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Intervention de Dominique Strauss-Kahn

Réunion du 25 mars 2009 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI :

Tout d'abord, merci de m'avoir invité : cela fait toujours plaisir de revenir dans cette maison. Je commencerai par une rapide analyse de la crise financière.

Le marché des subprimes américains a été l'allumette qui a provoqué l'explosion, mais il y aurait pu y avoir un autre élément déclencheur ; le vrai problème était la croissance démesurée de l'endettement privé. Par ailleurs, cette crise revêt deux caractéristiques nouvelles.

D'une part, c'est la première fois que le coeur de la crise se situe à l'intersection du secteur financier et de l'économie réelle : la crise des subprimes entraîne une détérioration de la situation des banques, qui en conséquence ne font plus crédit, d'où une dégradation de l'état des entreprises, ce qui conduit à une nouvelle détérioration de la situation des banques ; les allers et retours entre le secteur financier et le secteur réel sont beaucoup plus importants que dans les crises précédentes. Ce n'est pas sans conséquences sur la façon dont il faut réagir.

D'autre part, c'est la première vraie crise mondiale. Il en résulte que le FMI, qui dans le passé intervenait pour résoudre une crise « seulement » asiatique ou « seulement » latino-américaine, intervient dans l'ensemble du monde. C'est l'une des raisons du problème des ressources.

Dans ce contexte, les prévisions du FMI sont plus pessimistes que d'autres. C'était aussi le cas l'année dernière, mais force est de constater que nous avions raison. Cela ne veut pas dire que ce sera toujours le cas, mais nous avons l'avantage de travailler au point de rencontre du secteur financier et de l'économie réelle, et par ailleurs d'avoir des missions dans l'ensemble des pays du monde ; c'est l'une des raisons pour lesquelles, lorsque la crise a commencé, nous avons plus vite que les autres compris son importance.

Nous publierons en avril nos prévisions détaillées. Au niveau global, nous prévoyons en 2009, pour la première fois depuis soixante ans, un taux de croissance mondiale négatif, compris entre -1 % et -0,5 %. Pour la zone euro, nous prévoyons une croissance fortement négative, de -3,2 % en moyenne, ce qui signifie que la contraction sera plus importante encore dans certains pays.

La production industrielle a très fortement chuté au quatrième trimestre 2008. Personne ne s'y attendait, et les prévisions ont été révisées en conséquence. On observe une chute parallèle des échanges internationaux.

On ne saurait donc être surpris de l'effondrement des PIB, non seulement dans les pays industrialisés mais aussi dans les pays émergents – ce qui démontre que nous avions raison de combattre la thèse, beaucoup entendue l'année dernière, selon laquelle un découplage était possible, laissant les pays émergents relativement à l'abri. Nous pensions qu'il pouvait y avoir un décalage dans le temps, mais qu'ils seraient touchés par la crise comme les autres.

Cet effondrement des PIB a évidemment des conséquences sur le chômage, surtout dans les pays avancés, où le lien entre croissance et emploi est le plus fort. Aux États-Unis comme en Europe, il faut s'attendre à une situation très difficile dans les mois qui viennent.

Dans ce contexte, non seulement le risque d'inflation s'est beaucoup amoindri, mais la déflation est devenue un risque réel, même si sa probabilité n'est pas énorme. Si on y arrive, la sortie de crise sera encore plus difficile.

J'en viens au secteur financier.

En 2008, nous estimions à 1.400 milliards de dollars les pertes, aux États-Unis et ailleurs, dues à des actifs toxiques américains. Le phénomène s'étend, en raison de la crise : des actifs qui n'étaient pas toxiques hier le deviennent car on a fait des prêts à des entreprises qui étaient saines et qui ne le sont plus. En janvier dernier, notre estimation des pertes atteignait 2.200 milliards de dollars. Celle que nous publierons en avril sera malheureusement un peu plus élevée encore. Un effet boule de neige se produit : à mesure que le ralentissement de l'économie se fait sentir, il y a de plus en plus d'actifs toxiques, qui eux-mêmes provoquent le ralentissement. Il faut arriver à stopper cet enchaînement.

Cette situation est fonction de la confiance, dont la bourse peut constituer un indicateur. On constate ainsi que les cours de bourse se sont effondrés, tout particulièrement après la faillite de Lehman Brothers, qui a provoqué une rupture très nette. Quant à la confiance des consommateurs, elle chute également, même si les évolutions ne sont pas exactement les mêmes partout.

Dans ce contexte, les spreads sur les credit default swaps, les CDS, c'est-à-dire en quelque sorte l'assurance que les banques peuvent prendre pour couvrir leurs prêts contre le défaut du débiteur, ont considérablement augmenté. On constate que ces primes sont beaucoup plus élevées aux États-Unis qu'en Europe : autrement dit, la crainte d'une défaillance des institutions financières est beaucoup plus grande aux États-Unis. C'est le pays qui est à l'origine de la crise, et c'est celui d'où peut provenir une grande partie de la solution.

De même, l'évolution du spread sur swap de l'index Libor-Overnight, qui mesure les tensions sur le marché interbancaire, montre que la situation est beaucoup plus tendue qu'il y a trois ans. Je souligne qu'elle l'est désormais bien davantage encore au Royaume-Uni que dans la zone euro ou aux États-Unis.

Il est logique, dans ce contexte, de voir les conditions de prêts des banques se durcir. En conséquence, de plus en plus d'entreprises sont en difficulté et de plus en plus de ménages doivent renoncer à leurs projets d'investissement : c'est l'effet sur l'économie réelle.

En ce qui concerne les pays émergents, ceux dont le déficit de la balance courante dépassait 5 % du PIB en 2007 n'arrivent pas, bien entendu, à se refinancer : en partant d'un indice 100 en janvier 2007, leurs spreads sur CDS atteignent 3 500 aujourd'hui, ce qui signifie pour eux l'impossibilité d'accéder au marché. Mais ceux dont la balance courante est en excédent rencontrent eux-mêmes des difficultés puisque, toujours sur la base d'un indice 100 en janvier 2007, leurs spreads avoisinent 1 500. L'ensemble des pays émergents se trouve ainsi dans l'incapacité de trouver sur le marché les sommes nécessaires pour couvrir les dettes émises dans le passé tant par les entreprises que par les États – sans même qu'il soit question d'un endettement supplémentaire afin de financer le développement. C'est dire l'urgence de régler ce problème, faute de quoi les conséquences systémiques pourraient être très graves ; en tant que créanciers des pays émergents, les pays développés se trouvent exposés au risque. Le FMI fait ce qu'il peut, mais cela ne saurait suffire.

On n'est pas étonné d'observer une chute des flux bancaires internationaux vers les pays émergents en 2008. L'exposition du système bancaire des différents pays est néanmoins très variable. Les petits pays européens qui se sont beaucoup engagés en Europe centrale, tels l'Autriche, la Suisse, les Pays-Bas ou la Belgique, sont particulièrement touchés. L'exemple le plus frappant est celui de l'Autriche : l'exposition de ses banques dans les pays émergents dépasse 80 % de son PIB. Si une catastrophe se produisait dans un pays d'Europe centrale, membre ou non de l'Union européenne, l'effet en retour serait considérable. Une déstabilisation de la zone euro serait extrêmement dangereuse.

Alors, que faire ?

Les risques inflationnistes étant faibles, le premier outil est la baisse des taux. Ceux de la zone euro sont un peu plus élevés que ceux des États-Unis ou du Japon. Cependant, malgré les méthodes innovantes des banques centrales, qui font aujourd'hui ce qu'elles n'auraient pas osé envisager il y a encore deux ans, les marges dont elles disposent en matière de politique monétaire sont désormais limitées.

C'est pourquoi j'ai préconisé dès janvier 2008 une deuxième ligne de défense, à savoir le soutien budgétaire. Nous avons estimé à environ 2 % du PIB mondial l'effort nécessaire. Bien entendu, certains pays peuvent faire plus, d'autres doivent faire moins, selon leur situation budgétaire.

À ce sujet, je voudrais tenter de mettre fin à une polémique injustifiée qui s'est développée dans la presse. Globalement, et pour le moment – on verra ce qui sera décidé dans les budgets pour 2010 –, ce que les pays ont fait nous convient, même si l'on est un peu en dessous des 2 % – sans doute autour de 1,7 %. Ceux qui pouvaient faire plus, notamment les États-Unis, ont fait plus ; et je me réjouis que, pour la première fois, un très grand nombre de pays du monde – non seulement les pays avancés, mais aussi des pays émergents, en particulier la Chine – aient coordonné leurs politiques, à l'instigation de l'institution multilatérale que je dirige, qui avait fixé le cap.

Évidemment, la relance par le déficit budgétaire est une étape, et il faudra ensuite parvenir à résorber l'excédent de dette. Néanmoins il n'y a pas d'hésitation à avoir : aujourd'hui, les risques liés à l'augmentation de la dette sont beaucoup plus faibles que ceux qui résulteraient d'un soutien de l'activité insuffisant.

Mais s'il est bien que tous les pays, émergents comme avancés, pratiquent désormais cette politique budgétaire de relance, le problème est en revanche que l'assainissement du système financier, qui est la troisième ligne de défense, reste à faire. La relance budgétaire se perdra dans les sables si les systèmes financiers ne sont pas dans le même temps remis sur pied. Je ne sous-estime pas la difficulté politique qu'il peut y avoir à expliquer, à un moment où les populations incriminent le système financier, qu'il faut mettre de l'argent pour le recapitaliser. Il reste que si on ne le fait pas, non seulement les efforts budgétaires ne serviront pas à grand-chose, mais la crise durera longtemps.

Le FMI a connu, au cours de ses soixante ans d'existence, 122 crises bancaires, certes fort différentes mais dont on peut néanmoins observer les constantes. L'une d'entre elles est que, tant que l'on n'a pas nettoyé les actifs toxiques et rééquilibré les bilans des banques, la machine ne redémarre pas. Cela peut se faire de diverses manières – par exemple par une structure de défaisance, ou cantonnement des actifs toxiques à l'intérieur d'une banque, ou par une nationalisation dans un objectif de nettoyage, avant remise sur le marché –, mais quelle que soit la technique utilisée, qui importe peu et doit être inspirée par le pragmatisme, il est impératif de le faire – j'insiste sur ce point capital.

S'agissant de la crise actuelle, si l'on ne peut pas dire que rien n'a été fait, force est de constater que c'est encore très insuffisant. Or plus on attend, plus c'est difficile, puisque le volume des actifs toxiques a tendance à augmenter à mesure que la crise se poursuit.

La quatrième ligne de défense, enfin, qui concerne en principe davantage les pays émergents que les pays développés, c'est le FMI, qui accorde des prêts massifs aux pays dont il faut redresser la balance des paiements. La plupart des pays émergents ont, au cours des deux dernières décennies, vécu avec des apports très importants de capitaux extérieurs, mais cette source de financement s'est tarie du fait des problèmes rencontrés par les banques des pays développés.

Parmi ces pays émergents, certains mènent des politiques qui n'appellent pas de critiques. C'est pourquoi j'ai voulu modifier la conditionnalité des programmes du FMI – qui jusqu'à présent conditionnaient l'accord d'un prêt à l'engagement du pays de changer sa politique. Le conseil d'administration a ainsi adopté hier des modalités nouvelles de prêts.

La crise étant mondiale, les besoins vont être très importants dans les mois qui viennent, et le consensus semble acquis sur la nécessité de doubler les ressources du Fonds. Mais il convient par ailleurs d'accroître la flexibilité des prêts, c'est-à-dire de permettre aux pays d'en faire ce dont ils ont besoin : auparavant, le FMI demandait systématiquement au pays de remettre de l'ordre dans ses finances publiques ; aujourd'hui, le problème à régler peut être différent. En revanche, j'attache beaucoup d'importance à l'introduction d'une conditionnalité sociale : nous aidons le pays à mettre sur pied un plan de sortie de sa situation de déficit – souvent 10 ou 15 % de son PIB –, mais nous lui demandons de dépenser un peu plus – généralement 0,5 à 1 point de PIB – pour mettre en place des filets de sécurité à destination des plus vulnérables. Au-delà du désir d'aider les plus malheureux, que nous partageons tous mais qui ne relève pas du rôle du FMI, notre objectif est de faire en sorte que ces programmes fonctionnent, donc que les populations les acceptent.

Les prêts accordés par le FMI à l'occasion de la crise actuelle représentent en moyenne 8,2 % du PIB des pays concernés, alors que pour l'ensemble des crises du passé, la moyenne était de 6,3 % du PIB. La différence est déjà importante, mais on peut penser que dans les mois qui viennent l'écart va encore se creuser. En ce qui concerne la conditionnalité, les programmes du Fonds comportaient souvent dans le passé des conditions « non-core » – en dehors du coeur du sujet –, telles que la demande d'une réforme agraire ; c'est ce qui a provoqué des phénomènes de rejet, notamment en Amérique Latine. Dans les programmes actuels, ce type de conditions a quasiment disparu.

Malgré tout cela, les risques demeurent importants.

Le premier, c'est que l'on n'aille pas assez vite dans la mise en oeuvre des politiques visant à stabiliser le système bancaire.

Le deuxième risque, qui existe même si sa probabilité n'est pas très grande, c'est la déflation, qui peut nous faire entrer dans une spirale longue.

Le troisième, c'est un renouvellement encore moins important que ce que nous prévoyons des financements apportés par les banques européennes ou américaines aux pays émergents : c'est la question du « rollover ».

Le quatrième, moins illusoire qu'on ne le croit, c'est le protectionnisme, qui peut prendre une forme traditionnelle – hausse des droits de douane, quotas… – ou être pratiqué au niveau financier, en faisant en sorte que l'argent ne sorte pas du pays.

Le dernier, c'est la difficulté qu'il pourrait y avoir à soutenir des politiques budgétaires expansionnistes, lesquelles doivent s'inscrire dans un cadre à moyen terme.

Pour conclure, je répondrai à Axel Poniatowski, qui s'inquiétait des sentiments que pouvait susciter notre analyse, que le rôle du FMI, qui n'est pas un rôle politique, est de dire ce qu'il croit juste. Tous les chefs d'État ou de gouvernement, notamment au G20, réclament des systèmes plus efficaces d'alerte précoce, mais il faudrait surtout, même si c'est une démarche difficile, que les dirigeants reconnaissent la validité de ces alertes et en tirent les conséquences. Quant aux menaces sur la démocratie, je les avais évoquées à propos des pays africains. Les démocraties africaines sont jeunes, et les situations de révolte sociale peuvent les déstabiliser ; dans ces pays, la déstabilisation se termine souvent en conflit de frontière ou en guerre civile.

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