Je vous remercie, monsieur le président Poniatowski, de m'avoir convié à cette réunion de la Commission, qui me vaut le plaisir de vous retrouver, monsieur le président de l'Assemblée nationale de la République islamique de Mauritanie, ainsi que beaucoup de ceux qui vous accompagnent, vous que je connais depuis longtemps, depuis la commune de Tokomadji jusqu'au plus haut niveau de l'État.
Même pour de bons connaisseurs et de très bons amis de la Mauritanie, comme je le suis moi-même depuis des dizaines d'années et sûrement d'autres ici, la situation mauritanienne n'est pas simple à comprendre. Le prisme du passé ne permet pas de tout expliquer : on trouve à vos côtés des représentants de partis qui sont, comme vous, de très anciens opposants au Président Taya – renversé à la suite d'un premier coup d'État, et qui lui-même avait pris le pouvoir par un putsch – et qui ont mené des combats très courageux, parfois au péril de leur vie. Mais il se trouve aussi des partis issus de l'ancienne majorité du Président Taya ou qui ont participé à son gouvernement. En sens inverse, on trouve aussi parmi ceux qui soutiennent le coup d'État des représentants d'un parti qui a été très longtemps dans l'opposition au Président Taya, à côté d'anciens partisans du Président Taya. Le prisme du passé ne permet donc pas d'expliquer la réalité des clivages d'aujourd'hui.
En ce qui concerne la question institutionnelle, vous disiez à juste titre que votre régime est un régime présidentiel. Il l'est du moins comme le régime politique français. En effet, la caractéristique de la Constitution mauritanienne, legs de l'administration française, est d'être à la fois une constitution présidentielle, avec un Président doté de pouvoirs importants, et parlementaire, avec un Parlement doté de pouvoirs également importants.
Du point de vue institutionnel, c'est une cohabitation qui s'est progressivement installée, et une cohabitation conflictuelle. Au départ, le Président de la République disposait d'une très large majorité au sein du Sénat comme de l'Assemblée nationale. Puis, pour les raisons que vous avez indiquées, entre autres, le conflit s'est installé entre le Président de la République et un Parlement majoritairement opposé à la politique du Président. Nous avons, nous, pris l'habitude de surmonter ce type de conflit institutionnel par la mise en place d'un Gouvernement approuvé par l'Assemblée nationale, mais en l'occurrence ce conflit n'a pas pu être surmonté, jusqu'à présent tout au moins.
Dès lors deux solutions institutionnelles étaient envisageables : le départ du Président – mais il n'avait pas de raison de partir de lui-même – ou bien la dissolution de l'Assemblée, qui n'a pas eu lieu, peut-être pour les raisons que vous avez données. C'est donc un conflit institutionnel – certes aux racines politiques très profondes – qui aboutit à une situation profondément déplorable, le coup d'État étant par définition le pire moyen de résoudre ce type de conflit.
Tout cela n'est pas simple à comprendre, et je vous remercie de nous avoir apporté des éléments de compréhension. Je pense ne pas trahir la réalité en disant que ce conflit trouve son origine dans les décisions très courageuses prises par le Président Sidi, visant notamment à effacer les traces très profondes des événements de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt dix, qui avaient abouti à des meurtres, des disparitions, des déportations et causé de très graves dommages à une partie de la population. Le Président Sidi a eu le courage d'essayer de régler le problème, ce qui a certainement profondément heurté une partie de la classe politique mauritanienne.
Il y avait donc un conflit institutionnel, résolu de la pire des manières, mais qu'il aurait fallu de toute façon résoudre.
Il ne faut donc plus se tourner vers le passé, même si j'ai essayé de le faire dans un premier temps.
Vous avez, monsieur le président de l'Assemblée nationale de la République islamique de Mauritanie, la volonté de dessiner une sortie de crise. Pourriez-vous nous décrire un peu plus le cheminement que devrait selon vous emprunter cette sortie de crise ? En effet, le conflit institutionnel perdurerait même si le Président Sidi était rétabli dans son autorité – ce que je crois nécessaire. Il faudrait donc trouver une solution pour dépasser le conflit opposant deux institutions, chacune élue au suffrage universel, et toutes les deux dans des conditions, pour la première fois, véritablement transparentes, même s'il y a pu y avoir des pressions ici ou là.
Vous nous avez parlé de la nécessité d'un retour du Président, d'un passage de témoin et d'élections anticipées. On sait bien que toute la difficulté réside dans cette transition entre le moment où le Président rétabli proposerait de nouvelles élections et celui où de nouvelles élections seraient organisées. Comment fait-on pour que cette période soit vécue de manière sereine, pour permettre un vrai débat démocratique et l'élection d'un Président de la République qui ne soit pas contesté.