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Intervention de Luc Frémiot

Réunion du 13 janvier 2009 à 17h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Luc Frémiot :

Depuis mars 2003, j'ai en effet mis sur pied un dispositif fondé à la fois sur la prévention et sur un principe de « tolérance zéro » à l'égard des agressions dont les femmes sont victimes. Dans le domaine de la lutte contre les violences intrafamiliales – une expression que je préfère à celle de « violences conjugales » car dans ces situations, ne des enfants sont souvent présents –, la politique pénale, telle qu'elle est menée, ne correspond pas aux enjeux. Nous avons donc décidé d'intervenir systématiquement. Nous avons d'abord prescrit aux services de police et de gendarmerie de ne plus prendre de main courante : ainsi, pour chaque infraction, le parquet est informé et une enquête est réalisée. Nous avons également mis en place, à Douai, une unité de médecine légale, dans la mesure où, devant une juridiction, les certificats de médecins généralistes n'ont souvent pas une grande valeur.

Dès lors que les services de police lancent une procédure sur chaque affaire, le parquet, en contrepartie, se doit d'apporter une réponse systématique. Nous avons donc décidé de ne pas fixer un seuil de violence – mesuré par exemple par une certaine durée d'incapacité de travail temporaire – à partir duquel la procédure est ouverte. Il faut intervenir le plus possible en amont : si nous attendons que des dommages importants soient causés, nous risquons de voir des victimes psychologiquement, voire physiquement brisées, et des auteurs enracinés dans un processus de violence. Le parquet se saisit donc de toutes les affaires, dès la première gifle.

Lorsqu'un auteur de violences suit le circuit judiciaire classique – comparution immédiate, condamnation à une peine de prison avec sursis –, le taux de récidive est très élevé. Il faut donc responsabiliser les conjoints violents, et, pour cela, travailler sur leur personnalité, leur psychologie. C'est pourquoi une enquête très précise est réalisée – un cahier des charges a été transmis dans ce but aux services de police –, incluant l'enquête de voisinage, des confrontations, un examen de la victime au sein d'une unité de médecine légale, etc. L'auteur de violences est placé en garde à vue, tandis que la victime est prise en charge par une association. Après la garde à vue, il est systématiquement déféré devant le substitut de permanence – une procédure lourde, certes, mais à la hauteur des enjeux. S'il n'a pas déjà été condamné, il est placé dans un foyer de sans domicile fixe, afin de l'éloigner du domicile conjugal. Il est en effet inacceptable que les femmes victimes de violences soient obligées de partir, parfois en pleine nuit et avec leurs enfants, à la recherche d'une solution d'accueil qui de surcroît n'est jamais satisfaisante. Ce sont les agresseurs qui doivent s'en aller. Dans un foyer d'hébergement, ils sont soumis à un choc psychologique qui va leur permettre de se remettre en question.

Avant de travailler sur ce projet, j'ai consulté de nombreux psychologues et psychiatres. Tous sont persuadés qu'il est essentiel de rappeler la norme, de façon ferme et immédiate, c'est-à-dire au plus près de la commission de l'infraction. Le placement en foyer est une façon de faire ce rappel. En outre, les auteurs de violences y sont confrontés à des gens qui ont tout perdu – domicile, famille, profession – et dont certains peuvent avoir connu un parcours similaire au leur, marqué par la violence ou la dépendance à l'alcool. Des éducateurs spécialement formés sont présents, et posent les questions destinées à faire réfléchir les auteurs et à les sortir de leur attitude de déni. Le déni est en effet le dénominateur commun entre l'agresseur et la victime : la seconde se sent coupable, a honte, hésite à s'exprimer, reste méfiante à l'égard de l'institution ; le premier, mis en cause par la justice, tente de minimiser ses actes.

Pendant la dizaine de jours qu'y dure le placement, les éducateurs amènent ces hommes à prendre conscience de l'écart démesuré qui sépare les conséquences de leurs actes et les circonstances qui les ont amenés. En effet, le passage à l'acte se fait souvent sur des détails : l'auteur de violences rentre chez lui de mauvaise humeur, les choses ne se passent pas comme il le souhaite… Notons qu'en général, il s'agit de couples dans lesquels il n'y a plus de communication – parfois, il n'y en a jamais eu. Quoi qu'il en soit, si on laisse passer ces premiers coups, les violences se reproduiront à un rythme de plus en plus rapproché et seront de plus en plus graves – d'où l'intérêt d'intervenir le plus tôt possible.

Pendant la durée du séjour, les auteurs de violence sont confrontés à la dure vie du foyer. Ceux qui travaillent sont obligés d'y passer la nuit. Ils doivent participer aux tâches ménagères. Bien entendu, ils ont interdiction de communiquer avec la famille. Ils sont, si nécessaire, mis en contact avec un alcoologue et un psychologue. Au bout de dix jours, un rapport est rédigé par un éducateur appartenant à une structure de contrôle judiciaire.

Si les violences sont de faible gravité, le dossier est classé après un ferme rappel à la loi, et à la condition que la personne concernée accepte, si elle en a besoin, de se faire soigner, par exemple dans un groupe d'alcooliques anonymes. Dans tous les cas, elle aura l'obligation de passer par une association de psychologues et de psychiatres appelée « le cheval bleu », qui organise, sur le modèle québécois, des groupes de parole pour auteurs de violences.

Lorsque les violences sont de gravité moyenne – ce qui correspond à la majorité des cas –, on laisse l'auteur reprendre la vie commune après lui avoir donné rendez-vous deux mois plus tard devant le tribunal correctionnel. On lui rappelle que son épouse est suivie par un travailleur social joignable à tout moment ; qu'au moindre problème, il sera déféré en comparution immédiate et qu'une peine d'emprisonnement ferme sera requise contre lui.

En général, les choses se passent plutôt bien. L'épouse, grâce à l'aide matérielle, juridique et psychologique dont elle bénéficie prend conscience qu'elle a des droits. Un dialogue commence à s'instaurer entre les conjoints. À l'issue des deux mois, les deux personnes se présentent devant le tribunal correctionnel, souvent sans que la victime se soit constituée partie civile. Une peine d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve est requise. L'auteur est contraint de suivre un stage de six mois dans le cadre de l'association « le cheval bleu », à raison de trois heures par semaine.

Ce dispositif s'est montré efficace, puisqu'il nous a permis de ramener à moins de 6 % le taux de récidive. Nous avons amélioré ce taux cette année en créant des groupes de responsabilisation en maison d'arrêt.

Bien entendu, l'objectif n'est pas d'éradiquer la violence, mais de donner aux auteurs une série de repères afin qu'ils soient incités à quitter la scène lorsqu'ils se sentent sur une pente dangereuse.

Tout cela est compliqué à mettre sur pied : il faut surmonter les difficultés, mobiliser tout le monde, mettre les dispositifs en place sans véritable budget, en ayant recours à des bouts de ficelles. Nous mettons cependant sur pied, cette année, le dernier volet du dispositif : la constitution de groupes de parole pour les victimes. Ils permettent à celles-ci de comprendre pourquoi, alors qu'elles sont parvenues à se débarrasser d'un auteur de violences, elles retombent souvent entre les mains d'un nouveau compagnon, également violent. C'est particulièrement vrai si les victimes sont issues de milieux défavorisés.

Tel est, brièvement résumé, le dispositif que nous avons mis en place. Bien entendu, il reste encore incomplet, faute des moyens nécessaires.

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