Vous avez rappelé l'orientation politique de certains historiens mais il existe également des niveaux fort différents d'intelligence de l'Histoire. Le législateur, je suis le premier à le dire, n'a absolument pas à se mêler de la recherche scientifique historique, laquelle doit être parfaitement libre avec, d'ailleurs, le risque de dérapages obscènes comme on peut le voir avec le révisionnisme. Le rapport entre Histoire et identité constitue un autre niveau. Tous les peuples bâtissent leur identité sur des mythes. Or, si cet âge est dépassé, le soubassement de l'identité des peuples est aujourd'hui conditionné par le grand drame qu'a vécu un peuple. Cela est vrai pour les Arméniens mais aussi pour les Ukrainiens qui veulent faire reconnaître la mort de six millions d'entre eux dans le cadre d'une famine organisée par Staline en 1932 et 1933. Le législateur, en revanche, et c'est le troisième niveau, doit se mêler de l'enseignement de l'Histoire car il concourt à la formation des citoyens. Je suis l'auteur du sous-amendement à un amendement à l'article 4 de la loi Mekachera contre lequel vous vous êtes dressé, Monsieur Nora, mais je rappelle que cet article était extrêmement équilibré : il préconisait simplement d'évoquer « en particulier » ce que la France avait pu faire de bien outre-mer. Cela n'empêchait en rien de mettre en évidence ce qu'elle a fait de moins bien et, encore moins, de commenter l'héroïsme des troupes issues de l'outre-mer venues se battre en métropole puisque cela était écrit dans cet article même dont je rappelle qu'il a été lu comme une apologie de la colonisation ! Il s'agissait simplement d'affirmer que l'enseignement de l'Histoire, notamment dans le secondaire, ne saurait avoir de prétention scientifique. Résumer un siècle de présence française outre-mer en une page de manuel, ce n'est pas faire oeuvre scientifique ! Le législateur doit s'inquiéter de la sélection événementielle et de l'interprétation idéologique de l'Histoire dans le second degré.