Mon rapport est relatif aux deux accords de coopération bilatérale en matière de sécurité intérieure, l'un avec la Croatie et l'autre avec la Slovénie, signés tous les deux le 10 octobre 2007 à Paris par la Ministre de l'Intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Comme il est d'usage, un questionnaire a été adressé au ministère des Affaires étrangères et européennes pour préparer mon rapport, à charge pour ses services de solliciter, en l'occurrence, le ministère de l'Intérieur pour obtenir les éléments de réponse complémentaires nécessaires. Or les réponses au questionnaire transmis dans la troisième semaine de décembre ne me sont parvenues qu'hier après-midi. Par conséquent, Monsieur le Président, je souhaitais vous demander d'intervenir auprès des deux ministres concernés pour que de tels retards ne se reproduisent pas.
Bien que voisines, faisant toutes deux partie des Balkans occidentaux et figurant depuis le 25 juin 1991 parmi les États successeurs de l'ex-Yougoslavie, la Slovénie et la Croatie connaissent des situations assez contrastées. En particulier, la Slovénie compte depuis le 1er mai 2004 parmi les États membres de l'Union européenne ; elle a d'ailleurs assumé la présidence du Conseil de l'UE au premier semestre de 2008. La Croatie, en revanche, n'est encore que candidate à l'adhésion. Alors qu'elle n'a acquis son indépendance qu'au prix d'un conflit meurtrier achevé en 1995, et n'a recouvré qu'en 1998 la pleine souveraineté sur l'ensemble de son territoire, elle est à l'heure actuelle l'un des trois États candidats pour lesquels les négociations sont en cours, aux côtés de l'Ancienne République yougoslave de Macédoine et de la Turquie. La Croatie est cependant, de l'avis général, avec 22 chapitres de négociations ouverts sur 35 (dont 2 sous présidence française) et 7 chapitres provisoirement clos (dont 5 sous présidence française), la mieux placée des trois candidats en vue d'une adhésion qui pourrait intervenir dès 2011, selon les projections les plus optimistes – et sous réserve de la levée du blocage slovène dû à différend frontalier.
De façon plus générale, la Slovénie est un État à l'économie prospère − du moins l'était-elle avant la survenue de la crise économique −, un État membre de la zone euro et de l'espace Schengen, disposant d'un PIB par habitant de 22 000 euros en parité de pouvoir d'achat (contre 27 600 euros pour la France). Ses négociations d'adhésion à l'OCDE sont en cours.
La Croatie est près de trois fois plus étendue et plus de deux fois plus peuplée que la Slovénie, mais elle dispose d'un PIB par habitant qui n'atteint pas la moitié de celui de sa voisine, et elle est située vingt places derrière elle en termes d'indice de développement humain. Ce n'est qu'en 2000 que la page de la présidence nationaliste de feu Franjo Tudjman – décédé fin 1999 – a été tournée. La voie était alors ouverte à la démocratisation du régime et à la fin de son isolement, un mouvement confirmé et amplifié depuis lors sous la houlette du Président Mesic. Sur le chemin de son adhésion à l'Union européenne, sans grand changement par rapport à 2007 et comme le commissaire à l'élargissement Olli Rehn est venu nous l'exposer ici même en novembre dernier, le dernier rapport de progrès de la Commission précise les domaines prioritaires dans lesquels la Croatie doit encore s'améliorer dans les faits, et non pas seulement dans ses textes normatifs : elle doit faire des efforts en matière de droits des minorités et de retour des réfugiés, procéder à des réformes du système judiciaire et de l'administration publique, et mieux lutter contre la corruption et le crime organisé.
Ce dernier élément de contexte me semble rehausser l'intérêt que présentent les accords de coopération en matière de sécurité intérieure soumis à l'approbation de notre Assemblée. Nous avons déjà pu depuis quelques années examiner un certain nombre de ces accords types, destinés à renforcer la cohérence de notre action bilatérale dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Pour m'en tenir à des exemples qui concernent l'Europe orientale et l'Asie centrale, je mentionnerai les accords signés avec la Pologne en 1996, la Roumanie, la République tchèque et la Hongrie en 1997, la Slovaquie en 1998, le Tadjikistan, l'Ukraine et la Bulgarie en 2002, l'Ancienne République yougoslave de Macédoine et la Russie en 2003. D'autres accords du même type sont en cours de ratification ou en projet dans la région, avec l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie et la Moldavie.
À l'évidence, nous avons besoin de coopération en matière de sécurité intérieure avec les Balkans, et la Croatie comme la Slovénie sont couvertes par l'action du pôle interministériel de lutte contre la criminalité organisée dans les Balkans. Ce pôle est implanté depuis septembre 2004 au sein de notre ambassade à Zagreb. Il a pour mission d'assurer l'alerte politico-stratégique et l'animation opérationnelle du dispositif français déployé dans onze pays de la région. Il est composé d'un magistrat, d'un lieutenant-colonel de gendarmerie, d'un inspecteur principal des douanes, d'un commissaire divisionnaire et d'un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, coordonnateur diplomatique de la structure.
Les deux accords dont je vais indiquer le contenu visent à consolider juridiquement notre coopération en matière de sécurité intérieure et à l'intensifier, sachant que des attachés de sécurité intérieure sont déjà en poste dans nos ambassades à Zagreb et à Ljubljana. Les différences entre chacun des deux accords bilatéraux ne sont que de détail. Tous deux reprennent le même schéma, à savoir : une liste des domaines de coopération technique et opérationnelle, une clause de sauvegarde, des précisions relatives aux modalités de coopération ainsi qu'aux conditions concrètes de sa mise en oeuvre, des stipulations relatives à la protection des données personnelles, et enfin des stipulations finales classiques.
Les domaines de coopération sont visés en termes quasi identiques, à l'article 1er de chaque accord. Il s'agit de la lutte contre la criminalité organisée, contre le trafic illicite des stupéfiants, contre la traite des êtres humains et les trafics illicites d'organes, contre le blanchiment, contre le terrorisme, contre le trafic d'armes et de produits chimiques, contre le trafic des biens culturels, contre les faux et contrefaçons, contre le trafic de véhicules volés. Une assistance mutuelle est prévue en matière de sûreté des moyens de transport, de police technique et scientifique, de maintien de l'ordre et de formation. Je précise que ces listes ne sont pas limitatives et que la coopération peut donc s'élargir encore.
La clause de sauvegarde, contenue dans l'article 2 de chacun des textes, est habituelle dans ce type d'accord portant sur des sujets éminemment sensibles. Elle permet à chacune des Parties de refuser une demande de coopération adressée par l'autre Partie, en invoquant sa propre souveraineté, l'ordre public, les droits fondamentaux de la personne, ou bien sa législation interne. Les articles 3 à 5 de chacun des accords détaillent les modalités de la coopération par échange d'informations et de compétences. L'article 6 de l'accord avec la Croatie, qui précise les formes de la coopération technique, est en fait repris en substance à l'article 1er de l'accord avec la Slovénie. La symétrie demeure la règle pour les trois articles relatifs aux aspects pratiques de la coopération, tels que la désignation des autorités responsables de leur mise en oeuvre, ou encore le financement des actions envisagées.
Une particulière attention est portée à la protection des données nominatives susceptibles d'être échangées dans le cadre de chacun des accords : il s'agit, dans les deux textes, de l'article le plus détaillé. Il vise à ne faire s'échanger que les données nominatives strictement nécessaires, ainsi qu'à réglementer les modalités de consultation, de rectification, de conservation et de destruction de ces données. Dans le prolongement de cet article, les Parties s'assurent mutuellement le traitement confidentiel des informations identifiées comme telles.
Quant aux stipulations finales, relatives à l'entrée en vigueur, à la modification et à la dénonciation des accords, elles paraissent des plus classiques. Je note toutefois de légères incohérences : d'une part, l'accord avec la Croatie ne mentionne in fine aucune durée de validité, alors que l'hypothèse de non-reconduction de l'accord est envisagée plus haut dans le corps du texte. D'autre part, l'accord avec la Slovénie est expressément conclu « pour une durée illimitée » dans les stipulations finales, alors même que l'hypothèse de non-reconduction est, là aussi, évoquée plus haut. Les réponses à mon questionnaire, qui viennent donc de me parvenir, reconnaissent ces petites imperfections.
Quoi qu'il en soit, je ne vois là rien qui soit de nature à me dissuader de vous proposer de donner un avis favorable aux deux projets de loi qui nous sont soumis, et qui sont le fruit de plusieurs années de négociations bilatérales. Ces accords, déjà ratifiés respectivement par la Croatie et la Slovénie, permettront de renforcer la lutte contre le terrorisme et contre la criminalité organisée sous toutes ses formes, aux portes de l'Union européenne ou en son sein même.
Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte à l'unanimité les projets de loi (nos 1103 et 1104).