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Intervention de général d'armée Jean-Louis Georgelin

Réunion du 10 septembre 2008 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

général d'armée Jean-Louis Georgelin :

Vos questions sont nombreuses… La première d'entre elles porte sur l'équipement des soldats français en Afghanistan. D'une manière générale, on fait la guerre avec les moyens dont on dispose au moment où elle nous surprend. L'état de préparation d'un pays qui doit faire face à des opérations militaires résulte de décisions prises antérieurement. Notre pays est engagé en Afghanistan et nous redécouvrons la réalité des opérations de guerre. Les Américains l'avaient redécouverte avant nous, puisqu'ils déplorent 580 morts, sans compter les 100 morts canadiens. Jusqu'à présent, nous nous trouvions dans la région Centre, où les menaces étaient essentiellement liées à des attentats par IED ou à des attaques suicides.

Il est évident que l'armée française se déploie en Afghanistan avec les moyens que les budgets et les lois de programmation successives lui ont accordés. Je ne souhaite pas polémiquer sur ce sujet, mais certains programmes ne bénéficient pas des mêmes soutiens que d'autres, plus emblématiques, et que ce sont eux qui sont les premiers amputés. C'est ainsi que le VBCI – véhicule blindé de combat d'infanterie – a environ cinq ans de retard. Ces retards sont liés à l'ensemble du processus de décision – je n'accuse naturellement personne. Quoi qu'il en soit, la qualité d'une unité tient autant à son commandement, à son entraînement et à son leadership qu'à ses équipements. Chacun sait qu'au combat, la force morale et la détermination des personnes sont un élément important du succès.

Après ces quelques considérations d'ordre général, j'en reviens à votre question sur l'équipement de notre armée. Je dispose d'un dossier qui met en évidence les effets des IED – Improvised explosive devices – sur les véhicules de la coalition. Tous ces véhicules, y compris les Humvees américains et les véhicules canadiens, ont, à un moment ou à un autre, été complètement détruits par un IED, même si les effets de ceux-ci sont liés à des facteurs conjoncturels : position et volume de la charge, position du véhicule par rapport à l'IED. Jusqu'à présent, dans les attentats à l'IED, nos VAB – véhicules de l'avant blindés – ont plutôt bien résisté. Et je refuse le procès qui nous est fait d'envoyer nos soldats au combat la poitrine nue. C'est faux ! Nous avons valorisé les VAB en les rendant les plus performants sur le plan du blindage et du brouillage électronique face aux IED.

S'agissant du bataillon que nous avons envoyé dans la région de Kapisa, le 8e RPIMa, nous avons accompli un effort considérable en matière de formation et d'équipement. Cela dit, nous connaissons les faiblesses du VAB : il serait préférable que les servants de mitrailleuse ne soient pas obligés de s'exposer. C'est ainsi qu'un soldat a été tué il y a un an dans la région du Wardak, dans le cadre des OMLT (Operational mentoring liaison teams).

Cela est passé totalement inaperçu, mais nous avons déployé récemment une équipe d'OMLT de Kaboul à Kandahar, ce qui correspond à près d'une dizaine d'heures de route. Lors de ce mouvement, cette équipe a été accrochée six fois par les rebelles, accrochages qui prennent l'appellation de TIC (Troops in contact), selon le nouveau jargon de l'OTAN. Notre OMLT a en particulier subi un attentat suicide : un insurgé s'est servi d'une moto bourrée d'explosif pour attaquer leurs VAB, mais personne n'est mort et il n'y a eu aucun blessé grave.

Depuis le 18 août dernier, le bataillon du 8e RPIMa est en contact quotidien avec les talibans dans les vallées autour des FOB de Nijrab et de Tagab, et il est amené à ouvrir le feu. Nous ne comptons aucun blessé, ce qui tend à prouver que notre équipement n'est pas aussi déficient que certains le prétendent, avec une certaine complaisance. De la même manière, j'ai été très choqué de découvrir, à l'occasion des débats qui ont suivi la parution du Livre blanc, le procès en misérabilisme fait à l'armée française, procès qui éclatait après avoir entendu chanter les éloges de nos armées en opération.

Je ne dis pas que tout est bien. Comme nos partenaires, nous devons améliorer la protection de nos véhicules, accélérer un certain nombre de programmes, et, lorsque c'est nécessaire, procéder à des achats de matériel sur étagère. Mais cessons de dire que nous sommes moins bien équipés que les autres, car ce n'est pas juste. L'expérience nous montre que nos alliés, dans les conditions particulières d'un combat, peuvent eux aussi se trouver exposés, quelle soit la qualité de leur équipement. La meilleure protection du soldat, je le répète, c'est d'abord son entraînement, la qualité de ses chefs et, dans ce type de conflit, le renseignement, c'est-à-dire notre aptitude à être renseignés, sur le terrain, sur les intentions et les capacités de l'adversaire.

Je vais répondre à votre question sur l'OEF, la FIAS, et les victimes civiles. Il y a effectivement deux opérations en Afghanistan : l'OEF, à dominante américaine, lancée après les attentas du 11 septembre, dans la mouvance de la lutte antiterroriste, et la FIAS, qui s'est progressivement étendue à l'ensemble de l'Afghanistan, conformément aux phases 1, 2 et 3 du plan de l'OTAN.

Je suis convaincu que l'unité de commandement est préférable à des commandements séparés. Cela me paraît plus clair. Une telle unité permettrait d'éviter un certain nombre de difficultés et de malentendus qui ont des conséquences sur les populations : en effet, chaque fois qu'une action génère des victimes civiles, cela fait le jeu des insurgés. Je vous précise que je n'oppose pas le mot « insurgé » à celui de « terroriste », ce dernier se recrutant parmi les insurgés. Je suis donc favorable à une unité de commandement.

Les États-Unis, qui représentent 50 % des dépenses mondiales consacrées à l'armement et 40 % des effectifs déployés en Afghanistan, comptent à ce jour 580 morts : il faut comprendre que face à des nations qui « caveatisent » à outrance leurs unités, qui restent dans leur FOB comme dans un bunker, au lieu d'aller sur le terrain pour remplir leurs missions – comme le font les nôtres – , les États-Unis sont enclins, compte tenu de leur immense supériorité matérielle, à prendre des dispositions pour assurer la sécurité de leurs troupes.

Vous m'interrogez sur les victimes civiles. Je suppose qu'il s'agit de l'information selon laquelle 90 personnes auraient été tuées à cause d'une erreur de la coalition. Bien entendu, cela a été démenti par le général qui commande la FIAS. Je dirais, pour ma part, que la vérité n'est pas in between mais plutôt du côté de celui qui a déclenché l'opération. Je m'explique. La coalition a obtenu un renseignement selon lequel des chefs talibans, des seigneurs de la guerre et des trafiquants de drogue devaient se réunir. Ayant eu connaissance de ce renseignement, la coalition a décidé de traiter l'objectif et de le détruire. Voilà la thèse officielle. Hélas, trois enfants qui se trouvaient là ont été tués.

L'ONU, sans prendre le temps de consulter le commandant de la FIAS, a immédiatement publié un communiqué, par le biais de ses services sur place, reprenant les déclarations des autorités afghanes, sur la mort de 90 personnes. Il eût été préférable qu'un minimum de coopération existe entre les différents acteurs internationaux qui se soucient de l'avenir de l'Afghanistan.

Dans cette affaire, on retrouve le problème habituel d'une approche américaine fondée sur la notion d'écrasement de l'adversaire. Cela se passe différemment dans le cadre de l'OTAN, où les règles d'engagement sont définies selon des protocoles extrêmement précis.

Dans cette affaire, on retrouve aussi les préoccupations du président Karzaï qui, à la veille d'une campagne électorale, prend ses distances avec la coalition puisqu'il a souhaité que soient revues les conditions de son déploiement. Naturellement, s'il signifiait à la coalition qu'il n'a plus besoin d'elle, elle se retirerait. Cela réglerait le problème, mais les talibans reviendraient au pouvoir.

J'en viens à la question de la durée du séjour de nos soldats sur le terrain. J'ai personnellement souhaité que celle-ci passe de quatre à six mois. Pourquoi ? Permettez-moi d'employer un anglicisme, mais il faut que les soldats et leurs chefs, sur le terrain, soient in the mood, qu'ils soient pénétrés de l'esprit de leur mission. Or, quatre mois ne suffisent pas : on arrive, on met un mois pour s'installer, on remplit sa mission pendant deux mois et l'on repart. Les Américains, quant à eux, restent plus d'un an sur le terrain. Le général américain qui commande la RC-Est est là depuis quinze mois. On ne peut pas conduire des actions de ce genre si les personnes ne passent pas un certain temps sur le terrain. J'ai entendu les réactions provoquées par ma prise de position : j'en ai d'ailleurs discuté avec les soldats du 8e RPIMa et ceux du 3e RPIMa, qui va remplacer le régiment de marche du Tchad. Comme je l'ai déjà indiqué, je suis très préoccupé par la banalisation du métier militaire. J'estime qu'un soldat doit être capable de partir six mois en opération, et qu'il doit être soutenu par sa « base arrière ». Je sais bien que la décision d'allonger la durée du séjour de nos soldats sur le terrain a suscité de nombreuses réticences de la part des familles. Il sera d'ailleurs intéressant d'observer l'impact de cette affaire du col d'Uzbeen sur nos recrutements et sur les contrats des personnes actuellement sur le terrain ; je suis pour ma part convaincu qu'il sera faible.

Comme vous l'avez sans doute vous-mêmes constaté, j'ai été frappé par la détermination de nos soldats sur le terrain. Cette affaire a provoqué une prise de conscience et stimulé leur détermination car elle rappelle à chacun ce que signifie« être soldat ». Il est vrai que, depuis, dans de nombreuses familles, on incite les jeunes à ne plus s'engager. Les Américains ont connu cela. Pour en avoir discuté avec mon homologue britannique, je sais que toutes les armées qui s'engagent dans des opérations plus dures connaissent un temps d'ajustement ; nous n'y échapperons pas. Je pense malgré tout qu'il convient d'augmenter la durée des séjours si l'on veut que nos unités soient plus performantes, leurs chefs davantage in the mood, dans l'esprit de la mission, et leur instinct mieux aiguisé. Dans ce type d'opération, il faut sentir les choses. Pour cela, il faut être immergé, et cela n'est possible qu'en passant un certain temps sur place.

J'en viens à la question de la visite des familles sur le théâtre des opérations. La décision a été prise, je ne ferai donc aucun commentaire. Je vous rappelle simplement que nous avions fait la même chose – dans un contexte très différent – pour les victimes de Bouaké, dont les familles avaient été invitées à se rendre sur le terrain. Il est évident que l'exercice deviendrait difficile si le rythme de nos pertes s'accélérait.

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