J'ai participé à presque toutes les réunions de cette mission et, une fois de plus, je voudrais bien différencier le travail scientifique de l'histoire et le travail affectif de la mémoire. Ce n'est pas un hasard si, dans l'intitulé de cette table ronde, « histoire » est au singulier et « mémoires » au pluriel.
Pour autant, si nous voulons discuter sérieusement, il faut que vous fassiez tous preuve d'un peu d'honnêteté historique et, quand vous citez un texte, que vous évitiez de le déformer. Je suis l'auteur de l'article 4 de la loi du 23 février 2005. Ni le terme de « colonie » ni celui de « colonisation » n'y figurent. Le texte se réfère à « la présence française outre-mer », ce qui est tout à fait différent car cette présence n'a pas cessé avec les colonies : la France est toujours présente outre-mer, Dieu merci !
Mon amendement a été voté quatre fois par les parlementaires avant d'être déclassé pour des raisons qui m'échappent. Si vous vous reportez aux arguments que j'ai développés pour le soutenir, vous remarquerez que je n'ai donné que des exemples médicaux : ainsi Laveran et la lutte contre la malaria en Algérie. Au demeurant, la présence médicale de la France outre-mer est aujourd'hui encore très forte.
L'article 4 comporte en outre l'expression « en particulier » : jamais il ne s'est agi d'obliger les historiens à dire du bien de la présence française outre-mer. Il s'agit simplement de rappeler que la France a fait aussi de bonnes choses. Cela dit, dans un texte consacré aux rapatriés, nous avons eu tendance, je l'admets bien volontiers, à mettre plutôt l'accent sur le côté positif. Mais ce n'était nullement exclusif : relisez le texte !
Sachez enfin, Monsieur Aounit, que cet amendement trouve son origine dans une discussion que j'ai eue avec de jeunes musulmans de ma circonscription qui regrettaient que l'on ne parle jamais de leurs parents et de leurs grands-parents qui se sont battus pour la France et qui, en particulier, l'ont libérée. J'ai donc voulu que l'on en parle. Je vous renvoie à la suite de l'amendement, qui mentionne explicitement « la place éminente » à laquelle ont droit les combattants de l'armée française issus de l'outre mer et les sacrifices qu'ils ont consentis.
Ce que dit le texte, c'est que, lorsque l'on veut bâtir une communauté nationale, il ne faut pas opposer les mémoires des communautés particulières. Il faut au contraire susciter un véritable sentiment de communion nationale, et donc insister davantage sur ce que chacun a fait de positif pour l'autre que sur les éléments négatifs. Je suis bien entendu favorable à ce que l'on prenne en compte les souffrances mais ne pensez pas que l'on puisse construire une union nationale sur les souffrances des uns et des autres, en accusant les pères des uns des souffrances des pères des autres. Je préfère que l'on dise : « Si tu as été sauvé, c'est grâce au père de celui qui est en face ».
Je continue à déplorer que l'on ait sacrifié ce texte au politiquement correct car son intention était excellente et on n'en cite jamais la rédaction exacte. Quoi qu'il en soit, efforçons-nous d'éviter que la coexistence des mémoires empêche l'existence d'une mémoire de la communauté nationale et l'existence d'une histoire des historiens à vocation scientifique, même si elle reste une science « humaine ».