Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant vous au sujet du projet de loi relatif à la gendarmerie. Je viens d'apprendre que son examen est reporté ; j'espère cependant qu'une date sera rapidement trouvée, car il s'agit d'un texte très attendu par la communauté des gendarmes.
Il y a trois mois, déjà, lorsque je me suis présenté devant votre commission pour discuter de la loi de programmation militaire, vous m'avez posé de nombreuses questions sur le projet de loi relatif à la gendarmerie, manifestant ainsi votre intérêt pour cette institution dont, comme vous, nous souhaitons préserver l'identité, tant celle-ci est la condition de l'efficacité de notre engagement sur le terrain.
C'est pourquoi le texte doit affirmer les principaux éléments identitaires de la gendarmerie : la gendarmerie est une force armée, les gendarmes sont des militaires. C'est la combinaison de ces deux éléments qui donnera tout son sens à la loi. En effet, se limiter à placer la gendarmerie sous l'autorité organique du ministre de l'intérieur ferait courir le risque d'une dilution de ce corps militaire dans une administration civile. À l'inverse, le seul rappel de la militarité de la gendarmerie et de ses attributions missionnelles ne présenterait pas un grand intérêt, car ces dispositions existent déjà dans le corpus législatif.
En clair, c'est le principe de dualité qui doit être confirmé aujourd'hui, 211 ans après que le législateur s'est penché pour la première fois sur l'organisation de la gendarmerie nationale ; une dualité qui pérennise, en les renforçant, les équilibres trouvés en 2002.
À mes yeux, la réforme en cours est logique. Le placement de la gendarmerie pour emploi auprès du ministre de l'intérieur, décidé en 2002, a permis d'obtenir de bons résultats. La gendarmerie s'est rapprochée de la police nationale et de nombreuses synergies ont été développées. De même, au plan budgétaire, une cohérence devrait être trouvée. En 2002, en effet, les ministères de l'intérieur et de la défense se situaient dans des logiques assez différentes : la sécurité intérieure, qui prenait une nouvelle importance, nécessitait l'apport des moyens, prévus par la LOPSI, tandis que l'évolution de la menace ne justifiait pas la même dynamique pour ce qui concernait la défense. Cette différence d'approche a entraîné des disparités dans la mise en oeuvre des dotations votées : contrairement à la police nationale, la gendarmerie n'a pas obtenu l'ensemble des moyens prévus. Or il me paraît cohérent, au plan budgétaire, que l'autorité qui exerce la tutelle sur l'emploi des deux forces soit également responsable de l'allocation des moyens et de la gestion du budget.
Au plan organique, il apparaît également nécessaire que le ministre de l'intérieur joue un rôle plus important, la performance étant intimement liée à l'organisation. Dans les faits, c'est bien le ministère en charge de la sécurité intérieure qui a piloté les évolutions conduites au cours des dernières années : redéploiements des unités, création d'unités nouvelles, changements d'assiette. Or, les décisions relatives à l'organisation sont toujours signées par le ministre de la défense. Le projet qui vous est soumis modifie cela.
Il va également permettre de corriger la sous-représentation de la gendarmerie au ministère de l'intérieur. Cette situation, héritage de l'histoire, empêche la mise en valeur équilibrée des besoins de sécurité intérieure, au risque d'entretenir un tropisme très urbain sur les questions de sécurité. Seul le rattachement organique, qui fera de la direction générale de la gendarmerie nationale une direction générale de l'administration centrale du ministère de l'intérieur, permettra de rétablir l'équilibre. Le directeur de la gendarmerie sera présent place Beauvau, à côté du directeur général de la police nationale, et participera en permanence à l'élaboration de la politique de sécurité intérieure. Nous parviendrons ainsi à une plus grande cohérence opérationnelle, ce qui est l'objectif majeur de la réforme.
Nous devons garder à l'esprit que le but recherché est d'améliorer la performance de notre système de sécurité. Il est donc essentiel de veiller à ce que l'amélioration de la cohérence entre les forces ne soit pas obtenue au prix d'une perte de capacité de la gendarmerie. En d'autres termes, l'efficacité opérationnelle de la gendarmerie, sa capacité à couvrir le territoire et à agir dans des contextes très dégradés ne doivent pas être affectées par la modification institutionnelle à venir.
C'est justement parce que le texte rappelle les « fondamentaux » de la gendarmerie, ce que j'appelle les « piliers du temple », qu'il permet le rattachement au ministère de l'intérieur. Dès l'article premier, en effet, le projet de loi indique que la gendarmerie est une force armée. Cette disposition est capitale, car elle constitue le premier et principal rempart contre toute dérive vers une fusion entre les forces de police. L'expression « force armée » est d'ailleurs définie par un engagement international de la France, le protocole additionnel à la convention de Genève de 1949. Elle indique que la gendarmerie n'est pas un service déconcentré d'une administration civile de l'État.
De même, le projet qui vous est soumis affirme que les gendarmes sont des militaires. Relevant du statut général des militaires, ils conservent, à ce titre, un lien direct avec le ministre de la défense, garant de ce statut. Celui-ci étant indivisible, les militaires auront tous le même. Il en résulte que les modes de représentation, par exemple, ne sauraient être différents entre les trois armées et la gendarmerie, ce qui exclut l'institution du syndicalisme au sein de cette dernière. À cet égard, le texte ne présente aucune ambiguïté.
Cette force armée se caractérise par un spectre missionnel très large. C'est en effet la somme des missions de police – sécurité publique, ordre public et police judiciaire – et des missions militaires qui caractérisent la gendarmerie dans sa culture et ses modes d'action. Parmi ces missions figurent également le renseignement et la participation à la politique internationale de la France.
Le ministre de la défense a vocation à conserver une double compétence sur la gendarmerie. Tout d'abord, il reste le garant du statut militaire, ce qui justifie son association à la gestion des ressources humaines. Ainsi, il restera responsable de l'application des règles disciplinaires, même si des sanctions pourront être proposées par le ministère de l'intérieur. Ensuite, les missions militaires de la gendarmerie ne sont pas affectées par la réforme.
De même, les domaines du recrutement et de la formation sont appelés à rester en relation directe avec le monde de la défense. La gendarmerie ne veut pas se priver du creuset qu'ont toujours constitué pour elle les écoles militaires, comme Saint-Cyr ou le Collège interarmées de défense. De plus, elle compte recruter chaque année une centaine de sous-officiers issus des autres armées. La formation sera également, pour partie, partagée avec les armées.
Enfin, le ministère de la défense conservera un lien fort en matière de soutien, selon des modalités précisées par un protocole-cadre, qui prendra la forme d'une délégation de gestion.
J'évoquais les missions militaires de la gendarmerie : si elles ne représentent qu'un faible volume du total des missions exercées, elles n'en ont pas moins une grande importance. On peut citer le contrôle gouvernemental de l'armement nucléaire ; la prévôté, sur laquelle repose l'application du droit partout où les armées sont engagées ; les gendarmeries spécialisées, responsables de l'ensemble des missions de sécurité au sein d'un certain nombre d'infrastructures militaires sensibles ; les OPEX enfin, dans lesquelles la gendarmerie déploie actuellement plus de 450 personnels, au Kosovo, en Côte-d'Ivoire, et demain en Afghanistan.
Le projet de loi qui vous est soumis ne se borne pas à confirmer un transfert de tutelle organique ; il doit être aussi un outil destiné à améliorer la performance d'ensemble de notre système de sécurité. À cet égard, la clé de la réussite est simple : il faut que la police et la gendarmerie travaillent mieux ensemble dans un esprit d'équilibre. D'une manière générale, d'ailleurs, l'équilibre doit être le maître mot de cette réforme.
Cela passe par le développement de réflexions communes entre la police et la gendarmerie, qui seront facilitées par le rapprochement – y compris physique – des deux directeurs généraux.
En ce qui concerne l'opérationnel, plusieurs opinions se sont exprimées. Certains syndicats de police, notamment, militent activement pour que la police nationale reçoive une compétence exclusive sur certaines missions. À ce propos, j'exprimerai mon sentiment sans ambiguïté : il est essentiel que le spectre missionnel de la gendarmerie soit intégralement maintenu. Toute forme de « rationalisation » consistant à dévitaliser une force au profit de l'autre serait pernicieuse, dangereuse pour l'équilibre de notre sécurité intérieure. Si la gendarmerie a développé ses capacités en matière de police judiciaire, de renseignement ou de lutte contre les terrorismes régionaux – corse et basque, notamment –, c'est bien parce qu'il existe un besoin dans sa zone de compétence. Les nombreux députés qui, parmi vous, sont élus dans des zones périurbaines le savent bien. Or ces besoins, les formations de la police nationale n'ont pas les moyens de les prendre à leur compte, pour des raisons d'éloignement ou, tout simplement, de capacité.
Ainsi, la gendarmerie s'est dotée dans les années 1980 et 1990 de capacités dans le domaine de la police technique et scientifique – avec notamment la création de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie – qui jusqu'alors lui faisaient défaut. Le fait que 50 % des expertises rendues nécessaires par les enquêtes soient réalisées par des laboratoires privés prouve que ces nouvelles capacités n'ont rien de superflu.
S'agissant de la police judiciaire, la problématique ne se résume pas au choix dont disposent les magistrats pour saisir l'un ou l'autre des services. Cette faculté resterait très théorique s'il ne s'agissait pas, en réalité, de choisir entre deux modèles différents : la police dispose de formations très spécialisées, mais cloisonnées, alors que l'architecture de la gendarmerie intègre la police judiciaire à tous les niveaux de la hiérarchie, de la brigade jusqu'aux sections de recherche. Cette complémentarité constitue une véritable richesse qu'il convient de préserver.
Dans le domaine de la police judiciaire, comme dans d'autres, la question n'est donc pas de savoir laquelle des deux forces doit prendre l'exclusivité de la mission, mais selon quelles modalités les synergies doivent se développer. À cet égard, l'idée exprimée par Mme Alliot-Marie de créer, au cas par cas, des équipes d'enquête mixtes me paraît judicieuse. Cela permettrait d'associer des capacités complémentaires et de mettre des informations en commun.
Je finirai sur la question de la parité globale de traitement évoquée par le Président de la République lors du discours prononcé devant les forces de sécurité le 29 novembre 2007. Les policiers – civils – et les gendarmes – militaires – étant appelés à vivre ensemble dans un ministère commun, cette parité est essentielle. Les relations harmonieuses et constructives ne pourront se nouer qu'en veillant à l'équité, sans esprit de surenchère. Je me refuse donc à entrer dans la polémique que tentent de créer certains syndicats. Le dialogue social doit être conduit dans la sérénité, avec le souci permanent de préserver un équilibre selon des modalités conformes aux spécificités du statut des uns et des autres. Vous avez évoqué, monsieur le président, l'idée d'instituer une autorité indépendante chargée de veiller à cet équilibre ; j'y suis favorable, car elle permettrait de porter un regard neutre, à l'instar de celui porté sur les armées par le Haut comité d'évaluation de la condition militaire. Il me semble notamment nécessaire qu'une certaine coordination s'instaure entre police et gendarmerie pour ce qui concerne les décisions prises et leur communication, en particulier pour les évolutions catégorielles.
À mes yeux, l'équilibre ne signifie pas un simple alignement des avantages des uns et des autres, mais bien une parité globale, tenant compte, au sein de chaque corps, des avantages et des sujétions qu'ils compensent.
En conclusion, le texte issu des débats du Sénat, en réaffirmant certains principes fondamentaux, devrait garantir la préservation d'un équilibre au sein des forces concourant à la sécurité intérieure.