Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous devons débattre, selon la procédure d'urgence, d'un projet dont le cheminement n'avait rien d'urgent. La discussion de ce texte élaboré il y a près de deux ans a été sans cesse repoussée, au point que l'on pouvait se demander s'il n'était pas définitivement enterré. Où était donc l'urgence ? Sans doute y a-t-il un rapport avec les longues grèves aux Antilles.
Le problème est que ce texte, qui conserve sa logique d'origine, n'est pas en prise avec cette mobilisation massive que vous avez qualifiée de « triple crise » – économique, sociétale et structurelle – « liée aux dérives ultimes mais encore observables de l'héritage d'une économie de comptoir » ; crise qui, selon le Président de la République, « nous pousse à nous interroger sur le ou les modèles de société que l'on souhaite pour nos territoires » ; crise qui nécessite la tenue d'états généraux pour débattre des grands enjeux des outre-mer, enjeux relevant du champ économique, social, institutionnel et identitaire. Les propositions qui en résulteront devront déboucher sur un vaste plan de modernisation.
Pourquoi donc n'avoir pas attendu pour légiférer que les acteurs concernés élaborent eux-mêmes leur vision d'avenir, leur projet de société, leur stratégie de développement endogène, et définissent les moyens les plus appropriés pour y parvenir ? Mon interrogation est d'autant plus fondée que le projet actuel est en décalage complet avec les profondes transformations socio-économiques, culturelles voire identitaires revendiquées par nos populations. Ces exigences s'expriment dans les plateformes déjà adoptées aux Antilles et à La Réunion, et en cours de discussion en Guyane. Je rappelle que ces problématiques couvrent un vaste champ : pouvoir d'achat, emploi, logement, éducation, santé, transports, et bien d'autres domaines.
En effet, les deux volets principaux de votre texte demeurent les zones franches et le logement social. Dans le contexte d'une crise économique mondiale dont personne ne voit l'issue, et alors que les entrepreneurs procèdent plutôt à des licenciements – comme on le voit dans l'Hexagone – qu'à des investissements, des doutes planent sur l'efficacité du dispositif de défiscalisation. Ces doutes se renforcent avec la modification du dispositif des niches fiscales, laquelle rendra moins attractifs les investissements outre-mer.
Mais plus fondamentalement, en ne proposant d'autres outils de développement que des mécanismes de défiscalisation et d'allégement des charges sociales, consentis sans aucune contrepartie de la part des bénéficiaires, vous reproduisez, monsieur le secrétaire d'État, la logique antérieure, et ce alors même que vous ne cessez d'invoquer la nécessaire rupture avec les politiques du passé. Le Président de la République, M. Sarkozy, n'a-t-il pas lui-même admis que l'accumulation des annonces financières et techniques n'apporterait pas de réponses adéquates ?
Vous élargissez même cette logique aux logements sociaux, sous un montage tellement complexe que son efficacité est plus qu'incertaine. Pourtant, non seulement ces mécanismes ont des effets pervers connus, mais 40 % des dépenses consenties en leur faveur restent sans effets positifs pour les économies locales. Malheureusement, c'est la seule option que vous offrez. Pourtant, depuis vingt ans, toutes les lois pour l'outre-mer ont reproduit les mêmes recettes, sans que le développement économique de nos territoires en soit assuré.
Le développement économique, ambition majeure du projet de loi, n'a aucun sens pour moi si la finalité n'est pas le bien-être des populations. Or toutes les statistiques montrent le recul du niveau de vie et l'amplification des inégalités sociales, économiques et territoriales en Guyane. L'indice de développement humain nous place ainsi au 43e rang mondial. Comme vous le savez, la Guyane verra le nombre de ses habitants doubler d'ici à 2030. C'est un atout d'autant plus précieux que 43 % d'entre eux ont aujourd'hui moins de vingt ans. En 2030, ces jeunes représenteront 40 % de la population. Encore faut-il que notre capital humain bénéficie d'une éducation adaptée, fondement de tout progrès. Il y a urgence : 3 500 enfants ne sont pas scolarisés, seuls 11 % des élèves de CM2 ont des acquis sûrs, 20 % sortent du système sans aucune qualification et la proportion de bacheliers par génération ne dépasse pas 37 %. Quant au taux de chômage de nos jeunes, il est de 32 %. Hier, dans Le Journal du dimanche, le haut-commissaire à la jeunesse, M. Martin Hirsch, a lancé un cri d'alarme au sujet de la jeunesse de l'Hexagone ; pour ma part, c'est un cri de rage que je vous pousse, monsieur le secrétaire d'État, au sujet de la jeunesse guyanaise.
Notre richesse humaine, de surcroît, est privée de son droit fondamental à accéder à des soins de qualité, en raison des insuffisances criantes en équipements et en personnels médicaux et paramédicaux. Or nous attendons toujours le plan santé pour l'outre-mer annoncé par Mme la ministre Roselyne Bachelot. Notre richesse humaine est également privée de son droit au logement, puisque la loi DALO n'est pas applicable sur notre territoire.
S'agissant de notre capital naturel, l'exceptionnelle biodiversité de la forêt amazonienne est un apport majeur des outre-mer à la France, et les projets ne manquent pas. Nous travaillons à la création d'un Centre européen de la biodiversité comme alternative au projet aurifère sur le Camp Caïman. Les instituts de recherche ont engagé des travaux sur la problématique de la valorisation des bio-ressources. Ce secteur, comme le tourisme et le spatial, a été identifié comme un secteur-clé à promouvoir par le schéma régional de développement économique de la Guyane.
Mais comment imaginer un aboutissement optimal de ces projets si le fléau de l'orpaillage illégal se poursuit ? Certes, l'article 29 du texte renforce les dispositions du code pénal afin de lutter contre les orpailleurs clandestins. Mais pour que ces mesures donnent des résultats, encore faut-il que les moyens matériels et humains soient mis à la disposition des forces de sécurité, de façon qu'elles puissent remplir efficacement leur mission ; encore faut-il que des solutions soient apportées aux nombreux dysfonctionnements de l'institution judiciaire en Guyane, liés à l'insuffisance grave des moyens humains, matériels et financiers – je sais d'ailleurs que vous avez rencontré, lors de votre bref séjour en Guyane, des personnels de la justice
C'est dire, monsieur le secrétaire d'État, que le développement tel que je l'entend implique une stratégie globale de valorisation des ressources humaines et matérielles propres à un territoire, dans la perspective d'un modèle de société défini par la population concernée. Deux conséquences, au moins, en découlent.
En premier lieu, le développement endogène, qui est mon choix et auquel vous dites adhérer, devra nécessairement s'appuyer sur le renforcement des pouvoirs locaux de décision, en prise avec les aspirations locales. Cette logique n'est hélas pas celle de l'article 29 bis, relatif au schéma minier.
Deuxièmement, et ce sera ma conclusion, sans un engagement fort de l'État dans les domaines qui sont par excellence de sa compétence – éducation, santé, lutte contre l'orpaillage ou logement –, il ne peut y avoir de développement. Les mesures de défiscalisation et d'exonération ne peuvent en aucune façon y concourir seules. Monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement devra, à l'occasion des états généraux, respecter cette obligation républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)