J'entends bien. La loi dont j'ai parlé n'est pas une loi mémorielle. Elle s'appuie sur les valeurs de la République et sur des faits établis. Elle est indiscutable. Si elle n'existait pas, cela signifierait que tout est permis et alors ce sont toutes les lois qui seraient remises en cause.
Je ne vois pas non plus comment on pourrait encadrer l'histoire par une loi. Celle-ci appartient au domaine de la recherche à partir de faits établis et incontestables. C'est l'interprétation de ces faits qui, ensuite, peut donner lieu à controverse. Personne ne conteste que la France ait été un pays colonisateur. Les discussions portent sur l'apport de cette colonisation pour les peuples concernés. La négation par le gouvernement turc du génocide arménien est un fait politique.
Les faits et leur interprétation se mélangent toujours un peu, ce qui complique la tâche des historiens comme de tous ceux qui cherchent à traduire les faits historiques. Si on laisse tout en points d'interrogation, que peut enseigner un professeur d'histoire à ses élèves ? Il devra commencer son cours en disant : « Je vais vous présenter ma version des faits sur tel événement. » Notre mission se penche également – il ne faut pas l'oublier car c'est important – sur la façon dont on enseigne aujourd'hui l'histoire, tout en sachant qu'elle n'est jamais définitive. Elle a également pour tâche de réfléchir sur la manière de commémorer les événements importants pour notre propre histoire. J'ai interrogé, le 14 juillet, des personnes sur la signification de cette journée : ils ne savaient pas, notamment les jeunes. La fête nationale se résumait pour eux au feu d'artifice. Quant à la Révolution française, la prise de la Bastille, ils ne connaissaient pas.
Sans vouloir écrire une histoire officielle de propagande, nous devons réfléchir à l'enseignement de l'histoire et à la commémoration des événements importants.
On écrira sans doute un jour l'histoire de la guerre d'Algérie. Certains historiens redoutent déjà de ne pas pouvoir l'écrire comme ils le voudront. À ce propos, comment peut-on prétendre favoriser la connaissance, l'enseignement et la commémoration de l'histoire et voter une loi interdisant l'accès aux archives nationales avant soixante-quinze ans ? Cela ne doit pas beaucoup aider les historiens.