Monsieur Carrez, la régulation est une cause qui m'est chère, et je ne saurais perdre une occasion de la faire avancer. En son sein, il faut cependant distinguer celle qui concerne les paradis fiscaux, évoqués par MM. Brard et Perruchot, et celle dont a parlé M. Muet, touchant les produits dérivés et la titrisation. Dans les deux cas, il me paraît clair que ce qui peut être fait doit être fait. Sur ce sujet, je considère que le Président de la République française a raison, et j'espère que des résultats pourront être obtenus au G20. J'avais d'ailleurs dit il y a quelque temps à propos des paradis fiscaux qu'il fallait les « attaquer à la dynamite ». Mais là encore, il faut faire une distinction. Il y a les paradis fiscaux comme le Liechtenstein, Monaco ou le Luxembourg, qui permettent l'évasion fiscale ; mais il y a aussi ceux que l'on a des motifs plus grands encore de combattre car ils permettent le blanchiment de l'argent de la drogue, ou de celui provenant du commerce des armes ou de trafics comme la traite des femmes… Quand je parle de dynamite, je vise surtout les seconds ! Le moyen dont on dispose, à condition d'un accord international suffisamment large, c'est de les menacer de cesser toute relation bancaire.
Au-delà des paradis fiscaux, il faut se préoccuper des centres off-shore ainsi que du problème des hedge funds. D'une façon générale, je considère qu'il faut faire avancer la régulation, sous toutes ses formes. Mais il faut être conscient que cela prend du temps : en matière de régulation bancaire, le Forum de stabilité financière, le FSF, a fixé de grandes orientations ; encore faut-il les traduire en réglementations, lesquelles doivent être adoptées par chaque pays. Même si le fait d'aller dans cette direction peut contribuer à redonner confiance, ce qui est important dans la situation que nous connaissons, il ne faut pas se tromper de priorité : l'urgence, aujourd'hui, c'est de combattre la crise. Les progrès de la régulation pourront empêcher le développement d'une nouvelle crise, mais ils ne sauraient résoudre celle-ci.
Pour revenir aux États-Unis, je veux tout d'abord préciser les capacités de surveillance dont dispose le FMI. Au-delà de la surveillance obligatoire des pays membres qui est imposée par l'article IV des statuts, a été instituée il y a une dizaine d'années la procédure des FSAPs – financial sector assessment programmes –, programmes d'évaluation du système financier, sur un mode volontaire. Jusqu'à la survenue de la crise actuelle, deux pays avaient refusé qu'elle soit utilisée chez eux : la Chine et les États-Unis. Ils ont maintenant accepté. Je ne dis pas que si le FMI avait pu évaluer le système financier américain, il aurait empêché la crise des subprimes ; il reste que sa capacité de surveillance paraît devoir être au moins aussi importante dans les pays industrialisés que dans les pays émergents.
Quel est le pouvoir du FMI sur les États-Unis ? C'est un pouvoir d'influence, et non de contrainte. Mais il y a un an, nous avions adressé à M. Henry Paulson, secrétaire au Trésor, des notes soulignant l'intérêt qu'il y aurait à ne pas agir au cas par cas ; il a cependant fallu attendre la faillite de Lehman Brothers, en septembre, pour que les États-Unis se décident à mettre en place un plan global. Néanmoins ce pouvoir d'influence peut être efficace, à condition toutefois de rester discret.
J'en viens à votre question sur l'endettement, Monsieur Carrez. Quand la maison brûle, on n'a pas le choix, il faut agir. Certes il convient de prendre certaines précautions, mais le plus grave serait de laisser l'incendie perdurer.
Cette crise vient de l'endettement privé. Si les prêteurs pouvaient porter les créances jusqu'à leur terme, le problème serait moindre, mais les règles comptables les en empêchent. C'est une grosse différence avec l'endettement public, auquel, devant l'écroulement du système d'endettement privé, il n'est pas illégitime de faire appel. Certes, cela ne résout pas le problème de l'endettement, mais cela accroît la fiabilité de celui-ci. Bien entendu, on ne peut augmenter l'endettement public sans se préoccuper en même temps de la manière dont on en sortira ; c'est la raison pour laquelle nous recommandons une politique de relance, dimensionnée en fonction de la situation des finances publiques du pays, et inscrite dans un cadre pluriannuel prévoyant la sortie de cette phase d'endettement public.