S'il est bel et bon de se passionner pour l'Histoire, il faut également savoir poser des limites : faites des commémorations pour les Ukrainiens, oui, mais ne votez pas de loi ! Nous avons voulu organiser à Sciences-Po une rencontre entre historiens turcs et arméniens. Ces derniers ont refusé : la chose est jugée, il n'y a pas à discuter avec les héritiers des criminels ! En outre, ces lois se veulent pérennes alors que leur contenu devra être défait. Sachant, de surcroît, que les auteurs de ces crimes anciens ne sont plus là, l'imprescriptibilité des crimes finit par devenir une arme pour condamner les historiens, ce qui est absurde.
M. Vanneste, dans la rédaction de son sous-amendement, s'est montré un peu provocateur mais si l'on peut tout à fait comprendre son objectif, pourquoi en revanche l'écrire dans la loi ? Brider la liberté pédagogique des enseignants et bouleverser les programmes terrifie tout le monde !
S'agissant des questions liées à l'esclavage, la loi prescrit de publier le plus de documents possibles. J'ai récemment édité le Journal d'un négrier au xviiie siècle du capitaine Snelgrave. Celui-ci relate ses traites avec les petits roitelets noirs mais aussi les mutineries, la vie des esclaves et il se demande si elle est aussi terrible qu'on le prétend. Cet ouvrage a été retrouvé dans la bibliothèque de Tocqueville par un Père jésuite. Ce dernier l'a d'abord proposé aux Éditions Bayard, puis au Cerf, avec des réponses toujours positives. Finalement, il ne s'est rien passé, les éditeurs ayant fini par lui dire que cet ouvrage concerne la traite intra-noire et qu'il risque de tomber sous le coup de la loi… Ce n'est pas raisonnable d'en arriver là. Permettez-moi de vous l'offrir, Madame Taubira (M. Pierre Nora offre l'ouvrage à Mme Taubira).