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Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 29 avril 2009 à 11h45
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi :

Je souscris tout à fait à votre souci de transparence en matière de valorisation des actifs « illiquides », plutôt que toxiques, des banques. Vos interrogations sont tout à fait légitimes, la question n'en demeure pas moins particulièrement sensible. Nos banques, et plus généralement les banques européennes, sont aujourd'hui soumises à des règles comptables arrêtées par l'IASB – International Accounting Standards Board –, sur délégation de la Commission européenne. Le dispositif retenu rend l'exercice de valorisation particulièrement difficile. En effet, si la FASB – Federal Accounting Standards Board –, qui est l'autorité compétente américaine, a statué très rapidement et efficacement pour définir des méthodes alternatives de valorisation, il n'en est pas de même pour l'IASB. Cet organisme fonctionne de façon quasi autonome par cooptation entre techniciens. Je m'en suis particulièrement émue lors de la réunion de l'Eurogroupe et de l'Écofin informel il y a près d'un mois et j'ai vivement incité mes collègues européens et la Commission à mettre en demeure l'IASB de changer rapidement les règles. À défaut, il faudra se poser la question de l'opportunité de lui déléguer la détermination des principes comptables servant de base à la valorisation des actifs.

Les normes prudentielles sont également un sujet très délicat. L'application des règles de Bâle II auxquelles nos banques sont astreintes peut avoir des effets procycliques, sachant que nous n'avons ni le système de provisionnement dynamique en vigueur dans certains pays, ni la faculté d'utiliser de souplesse dans une conjoncture difficile. La combinaison de principes prudentiels et comptables rigides complique techniquement la valorisation des actifs illiquides. La Commission bancaire est certainement la mieux habilitée à vous donner un jugement en indépendance et en conscience sur la qualité des actifs des banques et sur leur valorisation. Sachez que je suis en contact régulier avec Christian Noyer, notamment depuis la parution d'un article dans Libération, qui a pratiqué des amalgames de manière irresponsable. La Commission bancaire effectue un pilotage permanent des fonds propres des banques. Elle est en train de finaliser une série de stress tests, beaucoup moins médiatisée qu'aux États-Unis, ce qui me paraît une bonne chose. La divulgation tous azimuts des critères appliqués n'est pas forcément une bonne idée. En revanche, il est indispensable que la représentation nationale soit informée au mieux.

Pour en venir au projet de loi, le rapprochement entre les deux groupes mutualistes dans lesquels l'État n'a pas de participation est le fruit de la volonté des deux acteurs, qui l'ont annoncé dès le mois d'octobre dernier. En donnant naissance au deuxième groupe bancaire français en termes de dépôts, il permettra de conforter la solidité financière des deux groupes qui conserveront chacun leur marque propre ainsi que leurs réseaux autonomes et complémentaires. Fort d'une activité plus diversifiée, reposant sur tout l'éventail des métiers de la banque de détail sur un marché domestique, le groupe renforcera son positionnement comme banque universelle de dépôts, un modèle économique qui a bien résisté à la crise que nous traversons. D'autre part, ce rapprochement améliorera le pilotage de Natixis grâce à une gouvernance claire et simplifiée : il y aura un actionnaire au lieu de deux, ce qui est bien souvent une source d'inefficacité, voire de conflit d'intérêts. Les deux groupes conserveront leur culture mutualiste.

Voici le bilan chiffré de l'opération : 34 millions de clients, plus de 7 millions de sociétaires, un maillage très dense du territoire grâce à 7 500 agences et environ 110 000 collaborateurs. Ce sera un financeur de premier plan pour l'économie, présent sur tous les segments : particuliers avec les caisses d'épargne, PME-PMI avec les banques populaires et grands groupes avec Natixis.

Un nouvel organe central commun aux deux réseaux sera créé, détenu à parité entre les deux groupes. Une opération d'apport le rendra propriétaire des filiales principales telles que Natixis, la Société marseillaise de crédit, la SIBP hors VBI, la Financière Océor, GCE Assurances, BCP France, BCP Luxembourg, sans oublier la participation indirecte de 17,7 % dans la Caisse nationale de prévoyance. Les deux organes actuels subsisteront pour porter d'autres participations, en particulier dans l'immobilier, qui ne font pas l'objet du rapprochement.

Les moyens techniques et humains des banques populaires et des caisses d'épargne qui seront nécessaires à l'exercice des missions de l'organe central seront rassemblés dans la nouvelle entité, qui sera chargée notamment de la gestion de trésorerie, des ressources humaines et de l'orientation stratégique. Les deux réseaux continueront d'opérer chacun de leur côté dans une logique de concurrence intelligente, afin de parvenir à une meilleure couverture globale du marché.

Les filiales du pôle immobilier de chacun des deux groupes ainsi que les autres participations des deux organes centraux, en particulier la Banca Carige, la Banque Palatine, DZ Bank et Ma Banque, seront dans un premier temps conservées par la Caisse nationale des caisses d'épargne et la Banque fédérale des banques populaires.

L'État a encouragé le projet car, dans le cadre du renforcement des fonds propres des banques pour soutenir le financement des entreprises, des ménages et des collectivités, le Gouvernement s'était engagé à accompagner la création du nouveau groupe par un apport en fonds propres. Pour des raisons de consolidation prudentielle et comptable, le rapprochement implique une diminution mécanique des fonds propres de l'organe central. Aussi l'État s'est-il engagé à renforcer les fonds propres à hauteur de 5 milliards d'euros, afin de préserver la capacité de financement du nouvel ensemble. L'État souscrira, d'une part, des actions de préférence sans droit de vote à concurrence de 3 milliards d'euros, d'autre part, des titres super-subordonnés pour 2 milliards, qui seront émis par le nouvel organe central et assortis de conditions de rémunération voisines. Ainsi, le nouveau groupe bénéficiera d'une structure financière robuste et pérenne. Il affichera un ratio de solvabilité tier one proche de 9 %, en ligne avec les banques européennes les mieux capitalisées. Toutes les conditions sont réunies pour assurer l'intégrité de l'investissement de l'État : les fonds propres seront injectés dans le nouvel organe central, la rémunération et le remboursement des fonds seront en revanche assis sur l'ensemble du groupe.

L'apport en fonds propres, de 5 milliards d'euros, dépasse de 2,5 milliards l'apport proposé aux autres banques de la place dans le cadre de la deuxième tranche de soutien que l'État apporte par le biais de la Société de prise de participation de l'État. Il convient donc d'obtenir un accord complémentaire de la Commission européenne.

Tirant les conséquences de cet apport supplémentaire, l'État a prévu deux dispositions propres au nouveau groupe. L'une concerne la gouvernance puisque le nouvel organe central prendra la forme d'une société anonyme à directoire et conseil de surveillance, lequel comprendra, outre deux représentants des salariés, dix-huit membres – sept provenant des caisses d'épargne et sept des banques populaires, et quatre qui seront désignés par l'État, dont deux personnalités indépendantes. Par ailleurs, à partir de la cinquième année, les actions de préférence non assorties de droit de vote seront convertibles en actions ordinaires, de sorte que l'État, dans l'hypothèse où la conversion serait réalisée, détiendrait au maximum 20 % du capital du nouvel organe central. Cette clause de conversion constitue une incitation au remboursement de l'État. Matériellement, la souscription se ferait par émission de bons de souscription d'actions au profit de l'État.

Le vote d'un projet de loi est nécessaire parce que le code monétaire et financier contient des dispositions spécifiques aux groupes mutualistes et coopératifs pour attribuer des prérogatives aux organes centraux sur leurs affiliés. Dans un réseau mutualiste, l'organe central est une sorte de tête de réseau sans être une véritable holding. Il dispose de pouvoirs étendus, notamment en matière de gestion de la liquidité. Le rapprochement en cours doit se traduire par la création d'un nouvel organe central commun aux deux réseaux, auquel le projet de loi accordera toutes les prérogatives nécessaires pour qu'il puisse piloter le nouvel ensemble, à l'instar de ce que faisaient la CNCE et la BFBP. La nouvelle société sera détenue à la majorité absolue du capital social et des droits de vote par les banques populaires et les caisses d'épargne.

Le projet de loi définit en son article 1er les missions du nouvel organe central, à savoir la définition des orientations stratégiques du groupe, la coordination des politiques commerciales des deux réseaux, la représentation du groupe et des deux réseaux auprès des organismes de place et pour conclure des accords nationaux et internationaux, l'adoption des mesures nécessaires pour garantir la liquidité et la solvabilité du nouvel ensemble, la définition des principes et conditions d'organisation du contrôle interne et de la politique de gestion des risques.

Le nouvel organe central devra être agréé comme établissement de crédit par le comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, comme le prévoit l'article 3. À l'entrée en vigueur de la loi, le nouvel organe central des caisses d'épargne et des banques populaires se substituera de plein droit aux organes centraux actuels.

Les dispositions de l'article 4 sécurisent le transfert des actifs et des passifs de la CNCE et de la BFBP vers le nouvel organe central, ainsi que des moyens techniques et en personnels nécessaires à l'accomplissement des missions de cet organe central. Ces transferts emportent, nonobstant toute disposition ou stipulation contraire et sans qu'aucune formalité ne soit nécessaire, les effets d'une transmission universelle de patrimoine vers le nouvel organe central et ils seront donc opposables de plein droit aux tiers, sans qu'il soit besoin de procéder à une notification. Ces transferts n'ouvriront pas droit à remboursement anticipé ou à modification des contrats. Les porteurs des instruments financiers concernés en seront informés. Les contrats de travail de la CNCE et de la BFBP seront également transférés au nouvel organe central en application des dispositions du code du travail.

L'article 5 du projet prévoit les dispositions relatives à l'organisation du dialogue social au sein du nouveau groupe. L'organe central des caisses d'épargne et des banques populaires agira en qualité de groupement patronal pour le compte des deux réseaux. L'idée est que les statuts sociaux des deux réseaux subsistent en l'état. En revanche, au niveau de l'organe central, un statut unifié sera réalisé. C'est la raison de la création du nouveau groupement patronal au sein de l'organe central.

L'article 6 introduit le nouvel organe central dans les dispositions législatives applicables en matière fiscale aux deux groupes actuels.

Enfin, l'article 7 précise les modalités d'entrée en vigueur de la loi. À l'exception de certaines dispositions de l'article 4, qui entreront en vigueur à la promulgation de la loi, les dispositions du texte seront applicables, sous réserve de l'agrément du CECEI, à compter de la clôture de l'assemblée générale de l'organe central des caisses d'épargne et des banques populaires approuvant les apports et décidant l'émission d'actions en rémunération des apports. Cette dernière condition suppose donc que les opérations d'apport, parmi lesquelles la valorisation, soient approuvées.

Il s'agit, vous le voyez, d'un texte particulièrement technique, destiné à permettre un rapprochement déterminant pour le paysage bancaire français, et qui confortera la solidité financière des deux groupes et, partant, celle de notre place financière.

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