Je m'interroge sur la question de savoir s'il peut exister une interprétation unique. Je distingue deux niveaux. Le premier est celui des faits. Le négationnisme, par exemple, va jusqu'à nier l'existence des chambres à gaz. Le second niveau qui, à mon sens, est véritablement celui de l'histoire, est celui de l'interprétation. Ricoeur a beaucoup insisté sur le fait que l'histoire est une herméneutique, comme toutes les sciences humaines. Celles-ci consistent à donner un sens aux faits, ce qui n'est pas le cas des sciences physiques, par exemple. L'histoire peut – et, à mon avis, doit – offrir une multiplicité de sens possibles. C'est dans la confrontation de ceux-ci que peut naître la vérité. La discussion doit exister.
Maxime Gremetz a parlé du 14 juillet. Est-ce la prise de la Bastille ou la fête de la Fédération, l'année suivante, qui est commémorée ce jour-là ? Selon que c'est l'une ou l'autre, cela donne une signification différente : destruction de l'ancien régime dans le premier cas, unité nationale l'année suivante. Nous sommes là dans le conflit des interprétations, ce qui est le domaine naturel de l'histoire. Mais, comme le dit M. Hoog, un tel débat est très intéressant entre personnes ayant un certain nombre de connaissances et bien informées sur ces sujets. Pour discuter des cas où le mot « génocide » peut être employé, il faut pouvoir se référer aux textes traitant de ce sujet. Dans le cas de la Shoah, il y a bien eu une intention de destruction d'un peuple. En revanche, pour les violences de masse dont vous avez parlé, monsieur Semelin, il peut y avoir discussion. Il y a bien eu meurtre d'un très grand nombre d'Arméniens et d'Ukrainiens mais il n'est pas avéré qu'il y ait eu une intention de détruire totalement un peuple.
La raison pour laquelle le niveau d'information de ceux qui reçoivent la connaissance historique est important – et qui explique que nous ayons mission de consolider la citoyenneté – est que l'histoire n'est pas une science neutre : elle fait passer des valeurs. Le fait de dire que la France est la patrie des droits de l'homme – au lieu de dire, par exemple, qu'elle est l'héritière de Saint-Louis – est un choix politique : cela signifie qu'on a l'intention de former les citoyens dans une certaine direction. Étant convaincu que c'est cette France-là qui doit être le support des générations à venir, il est normal qu'on soit tenté de proposer, dans le petit nombre de pages dans lesquelles sont résumés les grands faits de l'histoire de France pour les élèves, qui sont en général très mal informés, une interprétation unique ou, tout au moins, une interprétation valorisante. Je comprends parfaitement qu'on ait refusé d'accoler le nom de Vel d'Hiv à celui de Bir-Hakeim. C'est mettre l'ombre et la lumière côte à côte. Or, pour former les jeunes, on a plutôt envie de leur offrir beaucoup de lumière et peu d'ombre.