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Intervention de Daniel Garrigue

Réunion du 17 juin 2008 à 17h00
Délégation pour l’union européenne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Garrigue, rapporteur :

a souligné qu'il est justifié que la Délégation se saisisse de la question des fonds souverains, dans la mesure où la Commission européenne a présenté une communication sur ce thème en février 2008 et que le Conseil européen a pris position en mars 2008.

A l'origine de ces fonds, on trouve des pays qui ont des excédents importants de balances des paiements grâce à leurs ressources en énergie et en matières premières, ou en raison de leurs taux de croissance élevés. Ces fonds sont apparus lorsque ces Etats ont décidé de se doter d'instruments plus actifs qu'une simple gestion de leurs réserves de change.

Les fonds souverains s'inscrivent dans la libération générale des mouvements de capitaux. On pourrait donc considérer qu'ils jouent un rôle très positif. Suite à la crise des « subprimes », ils ont effectivement joué un rôle important pour fournir des liquidités à des entreprises en difficulté et contribuer au sauvetage des banques, notamment américaines.

Mais on ne peut pas ne pas se poser certaines questions, face à la progression exponentielle de leurs ressources, au basculement de l'économie mondiale vers l'Asie, qu'ils traduisent, et à l'incertitude sur les finalités de ces fonds. Leur gouvernance est le plus souvent opaque, et on ignore quelle est leur liberté de manoeuvre par rapport aux gouvernements dont ils dépendent. Aujourd'hui ils se présentent comme des investisseurs honnêtes, mais demain ne chercheront-ils pas à jouer un autre rôle ?

L'Union européenne doit se montrer particulièrement vigilante sur deux points. Le premier est la possible prise de contrôle d'entreprises de caractère stratégique. Le second est le fait que, dans un monde où dans un certain nombre de secteurs existent des besoins considérables de ressources financières pour des investissements de long terme, les Etats qui se trouvent derrière ces fonds souhaiteront sûrement, un jour ou l'autre, se positionner dans ces secteurs.

Devant cette perspective, il faut bien reconnaître que l'Union européenne est dépourvue des outils nécessaires. Les fonds souverains sont, à cet égard, révélateurs de nos faiblesses. Il faut donc réfléchir aux moyens pour l'Europe d'être présente sur ces terrains.

M. Daniel Garrigue a indiqué que son rapport d'information présente tout d'abord une analyse des fonds souverains, qui sont des acteurs de la libération générale des mouvements de capitaux. A ce jour ils ne sont pas les acteurs les plus importants de la sphère financière. Leur montant total est certes le double de celui des hedge funds, mais il est très inférieur au montant total des actifs des sociétés d'assurance ou des banques. Par ailleurs, les fonds souverains sont une catégorie d'investisseurs étatiques parmi d'autres ; cette catégorie compte en effet aussi les entreprises publiques (comme par exemple Gazprom), les réserves de change, les fonds de pension publics… On peut noter que la France elle-même dispose d'investisseurs publics, bien qu'à une échelle très modeste, avec le Fonds de réserve des retraites ou la Caisse des dépôts et consignations. Il en va de même avec la KfW allemande ou la Cassa dei depositi italienne.

Deux éléments sont préoccupants. En premier lieu, la montée en puissance des ressources des fonds souverains. Selon certaines estimations, d'ici 2015 leur montant total pourrait atteindre 30 000 milliards de dollars, ou 15 % du PIB mondial. En second lieu, quelles sont leurs finalités ? Il existe actuellement une trentaine de fonds souverains, la plupart d'entre eux sont situés en Asie, deux seulement – mais dotés de capitaux très importants – en Norvège et en Russie, si l'on ne tient pas compte du fonds de pension public irlandais. Même le fonds norvégien a pu susciter des inquiétudes quant à la nature de ses motivations, lorsqu'il s'est livré à des opérations importantes dans le secteur bancaire en Islande il y a quelques années. En Russie, un débat est en cours sur la priorité que devrait donner le fonds souverain nouvellement créé aux investissements domestiques ou internationaux. Les fonds les plus considérables sont basés dans les Emirats arabes unis, à Singapour, en Chine. L'Inde va en constituer un. Que vont faire tous ces Etats avec leurs fonds souverains ? On commence à les voir s'intéresser à des actifs technologiques, même si cela fait longtemps que l'un d'entre eux – un fonds du Koweït – détient une participation dans le groupe Daimler. D'autres cherchent à investir dans l'aviation, dans l'automobile, ou encore dans des établissements financiers eux-mêmes détenteurs de participations dans des entreprises de secteurs sensibles. C'est par exemple le cas du fonds chinois, la China Investment Corporation, qui a investi à hauteur de 3 milliards de dollars dans la société Blackstone, qui détient un nombre élevé de parts dans des entreprises « haut de gamme » en matière de technologies.

En conséquence, un certain nombre d'Etats, dans un premier temps (Etats–Unis, France, Allemagne), puis d'instances internationales, se sont saisis de la question des fonds souverains. Le G7 a confié un travail d'étude au FMI, d'une part, pour élaborer un code de conduite pour les fonds souverains, et à l'OCDE, d'autre part, pour établir des règles pour les pays d'accueil des investissements de ces fonds. Au niveau européen, la Commission européenne a adopté une position relativement prudente fondée sur les principes suivants : l'ouverture du marché européen aux investissements étrangers, le soutien aux travaux multilatéraux engagés dans le cadre du FMI et de l'OCDE, l'utilisation des instruments juridiques existants, le respect des principes de proportionnalité et de transparence. La Commission n'envisage pas de proposer une réglementation européenne. Le Conseil européen des 13 et 14 mars a repris la position de Commission et a souhaité l'obtention d'un accord international sur un code de déontologie. La position européenne apparaît donc prudente, mais pas tout à fait adaptée. Quels types de réponses peut-on proposer ?

Le premier type d'action des fonds souverains est le « recyclage » des capitaux à l'échelle internationale. Ils ont ainsi joué un rôle positif dans la crise financière actuelle, mais la question qui se pose est celle d'une plus grande transparence. Il y a au niveau international un large consensus sur cet objectif.

Le deuxième type d'activité de ces fonds est d'investir dans leurs pays d'origine. Ceci doit également être encouragé, mais la question qui se pose est celle de l'ouverture de ces pays aux investissements étrangers. Le Secrétaire d'Etat américain au Trésor, M. Hank Paulson, a soulevé cette question lors de son récent déplacement dans les pays du Golfe. Le rapport présenté par M. Alain Demarolle, chargé par la ministre de l'Economie d'une mission sur les fonds souverains, insiste sur la question de la réciprocité. L'Union européenne a effectivement intérêt à appuyer les demandes en faveur de la réciprocité, même s'il faut tenir compte du fait que ce principe ne fait pas partie des règles posées par l'OCDE.

Le troisième type d'action des fonds souverains est le risque de les voir investir dans des secteurs sensibles. Il faut donc avoir un « filet » minimum de sécurité. Il ne s'agit pas de remettre en cause la libre circulation des capitaux, mais il est impossible de ne pas tenir compte du fait que de nombreux pays ont de tels dispositifs. C'est le cas des Etats-Unis, de l'Australie, de la Russie. C'est aussi le cas du Royaume-Uni, qui l'utilise de manière pragmatique. C'est aussi le cas de la France, avec le décret n°2005-1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l'étranger. L'Allemagne est en train de bâtir un dispositif qui devrait être prochainement présenté au Parlement.

Le problème est, pour les Etats de l'Union européenne, celui de la compatibilité de tels dispositifs avec les articles 56 et 58 du traité de Rome. Ils ne peuvent se fonder que sur l'exception liée à l'ordre public et à la sécurité publique. Il est difficile pour les Etats de définir plus explicitement ces hypothèses sans craindre en permanence une sanction par la Cour de justice. La Commission avait à cet égard réagi de manière très critique, dans un premier temps, suite à la publication du décret français de 2005, mais semble avoir finalement donné son accord. Il est nécessaire d'élaborer un dispositif à l'échelle de l'Union, sur la base duquel chaque Etat membre pourrait réagir dans le contexte national.

M. Daniel Garrigue a signalé que la présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, Mme Pervenche Berès, a posé à ce sujet une question écrite à la Commission européenne. La possibilité d'une réglementation européenne est par ailleurs évoquée dans le rapport de M. Laurent Cohen-Tanugi sur « L'Europe dans la mondialisation », et dans le rapport de septembre 2007 de M. Hubert Védrine sur « La France et la mondialisation ». La Commission européenne ne semble pas complètement fermée à cette possibilité, mais il conviendrait que la France présente une telle initiative dans une démarche commune, avec l'Allemagne.

Le quatrième et dernier problème est celui des investissements de long terme. Ces investissements correspondent à des besoins qui ne sont pas satisfaits directement par le marché mais sont les plus porteurs d'avenir : ils concernent les domaines de l'énergie, de l'espace, des grandes infrastructures… On peut observer que les fonds souverains de Dubaï s'intéressent très fortement aux infrastructures portuaires et aux routes maritimes, notamment à un projet de percement d'un canal en Thaïlande. Comment l'Europe peut-elle se donner les moyens d'être présente dans l'avenir sur ces investissements ? On connaît les limites du budget européen. On connaît également les limites des organismes nationaux comme la Caisse des dépôts ou la KfW. La BEI est surtout mobilisée au bénéfice des nouveaux Etats membres de l'Union européenne. Ne faudrait-il pas mettre en place à l'échelle de l'Union européenne des outils lui donnant une telle capacité ?

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