Monsieur Le Bris, ce sont nos intérêts nationaux que nous défendons en Afghanistan.
Premièrement, contrairement à ce que l'on croit, la présence française en Afghanistan est ancienne, importante et extrêmement appréciée. Deux lycées, l'un de garçons, l'autre de filles, portent toujours le nom de « lycée français », bien qu'ils soient devenus totalement afghans. Ils comptent chacun 4 500 élèves environ, et sont considérés à travers le pays comme des lycées d'élite. Nous sommes en train de les moderniser, en accord avec le gouvernement afghan.
Les Allemands se trouvent dans la même situation et je m'emploie à ce que nous travaillions de manière conjointe. C'est toutefois difficile, non du fait d'une quelconque mauvaise volonté, mais parce que l'éducation relève en Allemagne des Länder et en France de l'Éducation nationale.
L'Afghanistan comporte un certain nombre de francophones et l'on nous demande d'être présents et actifs.
Deuxièmement, il convient de lutter contre Al-Qaïda.
Troisièmement, nous nous trouvons au coeur d'une zone stratégique, à proximité du Golfe, qui est une source d'approvisionnement pétrolier pour l'ensemble du monde, et des grandes puissances régionales que sont l'Iran et le Pakistan.
La Conférence de la Celle Saint-Cloud, qui s'est tenue à l'initiative de M. Kouchner en décembre 2008, a été un grand succès, dans la mesure où nous avons réussi à réunir tous les voisins de l'Afghanistan – hormis l'Iran, dont le ministre des affaires étrangères a annulé au dernier moment sa participation.
Parmi ces voisins, quels sont les plus présents en Afghanistan ?
Il y a tout d'abord l'Iran, qui mène une politique d'aide et joue un rôle politique important, puisqu'il contrôle une large part de la communauté chiite, par la distribution de subsides et l'exercice d'une influence directe sur un certain nombre de personnes. Il a en outre la mainmise sur une partie des médias du nord du pays. L'Iran est, avec le Pakistan, la Russie et l'Inde, l'un des quatre pays qui possèdent un consulat général dans toutes les grandes villes de l'Afghanistan, avec des effectifs bien plus nombreux que ne le justifient les intérêts locaux.
Son attitude est ambiguë. D'un côté, il ne souhaite pas que les talibans reviennent au pouvoir et, par conséquent, il soutient l'action de la communauté internationale. D'un autre côté, il ne veut pas que les États-Unis, qu'il considère comme son ennemi, soient trop puissants, et il s'emploie à développer des abcès de fixation. Selon nos renseignements, certains services iraniens un peu troubles assurent le passage des talibans et leur fournissent des armes – notamment des engins explosifs improvisés –, en contrepartie de la livraison de drogue, l'Iran étant l'un des principaux destinataires de l'opium et de l'héroïne fabriqués en Afghanistan.
L'attitude du Pakistan est elle aussi ambiguë. Tout comme l'Iran, le Pakistan est présent dans les grandes villes afghanes, possède d'importants services de renseignement et développe une assistance économique, notamment en matière d'immigration ; le président Zardari travaille en liaison étroite avec le gouvernement afghan pour aboutir à une stabilisation du pays. Pourtant, dans le même temps, les services secrets pakistanais – l'ISI – continuent à soutenir l'insurrection. Il existait quelque 400 madrasas au moment de l'indépendance du Pakistan. Elles sont aujourd'hui 20 000, financées essentiellement par les fondations religieuses du Golfe, lesquelles adressent également de l'argent aux insurgés via l'ISI.
L'Inde est extrêmement présente en Afghanistan. Elle possède elle aussi un consulat dans toutes les grandes villes du pays, mais elle dépense de surcroît beaucoup d'argent : elle s'est engagée à la conférence de Paris à verser une aide de 1,2 milliard de dollars, par des canaux exclusivement gouvernementaux et bilatéraux. Il s'agit d'ailleurs d'un sujet sensible dans les relations entre l'Inde et le Pakistan.
Enfin, la présence de la Chine s'explique uniquement par la promotion de ses intérêts économiques : elle a découvert que l'Afghanistan était un grand marché minier. Les Chinois vont ainsi investir 2,5 milliards de dollars dans la mine d'Aynak, dans la province du Logar, qui abriterait le plus vaste gisement de cuivre du monde.
S'agissant, madame Hostalier, du rôle de l'Union européenne, celle-ci est, et de loin, le deuxième contributeur en matière d'aide à l'Afghanistan. Pourtant, comme pour le Pakistan – dont elle était jusqu'à une date récente le premier contributeur pour l'aide civile –, son action passe totalement inaperçue, en raison du fonctionnement bureaucratique des programmes d'aides de la Commission. Celle-ci réalise un travail très utile, mais oublie de le faire savoir !
Par ailleurs, il n'existe aucune coordination entre la Commission et les États-membres, ni entre le représentant de M. Solana et celui de la Commission. Le premier, M. Ettore Francesco Sequi, qui connaît très bien la région, est un homme tout à fait remarquable. Le second, l'Allemand Hansjörg Kretschmer – qui est un de mes amis – est très compétent ; l'image de la Commission est certes aimable mais distante et peu transparente. Il faut impérativement faire pression sur Mme Ferrero-Waldner pour qu'elle accepte de fusionner les deux représentations sous l'autorité de M. Sequi, lorsque le mandat de M. Kretschmer arrivera à son terme.
Enfin, j'avais obtenu, à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, que soit décidée la rédaction d'un livre bleu, faisant l'inventaire de la totalité de l'aide de l'Union européenne, Commission et États-membres inclus. Malheureusement, ce projet n'a pas soulevé l'enthousiasme de la Commission, et les instructions nécessaires n'ont été données que durant la présidence tchèque, laquelle n'a pas été en mesure de transmettre les informations demandées. Il revient donc aux Suédois de le faire. Peut-être qu'un an après l'avoir commandé, nous pourrons obtenir ce document de base, qui nous permettra de rappeler aux États-Unis l'importance de notre action en Afghanistan.