Je prends la parole au nom d'un secteur qui, à vos yeux, fait sans doute figure de mouton noir : la communication. J'occupe moi-même le premier poste de responsable du développement durable créé dans ce secteur. À l'heure actuelle, nous sommes moins d'une dizaine. Pourquoi le secteur des agences de publicité et d'achat d'espaces s'est-il trouvé en retard par rapport aux autres ? Comment rattraper ce retard ?
On explique le retard en appréciant le niveau de pression venant du client, du fournisseur, mais aussi de la société civile. Ce niveau a monté dernièrement sous la pression de la société civile sur la question du greenwashing (éco-blanchiment) : action des ONG, relayée ensuite par une charte qui a amené le BVP à se transformer. Le nombre de demandes de conseils auprès du BVP pour des vérifications d'allégations environnementales est aujourd'hui passé de 300 à près de 900.
Nous dépendons de nos propres accords volontaires et de nos propres initiatives. Nous souffrons beaucoup, en tant que responsables du développement durable de ce secteur, du fait que les choses n'avancent pas plus vite. Nous nous unissons dans des associations, comme le collectif AdWiser. Nous écrivons nous-mêmes nos ouvrages. J'ai moi-même rédigé La communication responsable, sur les principes d'intégration du développement durable dans la communication – quel que soit le sujet. Lorsque les communicants auront une meilleure culture de ce qu'est le développement durable et des responsabilités qui en découlent dans leur métier en termes de messages et de moyens utilisés, le procès fait au développement durable, qui manie aujourd'hui la communication, parfois sans suffisamment de garde-fous, perdra de sa vigueur.
Très concrètement, où en sommes-nous ? Notre secteur a été évalué l'année dernière par la D4E, la Direction des études économiques et de l'évaluation environnementale. La moyenne du secteur a été jugée relativement nulle en termes de respect de la loi NRE ; les groupes Publicis et Havas étaient à 1,6 sur 100. Le fait que Havas soit évaluée de l'extérieur, notamment par les pouvoirs publics, et qu'on lui rappelle où elle en est par rapport à la loi NRE est très important, car nous pouvons nous en prévaloir.
Je travaille dans une agence d'achat d'espaces. Parmi mes annonceurs, bien peu m'ont demandé de leur faire une « campagne verte ». Ils me donnent des objectifs, des cibles. Prenons l'exemple de la presse magazine féminine. Celle-ci est malheureusement très loin des idées de développement durable. Comment faire, sachant que mes annonceurs ne vont pas me mettre sous pression ? Comment faire, sachant que mes fournisseurs ne sont pas, du moins certains, dans des démarches proactives ? Si je reprends l'exemple précédent, aucun magazine féminin, à part peut-être Prisma, ne peut me proposer un papier recyclé.
Prenons un autre exemple : l'affichage. Entre un panneau normal et un panneau éclairé, dont je vous épargne l'impact en termes de CO2, je choisirai uniquement en fonction de critères d'efficacité liés à ma cible. Si demain ces panneaux font l'objet d'une réglementation ou d'une fiscalité particulière, je disposerai d'une marge de manoeuvre. Lorsque l'on est dans le service et que l'on achète de l'espace, on dépend de l'offre. Si la presse magazine ne me fait pas d'offre vertueuse, j'aurai beaucoup de mal à lui conseiller autre chose. Si les annonceurs ne me disent pas qu'ils sont prêts à payer un peu plus, par exemple pour un panneau éclairé en photovoltaïque, comment ferai-je ?
J'aurai beau disposer de mon bel outil « Ecopublicité », le logiciel que j'ai créé avec l'ADEME, et de la plus belle analyse du cycle de vie d'un plan média, je me trouverai prise entre deux feux. Le jour où je pourrai orienter les décisions, mon métier prendra une tout autre valeur. Mais pour le moment, je dépends de mon client et de mon fournisseur pour entrer dans un cercle vertueux. Et je suis toute seule à m'occuper de développement durable dans une entreprise de 700 personnes.
Nous dépendons toujours de nos clients et de nos fournisseurs. Les agences de création ont essuyé les critiques de la société civile et les choses ont bougé : il y a maintenant un directeur du développement durable chez BETC, qui parle avec les créatifs sur la responsabilité des messages, et des créations de poste ont été décidées. Mais ma situation est différente : les actions du collectif des « déboulonneurs », qui taguent les affiches, et le débat sur les panneaux à l'entrée des villes ne sont pas suffisants pour me permettre d'avancer.
Il faut nous percevoir comme des personnes qui doivent relier un niveau d'attente et un niveau de pression. Sans pression de la part de mes clients, ni de mes fournisseurs, ni de la société civile, je réclame de la réglementation et de la fiscalité, car c'est cela qui pourra m'aider.