont une signification politique forte doivent subsister, il y a des marges de regroupement pour former des ensembles plus pertinents sur le plan budgétaire, et même sur le plan politique dans la mesure où le pouvoir de déplacer des crédits d'un programme à un autre s'exerce d'autant plus facilement que la mission qui les regroupe est plus vaste. En relevant le seuil à 5 milliards d'euros, on obtient deux tiers des missions et à peine plus de 10 % des crédits. C'est dire la disparité de la taille des missions.

Cette disparité est tout aussi frappante s'agissant de la nature des crédits gérés dans le cadre de ces missions. Il y a relativement peu de missions qui combinent à la fois des dépenses de personnel, des dépenses d'intervention et des dépenses d'investissement. Elles ne sont donc pas toutes armées de la même manière pour affronter les chocs qui seront d'autant plus aisément amortis que les crédits seront plus diversifiés. Cette typologie est intéressante pour contribuer au débat.

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