Je vous remercie de me permettre de m'exprimer sur ces questions avant la fin de vos travaux.
La loi de 2001 étant l'une des lois mémorielles de notre pays, vous avez sans doute évoqué longuement l'esclavage au cours de vos auditions. Je peux témoigner devant vous des effets de cette loi : sans aucun doute elle a fait évoluer la situation en offrant à nos compatriotes d'outre-mer la reconnaissance qu'ils attendaient d'événements extrêmement douloureux de notre histoire. Je ne suis pas certain que nous la rédigerions aujourd'hui dans les mêmes termes, mais il faut lui reconnaître des vertus, car en dépit de certaines divergences autour des dates de commémoration, elle a contribué à apaiser les esprits et à combler les non-dits, dénouant certaines tensions entre une partie de l'outre-mer et la métropole. Ce texte a donc un aspect positif, qui est à prendre en compte dans vos réflexions sur l'utilité de légiférer en ces matières.
Faut-il reprendre aujourd'hui le débat sur les dates de commémoration ? Mon sentiment est que le récent décret du Premier ministre, qui retient plusieurs dates, est un bon compromis permettant à chacun de choisir la date de commémoration qui lui semble la plus importante. A la date nationale du 10 mai s'ajoutent une date pour les associations et des dates différentes selon les territoires. J'ai participé cette année aux cérémonies de commémoration à Fort-de-France : j'ai compris que l'important était de laisser le travail de mémoire s'accomplir au cours d'une journée de reconnaissance publique, pour que tous puissent commémorer la réalité douloureuse de notre histoire. Laissons aux générations futures le soin de regrouper ces commémorations, si elles en éprouvent le besoin. Référons-nous au travail de mémoire tel que l'entendait Paul Ricoeur – qui d'ailleurs préférait ce terme à celui de « devoir de mémoire ». Cette dualité entre les termes « devoir » et « travail » est intéressante : pour ma part, je pense que la mémoire « travaille », comme le bois et tout ce qui est vivant.
Je suis convaincu qu'il ne faut pas imposer une histoire officielle. Il n'est pas illégitime que les parlementaires se soient emparés de ces questions – comme peuvent le faire tous les citoyens – mais ils doivent laisser les historiens faire leur travail. Il faut trouver un équilibre, ce qui, sur de tels sujets, n'est pas facile.
Je serai plus circonspect pour ce qui est de légiférer sur des événements qui se sont déroulés en dehors de nos territoires. L'intervention du Parlement a des limites. Le Parlement ne doit rien imposer et laisser les historiens faire leur travail. En matière mémorielle je serai, pour ma part, plus incitatif.
S'agissant de la reconnaissance de l'esclavage, je le répète, depuis le vote de la loi du 21 mai 2001, nous avons accompli de réels progrès, que l'on doit tant au travail du CPME – Comité pour la mémoire de l'esclavage – qu'aux diverses actions qui ont été menées et aux nombreux débats sur les dates et les formats de commémoration. La loi a permis de mener des actions concrètes en matière éducative et culturelle. De nombreuses polémiques ont ponctué ce débat, mais elles nous ont permis d'avancer sur un sujet qui concerne désormais autant la métropole que l'outre-mer. Ceux qui s'interrogeaient hier sur la commémoration de l'esclavage ont pu approfondir leur connaissance de l'autre. Faire la France, c'est aussi accepter que d'autres aient une approche différente de notre histoire commune et des douleurs partagées. A ce titre, vous faisiez justement allusion, madame la présidente, à l'élection de Barack Obama…
En bref, la loi de 2001 est un texte important : d'une part, elle permet au secrétaire d'État à l'outre-mer que je suis d'apporter des réponses à ces questions et, d'autre part, elle montre que notre République a pris en compte officiellement la question de l'esclavage. C'est important, car un traumatisme nié par une partie de la nation peut faire l'objet d'une fixation pour certains. Depuis que j'exerce mes responsabilités, je constate que les esprits sont apaisés et les débats sereins, ce qui nous permet d'apporter à ces questions des réponses républicaines.