…et avec ou sans trait d'union, sont réduits à quelques filières méritoires qu'il faut soulager à l'aide de béquilles à cause de ce que Michel Rocard appelait « le gang des importateurs ». Votre projet est également soumis à des inconstances : la loi Girardin avait été annoncée pour quinze ans, elle n'en aura duré que cinq. De plus, obstinément maintenu dans le calendrier parlementaire malgré un calendrier social et politique divergent, il est déjà menacé par les correctifs qui surgiront des états généraux.
En attendant, les trois articles nouveaux concernant le pouvoir d'achat et les accords interprofessionnels, qui n'ont qu'une portée facultative, vont servir de cataplasme et faire diversion. Quant à la zone franche d'activités, tonitruée par le Président de la République au temps où il était candidat, elle est réduite, quoi que vous en disiez, à la portion congrue puisqu'il ne s'agit pas d'une zone franche globale en termes d'activités.
Certes, vous consolidez la LBU pour trois ans, sans traiter cependant des difficultés d'accès au logement et de l'aménagement foncier ni, par conséquent, de leurs effets inflationnistes. En insérant dans le logement social le financement par la défiscalisation, vous révélez à quel point l'État, qui a renoncé au financement bancaire de l'économie ultramarine, s'apprête à faire de même pour le financement budgétaire, donc solidaire, du logement social. Alors que celui-ci répond au besoin des familles à revenu modeste et qu'il constitue un bien et un service extrêmement déterminant pour la cohésion sociale, et plus encore décisif pour la justice sociale. Je rappelle qu'au début la défiscalisation devait servir, entre autres, à accompagner et à renforcer le financement bancaire : elle l'a pratiquement remplacé.
S'agissant de la continuité territoriale, au nom des observations formulées par la Cour des comptes, vous prévoyez, monsieur le secrétaire d'État, d'y introduire des conditions de ressources. Jusque-là, rien de choquant, sauf si vous en prenez prétexte pour exclure du dispositif la classe moyenne, celle qui compose la majorité des foyers fiscaux, celle qui cotise sur tout et pour tout, celle qui subit en première ligne la pression sur les équipements publics et qui compense les carences des services publics. Mais comment pourrez-vous faire autrement avec une dotation de continuité territoriale de 50 millions d'euros seulement, destinée essentiellement au secteur aérien, alors que les territoires concernés sont disséminés sur trois océans et comptent au total plus de 2,5 millions d'habitants ? Pour mémoire, je rappelle que 183 millions d'euros, dont plus de 80 millions pour le secteur aérien, sont réservés à un territoire insulaire moins peuplé et plus proche de l'Hexagone – ce qui constitue d'ailleurs un ratio par habitant beaucoup plus réaliste. Certes, je note que vous faites droit à la demande des collectivités – qu'à l'époque j'avais traduite en proposition de loi – d'autoriser la dotation de continuité territoriale à financer la circulation sur le territoire. Mais si l'équation est à somme nulle, ce sont les citoyens qui seront pénalisés et, bien entendu, ce sont ces conditions de ressources qui en constitueront la cause et l'explication.
Concernant les dispositions diverses du projet de loi, elles prévoient des modifications substantielles du code minier. La lutte contre l'orpaillage clandestin est une nécessité, une obligation et une urgence. En effet, cette activité nous appauvrit collectivement, tant sur le plan de la ressource minière que sur celui du patrimoine forestier. Elle compromet la santé publique, met en péril les communautés villageoises et aggrave l'insécurité.
Or vos réponses sont essentiellement répressives : vous durcissez les procédures et les peines judiciaires en les parsemant – c'est une fâcheuse habitude – de quelques exceptions, tel le point de départ de la garde à vue. Mais, surtout, les interventions de terrain restent épisodiques : l'opération Harpie n° 1 a eu d'incontestables résultats, elle a porté des coups sévères à cette activité clandestine et dévastatrice, mais les garimperos ont pu prendre leur mal en patience parce que leur filière économique est organisée, avec ses financiers et ses réseaux d'approvisionnement, avec sa base logistique, ostensiblement installée sur la rive brésilienne de l'Oyapock, dans le parc naturel de Tumucumaque. Sans que ce soit de votre fait, vous n'avez aucune influence sur les paramètres principaux qui déterminent l'accélération ou le ralentissement de cette activité économique, notamment le cours international de l'or. De même, vous ne maîtrisez pas les circuits d'achat, qui passent principalement par les comptoirs brésiliens qui achètent de l'or guyanais surfixé, c'est-à-dire au-dessus du cours international. Par conséquent, vos réponses répressives ont deux limites : la première, c'est l'effectif de gendarmes que vous pouvez affecter de façon permanente à la chasse aux garimperos ; la seconde, c'est la capacité de cette filière économique à suspendre son activité pendant un certain temps.
C'est donc par la voie diplomatique et par un dispositif économique alternatif que l'on pourrait combattre cette activité interlope qui a appris à s'accommoder des coups que vous lui portez, à savoir la destruction des matériels et les saisies d'or. Or force est de constater aujourd'hui que les orpailleurs clandestins ont pris possession du territoire, qu'ils y circulent à l'aise, qu'ils pillent et détruisent en incorporant le coût de l'arrêt forcé de leur activité. Force est également de constater – y compris pour moi-même qui, pendant longtemps, ai proclamé mon hostilité à l'activité aurifère en Guyane, y compris légale – qu'aujourd'hui le nombre d'opérateurs guyanais, artisans et PME, inclus ceux qui ont fait des efforts de réhabilitation des sites et ont investi dans les technologies propres, a fortement diminué : ils étaient une centaine en 1998, ils ne sont plus qu'une dizaine en 2008, dont six en activité. Dans le même temps, le nombre des garimperos, qui se comptaient déjà par milliers, n'a cessé de croître. Il faut donc envisager une activité économique aurifère qui soit respectueuse de l'environnement, de la santé et des modes de vie. Sinon, c'est se résigner à assister, délibérément impuissant, à l'appauvrissement collectif et au dépouillement des générations futures. Lorsque vous placez votre schéma minier au-dessus de toutes les normes d'aménagement et d'urbanisme, vous ne faites que recentraliser sournoisement. On continue pourtant à nous dire que les outre-mer coûtent cher, et chaque euro provenant de l'État est signalé tant de fois qu'il se multiplie tout seul ; alors que rien ne nous est dit de ce que l'État retire des saisies d'or en Guyane, de nos atouts naturels préservés grâce à nos modes de vie et, pour sa diplomatie, de la qualité de nos relations de voisinage : tout cela relève d'une comptabilité invisible.
Faute de chiffres, je vais m'arrêter sur quelques faits.
Ces outre-mer, que l'on résume très volontiers au chômage, à l'insécurité, à l'échec scolaire, à la crise du logement, à l'alcoolisme, aux drogues, aux épidémies, au non-développement, ce sont d'abord essentiellement une extraordinaire diversité sociologique et culturelle, une profonde disparité institutionnelle, des économies fort dissemblables et une très grande variété de revendications et de projets ; ce sont surtout nos lieux de vie et de naissance, d'enthousiasme et d'adversité, de mort et de mémoire, et non juste des appendices, des confettis, de l'autre côté des mers, comme propulsés sur la mauvaise rive de l'océan. La Guyane, aussi vaste que le Portugal, trois fois plus que la Belgique, dix fois plus que Chypre ; l'île de Mayotte, dans le canal du Mozambique, un des plus grands lagons du monde ; la Réunion, si proche de l'Afrique du Sud, Saint-Pierre-et-Miquelon, voisine du Canada ; la Martinique et la Guadeloupe, sur la route des hydrocarbures ; et ce Pacifique, immensité de terres et d'eau, entre Los Angeles et Tokyo, plus vaste que l'Union européenne, vers où glisse, en ce XXIème siècle, le centre nerveux du monde.
Dans ces territoires s'inventent des harmonies culturelles inattendues et des oecuménismes inédits. Mais, souvent, la France ne sait voir que contingences de l'histoire là où il y a déploiement au monde… Ces territoires la propulsent du quarantième au troisième rang des puissances maritimes mondiales, lui procurent 90 % de son patrimoine écologique – forêt amazonienne, barrières de corail –, ce qui assoit son autorité dans les négociations internationales. Ils ont également contribué de façon significative à l'élaboration de sa puissance spatiale et nucléaire. Ils lui fournissent ses dernières activités minières – or, pétrole, nickel. Ils sont au coeur du programme maritime Extraplac, notamment la Guyane et la Nouvelle-Calédonie. Ils lui assurent une notoriété et une sympathie dans ces bassins régionaux, où nous avons développé des relations fraternelles avec nos voisins.
Mais, mieux encore que tout cela, ils offrent à la France l'expérience, grandeur nature, de la mondialisation : dialogue des cultures, école de l'altérité, apprentissage permanent de la coexistence pacifique, inventivité économique, expérience de l'universalité plutôt que de la tyrannie de l'universalisme ; telles sont les expériences au quotidien où se construit cette communauté de destins, malgré les différences et par-delà les distances.
Dès lors, il peut venir des outre-mer ce que Julio Cortázar appelait « ce vent neuf qui, malgré les matraques et les mensonges, fraie son chemin dans l'air fatigué de la vieille Europe ». (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)