Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, enfin nous y sommes ! L'Assemblée nationale est saisie de l'examen de la loi pour le développement économique des outre-mer, dont le chantier à débuté il y plus de dix-huit mois ! Les événements exceptionnels qu'ont connus nos territoires depuis le début de l'année ont sans aucun doute accéléré l'examen de ce texte au Parlement. Si ce projet est très loin de satisfaire l'ensemble des revendications et des attentes des populations ultramarines, il comporte quelques évolutions qu'il convient de saluer. Néanmoins, je ne peux que regretter l'absence de réponses concrètes aux problèmes sociaux fondamentaux qui affectent nos territoires et qui, au nom de la solidarité nationale et de la justice sociale, auraient dû conduire à réviser à la hausse les ambitions de ce texte.
Avant d'entrer dans le détail des mesures, permettez-moi de déplorer vivement les conditions difficiles dans lesquelles s'est déroulé le travail parlementaire. Certes, lorsqu'une nouvelle procédure législative se met en place, il peut y avoir un certain tâtonnement. Toutefois, il n'est pas acceptable de demander à la représentation nationale d'oeuvrer dans une telle précipitation. J'ose espérer que cela résulte de la nouveauté de la procédure et qu'il y sera rapidement porté remède.
Cela dit, abordons le contenu de ce projet de loi Au départ, il nous fut annoncé comme la traduction des engagements de campagne du Président Sarkozy. Mais, à l'arrivée, que de choses perdues en route ! Disparue ainsi la volonté de traiter la problématique éducative ; disparus les engagements relatifs à l'insertion de nos jeunes touchés très violemment par un chômage qui les plonge chaque jour un peu plus dans la désespérance ; disparue également l'ambition de prendre à bras le corps les questions relatives à la santé ; disparu encore le souhait de développer la solidarité et l'égalité des chances.
La liste est longue, tant la réalité budgétaire vous a rattrapé dans l'élaboration de ce projet de loi qui, il y a encore quelques mois, était présenté comme la quintessence en matière d'action publique en faveur des outre-mer. Après les mouvements sociaux qui ont ébranlé nos territoires, ce projet ne constitue désormais « qu'une étape » et un second texte législatif pourrait, nous dit-on, voir le jour sur la base des travaux des Etats généraux de l'outre-mer, voulus par le Président de la République. Bien que l'on puisse comprendre l'intérêt du Gouvernement à agir au plus vite, en soumettant ce projet au Parlement, je regrette, pour ma part, que nous n'ayons pas attendu les conclusions des Etats généraux, afin de les prendre en considération directement dans ce projet de loi. Un second projet de loi, soit. Mais à quelle échéance ? Allons-nous devoir attendre encore dix-huit mois pour répondre aux attentes sociales et humaines de nos populations ?
Au cours de son élaboration, ce projet de loi a évolué. On a ainsi abandonné certaines expressions qui, sans être essentielles, étaient néanmoins très symboliques : par exemple, il n'est plus question de « loi programme », ce qui amoindrit l'importance et la portée du texte. Disparaît également, dans l'intitulé, l'ambition « d'excellence » pour nos territoires dont nous aurons pourtant bien besoin pour relever le défi du développement endogène que vous nous lancez, monsieur le secrétaire d'État !
Nous voici donc face à un texte un peu insipide. L'espoir de changement qu'il avait pu susciter est étouffé dès le départ et il ne pourra ni soulager la détresse de nos populations ni permettre d'affronter une situation économique et sociale qui ne cesse de s'aggraver sous les assauts de la crise. Tous les jours, dans mes rencontres avec les Réunionnaises et les Réunionnais, je constate avec effroi la fulgurante dégradation de leurs conditions de vie.
Les mesures relatives au soutien du pouvoir d'achat contenues à l'article premier visent à permettre la réglementation des prix des produits de première nécessité. Mais pourquoi rester au milieu du gué en rendant cette réglementation facultative ? Auriez-vous peur de modifier les conditions d'une concurrence parfaite ? Nos territoires ne l'ont pourtant jamais connue. Ils sont frappés par des handicaps structurels lourds en raison, d'une part, de leur configuration géographique – insularité, zones de montagne, éloignement – et d'autre part, des contraintes économiques et sociales : taux de chômage élevé, forte dépendance à l'égard des importations, marché étroit et captif.
Il serait donc illusoire de vouloir poser les bases d'une économie libérale traditionnelle, tant les fondamentaux libéraux sont entravés par des éléments difficilement contournables. La réglementation des prix des produits de première nécessité ne doit pas constituer un simple levier d'intervention publique pour inciter les entreprises à jouer un peu plus le jeu. Au contraire, compte tenu des spécificités de nos territoires, réglementer les prix de ces produits est une nécessité.
Quand, à La Réunion par exemple, plus de 52 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et qu'elle ne parvient plus à subvenir à ses besoins premiers, l'Etat peut-il se contenter d'une intervention facultative ? Certes, des accords sur les prix de certains produits y ont été conclus ces derniers jours. Mais c'est que les entreprises, qui n'ont pas joué le jeu de la transparence et de la sincérité économique, craignent le durcissement d'un conflit déjà majeur. C'est pourquoi elles sont prêtes à céder sous la pression. Fallait-il attendre cette poussée de fièvre sociale pour permettre la baisse des prix ? Actuellement, la pression sociale contraint les entreprises à opérer des baisses à la marge, mais pour combien de temps ? J'ai déposé un amendement pour que la réglementation des prix des produits de première nécessité soit impérative. Il n'a, hélas, pas été adopté par la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'Etat, prenez vos responsabilités et encadrez les prix des produits nécessaires pour satisfaire les besoins de base de nos populations.
Toujours au titre du pouvoir d'achat mais également au nom de l'égalité entre les citoyens, ne faut-il pas saisir l'occasion d'instaurer la « continuité téléphonique et numérique » ? J'ai cru comprendre que vous ne souhaitiez pas une réduction du prix de ce poste de dépense devenu quasiment incontournable pour tous les ménages. Votre argument me laisse néanmoins perplexe. Selon vous, il ne faudrait pas « décourager la concurrence par des mesures hâtives ». Mais, là encore, cette concurrence a-t-elle un jour réellement existé ? Nous savons tous pertinemment que ces deux secteurs d'activité sont dominés par des oligopoles, trois entreprises ayant, par exemple, la mainmise sur le marché de la téléphonie mobile. Cette concentration économique limite le niveau de la concurrence tant dans l'hexagone que dans nos territoires. C'est donc pour rétablir une justice sociale mise à mal par de telles pratiques que j'ai déposé plusieurs amendements en commission.
En effet, les outre-mer sont victimes de l'application de tarifs différents de ceux de l'hexagone. En matière de téléphonie mobile, en raison de l'application des coûts d'itinérance, ils sont même considérés comme des territoires étrangers. Les consommateurs, qu'ils soient en métropole ou dans les outre-mer, payent donc beaucoup plus cher leurs communications. Malheureusement, mon amendement en faveur d'une tarification identique aux appels intra-métropolitains n'a pas été voté par la commission des finances.
En revanche, cette dernière a adopté une mesure plus que stupéfiante en ce qu'elle crée une discrimination – n'ayons pas peur des mots lorsqu'ils sont justes – à l'égard des populations d'outre-mer : le rétablissement de la justice sociale ne s'est fait que dans un sens, celui de la métropole vers les outre-mer. Monsieur le secrétaire d'Etat, cette loi pour le développement économique des outre-mer est déjà et restera la « loi Jégo ». Allez-vous accepter que la loi qui porte votre nom instaure une telle discrimination nouvelle au détriment des peuples d'outre-mer ? Je vous le dis comme je le pense : si nous devions en rester là, ces dispositions seraient très mal reçues par nos populations. Elles y verraient à juste titre une disparité de traitement de plus mais, surtout, un considérable manque de respect.
Sur ce chapitre de la téléphonie, vous avez explicité votre position devant la commission des finances. Vous avez souhaité étendre le champ de la facturation à la seconde aux territoires ultramarins. C'est une avancée, certes, mais qui n'a pas la même portée que l'égalité des prix. Vous désirez également faire établir par l'Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes un rapport sur les conditions de la formation des prix dans la téléphonie mobile et dans le secteur d'Internet. Ces mesures sont utiles certes, mais quelles seront les actions concrètes menées par la suite et quand ? C'est la réponse à ces questions qui intéresse nos populations.
Celles-ci se préoccupent aussi fortement des problèmes de logement. Dans ce domaine, comme dans les autres, les défis à relever sont de taille ! Selon les prévisions, la croissance démographique sera forte dans les vingt prochaines années. A La Réunion par exemple, l'INSEE prévoit un millions d'habitants d'ici 2030. Loger cette population nouvelle, c'est l'un des défis les plus considérables que nous aurons à relever.
Or, actuellement, à La Réunion, comme dans les autres départements d'outre-mer, la construction du logement social est en panne ! Alors que l'on réalisait 2366 logements locatifs sociaux et très sociaux en 2005, nous en avons produit péniblement 1401 en 2007. Les acteurs du logement social se heurtent aux difficultés récurrentes du secteur. Les opérations mises en chantier arrivent à peine à couvrir le flux des nouvelles demandes et ne parviennent pas à résorber le stock des 26000 demandes en souffrance. Cette situation, d'ores et déjà très inquiétante, va le devenir d'autant plus avec l'entrée en vigueur progressive, depuis le 1er janvier 2008, de la loi relative au droit au logement opposable.
Les difficultés rencontrées sur le terrain sont croissantes. Tout d'abord, le renchérissement du prix du foncier ces dernières années rend le montage des opérations de plus en plus délicat pour les bailleurs sociaux. Boucler un budget pour la construction de logements sociaux est devenu un véritable casse-tête qui oblige les opérateurs, d'une part, à prendre des risques financiers plus importants et, d'autre part, à réaliser des montages dont les bases juridiques pourraient être contestées puisqu'ils cumulent les subventions de l'Etat avec les bénéfices offerts par la défiscalisation.
Les prises de risques sont considérables, c'est pourquoi, il convient de consolider deux aspects.
En premier lieu, il faut absolument sacraliser la ligne budgétaire unique comme l'instrument privilégié de la construction de logements sociaux – je ne suis pas le premier à le dire. Cette sacralisation ne doit pas se limiter à une affirmation incantatoire, elle doit se traduire par un réel effort financier, constant et croissant dans le temps. Le niveau de la ligne budgétaire unique semble garanti grâce à la programmation pluriannuelle ; néanmoins, rien n'est définitivement acquis compte tenu notamment des évolutions budgétaires à venir.
En second lieu, pour permettre aux opérateurs de boucler le financement de leurs projets, il convient de modifier les dispositions réglementaires du code de la construction et de l'habitation qui interdisent le cumul de la ligne budgétaire unique et de la défiscalisation. En effet, dans certains cas, notamment en centre-ville, ce dispositif est le seul susceptible de faire sortir de terre des logements sociaux. Faisons donc preuve de pragmatisme pour une meilleure efficacité en veillant toutefois à ce que le cumul de ces deux dispositifs produise des effets positifs, et qu'il ne devienne pas un argument majeur pour justifier une baisse du niveau de la ligne budgétaire unique, ce qui serait dramatique.
Pour tenter de relancer la construction de logements sociaux, le Gouvernement a souhaité la réorientation des dispositifs de défiscalisation vers ce secteur. Si ce principe peut être légitime, je tiens néanmoins à faire part de certaines réserves.
Tout d'abord, je considère que confier aux intérêts particuliers la mission d'oeuvrer en faveur de l'intérêt général constitue un pari osé. J'observe d'ailleurs que l'on ne l'impose pas à la France hexagonale. Pourquoi une telle différence de traitement ? Si l'on considère qu'il s'agit d'un outil performant pourquoi, paradoxalement, le réserver aux seuls outre-mer ? La question mérite d'être posée.
Ensuite, sur un plan plus pratique, je crains que le plafonnement des niches fiscales ne vienne brider l'efficacité du dispositif. Je comprends parfaitement la position qui consiste à vouloir réintroduire de l'efficacité et de la justice sociale ; toutefois, la défiscalisation outre-mer est bien plus qu'un ensemble de niches fiscales : elle constitue un apport financier vital pour nos territoires, et l'on peut toujours craindre que la concurrence avec d'autres dispositifs de défiscalisation ne vienne mettre en péril cette ressource indispensable. C'est pourquoi le législateur, dans ses décisions, doit constamment prendre en compte ce danger afin de ne pas réduire à néant les avantages comparatifs que présentent les investissements dans les outre-mer.
J'ajoute, enfin, que la réorientation de la défiscalisation repose, à mon sens, sur des fondations fragiles. En effet, les aménagements fonciers, clef de voûte de la construction de logements, sont de plus en plus coûteux. Rien ne sert de vouloir intensifier la construction de logements sociaux si les investissements en matière d'aménagement du foncier ne sont pas suffisants. Il eût été utile de prendre à bras-le-corps ce problème qui conditionne pour partie la réussite de votre pari : il est encore temps de le faire.
Traiter la question du logement dans les territoires ultramarins, c'est mener une réflexion sur le parcours locatif afin d'améliorer la rotation des logements. L'une des pistes à explorer pour contribuer à la refonte de la politique en la matière consiste aussi à permettre l'évolution de la situation des locataires pour qu'ils accèdent, à terme, à la propriété. Travailler sur la problématique du foncier dans les départements d'outre-mer, c'est enfin oeuvrer pour un meilleur équilibre entre la nécessité de poursuivre le développement urbain et l'indispensable préservation des terres agricoles, tant l'agriculture peut être une source de développement endogène pour nos territoires.
À cet égard, je reste perplexe quant à la position du Gouvernement au sujet de la valorisation de la bagasse de canne à sucre. Depuis plus de quinze ans, elle est utilisée comme combustible pour la production d'électricité, et l'injustice qui frappe cette biomasse est lourde de conséquences pour la croissance et la diversification de la filière. Loin de relever d'une action d'assistanat déguisé, comme on le murmure ici ou là – et parfois peut-être dans certains ministères –, cette valorisation constitue une solution non seulement pour la pérennisation d'une filière tout entière mais aussi pour l'amélioration des conditions de vie des planteurs de canne à sucre. Valoriser le prix d'achat de la bagasse destinée à la production électrique revient donc à soutenir le développement endogène de ce secteur d'activité.
Monsieur le secrétaire d'État, soyez en cohérence avec vous-même ! Je connais votre position personnelle à ce sujet. En revanche, je déplore fermement les incohérences gouvernementales entre les décisions prises et les beaux discours sur la volonté de privilégier les énergies renouvelables. Le Gouvernement ne pourra pas longtemps tenir un double langage entre les objectifs affichés et les actes. Que serait le Grenelle de l'environnement – sinon un voeu pieux – si nous n'aboutissions pas sur ce dossier ? Que dire du projet baptisé GERRI, dont l'objectif affiché n'est rien de moins que de faire de La Réunion d'ici à 2030 le modèle français en matière d'autonomie énergétique – ce projet a reçu le soutien explicite du Président de la République – si nous ne sommes pas capables aujourd'hui de gravir la première marche ?
En outre, au-delà du rétablissement de l'égalité de traitement que demande à juste titre l'ensemble de la profession, cette valorisation est l'avenir de la filière canne, sucre, rhum, bagasse – vous notez, monsieur le secrétaire d'État, que je reprends les termes que vous avez employés devant la commission des affaires économiques.
Ainsi, les recherches sur la canne à sucre se poursuivent et portent leurs fruits : les performances des nouvelles variétés de canne l'attestent. L'enjeu est donc aussi économique. Il s'agit de consolider les ressources financières de la filière, dont l'avenir est incertain. Les discussions au sujet des accords de partenariat économique avec les pays ACP, nos voisins immédiats, font planer une menace de plus sur nos économies. L'avenir plus que problématique de la politique agricole commune dans une configuration budgétaire contrainte, tout comme la renégociation de l'OCM sucre, exigent de nous la plus grande vigilance et nous interdisent de négliger toute marge de manoeuvre apte à consolider l'économie de nos territoires.
L'amendement adopté par la commission des finances constitue une reconnaissance politique de la bagasse de canne à sucre. Néanmoins, il ne va pas assez loin et il aura même des effets négatifs non désirés très importants. Il convient impérativement de revenir sur sa rédaction comme je le propose dans mes amendements. J'espère vivement que vous saurez prendre cette direction. Du choix que fera le Gouvernement dépend désormais la pérennisation de toute une filière et le maintien ou la disparition de dizaines de milliers d'emplois.
Monsieur le secrétaire d'État, le traitement de l'ensemble des difficultés ultramarines prendra du temps. Beaucoup souhaitent rompre avec ce qu'ils qualifient de « politique de l'assistanat », comme si les départements et territoires d'outre-mer se laissaient tranquillement porter sans oeuvrer pour leur propre avenir. Cette vision, qui travestit et dénigre tous les efforts menés au niveau local, nie les potentiels et les atouts que nos territoires offrent à la France. Certains ne voient en nous qu'un passif comptable alors que nous sommes aussi et surtout un formidable capital humain.
Mes chers collègues, je pense que, par-delà nos différences politiques, nous avons tous les mêmes objectifs. Nous voulons promouvoir le développement des territoires ultramarins grâce au traitement des décalages et à la prise en considération de leurs spécificités.
Les attentes et les espérances des populations sont fortes. Les aspirations quant à l'amélioration de la condition humaine dans nos régions n'ont jamais été aussi pressantes. Nous n'avons pas le droit de les décevoir.
C'est pourquoi, sans concevoir trop d'illusions sur le résultat de notre démarche, nous avons voulu contribuer à l'amélioration significative de l'efficacité et de l'efficience de ce projet de loi. Les amendements que nous avons déposés aspirent à le modifier dans le bon sens. Avec votre aide, monsieur le secrétaire d'État, j'espère que nous pourrons y parvenir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)