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Intervention de Mouloud Aounit

Réunion du 16 septembre 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Mouloud Aounit :

Je remercie la mission d'information d'avoir convié le MRAP à contribuer à cette réflexion et me réjouis de cette volonté de trouver désormais les conditions de l'apaisement et de la coexistence sur des problèmes éthiques très importants. La consultation et la concertation auraient notamment pu permettre d'éviter les incompréhensions et les blessures qu'a engendrées la loi du 23 février 2005. Il est de bonne méthode d'entendre des gens qui, modestement, peuvent apporter une petite pierre à l'édifice du « vivre ensemble ».

Les questions de mémoire ne représentent pas seulement un enjeu du passé car il est important de reconnaître le passé pour comprendre le présent et pour construire l'avenir. La communauté nationale est composée d'hommes et de femmes qui, par leurs parents, leurs grands-parents, ont eu affaire avec l'histoire de France. On ne pourra construire le vivre ensemble sur l'oubli, le sentiment de mépris ou l'occultation de certaines douleurs.

J'ai grandi et je vis en Seine-Saint-Denis où, dans les quartiers populaires, la question de la mémoire ne fait pas l'objet d'un débat permanent mais où la quête de reconnaissance est immense. Après trois générations, on continue d'appeler les enfants français qui y vivent des « Français issus de l'immigration » – ce qui signifie toujours « issus de l'immigration des ex-colonies ».

La quête de reconnaissance est liée aux humiliations que provoquent les discriminations, lesquelles sont aussi, d'une certaine manière, le prolongement d'une histoire pas totalement reconnue et assumée, et trahissent la persistance des stéréotypes et des préjugés. Ces blessures quotidiennes sont d'autant plus vives que les humiliations subies par les parents sont oubliées, niées. Or, on ne pourra construire le « vivre ensemble » avec ces populations si l'on reste sur des négations et des trous de mémoire.

Pour apporter un apaisement à ces questions, la volonté politique est importante mais insuffisante. Il faut aussi créer les conditions de l'apaisement. Or il existe aujourd'hui un terrible poison : cette logique qui tente d'organiser une hiérarchie des souffrances et une concurrence des victimes et des mémoires. Cette logique, il faut la combattre sans faiblesse. En même temps, je suis de ceux qui pensent qu'il faut que toutes les populations vivant en France aient une connaissance égale de leur histoire. Aujourd'hui, certaines mémoires se trouvent dans des angles morts. Il faut donc se donner les moyens du travail de connaissance, à commencer par l'accès aux archives, mais aussi d'une reconnaissance officielle de ce que la France a pu faire au nom du peuple français. On a procédé à certaines reconnaissances légitimes, par exemple au sujet de la participation aux forfaits du nazisme ou en reconnaissant l'esclavage comme crime contre l'humanité, mais la question coloniale est manquante.

Ce n'est pas tout de dire qu'il ne faut pas entrer dans des logiques communautaires : il faut qu'il y ait un partage de l'ensemble des mémoires. C'est à cette condition que l'on pourra terrasser la logique de concurrence. Nous accusons aujourd'hui un retard immense vis-à-vis des populations issues de l'immigration des ex-colonies.

Je souhaite également souligner que le communautarisme résulte parfois d'une logique d'exclusion : on se renferme sur soi, sur sa communauté, sur son histoire, et l'on dresse des murs là où l'on devrait créer des passerelles de partage et de connaissance.

Un autre poison mortel est l'instrumentalisation des mémoires. Le terrible article de la loi du 23 février 2005 sur les bienfaits du colonialisme est une véritable provocation à l'égard des enfants issus des ex-colonies, qui sont précisément en quête de reconnaissance. Au-delà du fait qu'il n'appartient pas aux parlementaires d'écrire l'histoire – laissons cela aux historiens et aux citoyens –, cette loi organise une différence, voire une discrimination, et ravive une logique de concurrence avec les harkis en ouvrant à des personnes de l'OAS (Organisation de l'armée secrète) des possibilités d'indemnisation.

Il faut aussi savoir que certains peuvent utiliser les questions mémorielles pour régler des problèmes politiques dans d'autres pays.

Si l'on veut vraiment créer les conditions de l'apaisement, il faut se détourner de cette instrumentalisation des mémoires qui est le plus mauvais service que l'on puisse rendre à tous ceux qui sont simplement en quête de justice, de reconnaissance et d'envie du vivre ensemble sur la base de l'égalité.

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