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Intervention de général d'armée Jean-Louis Georgelin

Réunion du 13 janvier 2009 à 17h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

général d'armée Jean-Louis Georgelin :

Je vous remercie pour vos voeux, que je sais sincères. Les armées françaises comptent sur le Parlement pour les soutenir dans les combats difficiles qu'elles mènent dans tous les domaines.

L'exercice dans lequel nous sommes engagés est d'une complexité extrême. La LPM 2009-2014 marque le lancement d'une réforme délicate qui nécessitera beaucoup de constance et un travail considérable d'adaptation de la part de nos armées. Face aux difficultés économiques auxquelles nous sommes confrontées, nous avons conscience que l'effort financier consenti par la nation est important, mais il n'est que la traduction des objectifs qui nous ont été fixés.

Aux difficultés habituellement liées à la construction toujours délicate d'une loi de programmation militaire sont venues s'ajouter de nouvelles inflexions.

N'oublions pas tout d'abord que nous avons dû partir des acquis de la précédente LPM, dont l'économie générale reposait sur les engagements forts énoncés lors de la professionnalisation des armées, en 1996. Nous avons par conséquent établi une nouvelle planification en tirant le meilleur parti des efforts consentis et des réformes dans lesquelles nous étions d'ores et déjà engagés.

Nous avons ensuite pris en compte les orientations capacitaires des fonctions stratégiques déclinées dans les conclusions du Livre blanc.

Nous avons par ailleurs tiré aussi complètement que possible toutes les conséquences des réformes liées à la RGPP, la révision générale des politiques publiques, réformes de grande ampleur dont la mise en oeuvre conditionne l'obtention des ressources inscrites dans cette LPM.

Enfin, nous avons intégré les conclusions des retours d'expérience de nos engagements opérationnels les plus récents.

Ne perdons pas de vue que cette LPM accompagne une transformation majeure de notre outil de défense, au moment même où nos armées sont engagées dans des missions difficiles, marquées par le retour des opérations de guerre. J'ai coutume de dire qu'au-delà des travaux qui nous mobilisent, les affaires continuent. Au moment où je vous parle, 13 000 soldats français sont engagés en missions extérieures, 35 000 participent aux missions de présence et de souveraineté, et près de 2 000 sont engagés dans les missions quotidiennes de sûreté du territoire national. Dans cette période de mutation, il est essentiel de conserver à l'esprit que disposer d'armées opérationnelles demeure la raison d'être de notre ministère.

Avant de répondre à vos questions, j'aborderai successivement trois points : les objectifs de cette LPM, son contenu, puis les points qui me préoccupent.

Première programmation « tout titre », portant sur l'ensemble de la mission « Défense » hors pensions, la LPM 2009-2014 est la traduction physique et financière de la volonté forte exprimée par le Président de la République en matière de défense.

Elle maintient la France parmi les puissances, peu nombreuses, capables d'assurer leur sécurité et d'appuyer leur diplomatie sur des capacités militaires crédibles. Prenant acte du caractère multinational de nos opérations, mais aussi de notre ambition pour l'Europe et l'Alliance atlantique, elle tire toutes les conséquences des enjeux qui découlent de la mondialisation.

Elle prolonge de façon très significative l'effort de recapitalisation de notre outil de défense entamé lors de la précédente LPM. Vous le savez, la LPM 1997-2002 avait été marquée par la mise en oeuvre de la professionnalisation des armées ; il s'agissait de la première étape de la réforme de notre outil de défense. La LPM qui vient de s'achever était pour sa part tournée vers quatre objectifs prioritaires : la consolidation de la professionnalisation, le renforcement de nos capacités en engagement extérieur, la restauration de la disponibilité technique des matériels et la modernisation de nos forces. Elle a permis de lancer de nombreux programmes d'armement, désormais en phase de production ou prêts à y entrer.

En procédant à une nouvelle analyse de notre environnement international, la commission du Livre blanc a proposé au Président de la République des contrats opérationnels, dont découlent de nouvelles priorités en matière capacitaire. Conjuguées à une économie de moyens rendue possible par la réforme et la réduction des formats des armées, ces nouvelles priorités s'inscrivent désormais dans une trajectoire financière plus cohérente.

L'objectif principal de cette LPM est d'organiser la transformation de nos forces, sous-tendue par de nouveaux contrats opérationnels, tout en garantissant en permanence l'efficacité de l'outil militaire. Elle poursuit et adapte la modernisation de nos forces avec une priorité accordée à la fonction connaissance et anticipation. Elle est également marquée par le maintien de la fonction dissuasion et par l'effort consacré à la fonction intervention. Ce dernier se traduira par le renforcement de la protection des forces terrestres et l'amélioration de la disponibilité des matériels les plus utilisés en opérations.

La priorité donnée à la fonction connaissance et anticipation se traduira par un doublement des budgets alloués au domaine spatial. L'objectif est bien d'accroître notre autonomie de décision, qui repose sur la maîtrise de l'information et la capacité d'appréciation des situations.

Tout en poursuivant les opérations en cours de réalisation, l'effort consacré à cette nouvelle fonction se traduira, en particulier, par la préparation et le lancement d'opérations lourdes, dont les premiers effets sont attendus à partir de 2015. Il s'agit des systèmes satellitaires MUSIS – Multinational space-based imaging system – et CERES – Capacité de renseignement électromagnétique spatial – ainsi que des programmes liés aux drones MALE – Moyenne altitude longue endurance –, et tactiques. Cette dynamique se traduira également par un renforcement des effectifs et une rationalisation de la chaîne de renseignement.

Le rôle dévolu à la fonction dissuasion est conforté. Maintenue à un niveau de stricte suffisance, elle demeure naturellement un fondement essentiel de notre stratégie. Au cours de la période 2009-2014, l'effort portera sur la modernisation de ses deux composantes, avec la mise en service d'un quatrième sous-marin lanceur d'engins de nouvelle génération et la livraison des missiles M51 et ASMPA – Air-sol moyenne portée. Cet effort portera également sur la préparation de l'avenir avec la poursuite du développement du programme de simulation.

Pour la fonction intervention, l'effort sera porté sur la modernisation de l'outil de combat aéroterrestre, la modernisation progressive de l'outil de combat aérien, la projection et la mobilité, les appuis et la frappe dans la profondeur, ainsi que les structures de commandement et le renseignement. Il s'agira également de renforcer la protection des combattants et des zones de stationnement.

Le processus de renouvellement et de modernisation des moyens de combat et de frappe à distance qui a été engagé dans les trois milieux – terrestre, aérien et maritime – sera poursuivi de façon soutenue. Cet effort s'est déjà traduit par le début de livraison des programmes VBCI – Véhicule blindé de combat d'infanterie –, Rafale, AASM – Armement airsol modulaire –, Tigre, Frégates Horizon, canons Caesar – Camion équipé d'un système d'artillerie – et torpilles MU90.

Les études de définition des équipements à venir ont pris en compte les nouveaux besoins liés à la mobilité sur les théâtres, aux engagements dans les zones urbaines ou d'accès difficile et à la maîtrise des effets par l'acquisition de munitions de précision. Elles déboucheront sur la mise en service de nouveaux matériels comme les NH90, qui constitueront l'élément essentiel de renouvellement de la composante de transport tactique aéromobile. Elles concerneront également la composante maritime, avec la poursuite des programmes FREMM – Frégate multimissions – et Barracuda. Elles toucheront également le domaine aéronautique avec la rénovation des Mirage 2000D. Pour les deux autres fonctions stratégiques, il s'agira essentiellement de recentrer notre dispositif de prévention et de développer nos capacités de protection de la population et du territoire national.

À la fin de la période, notre capacité d'appréciation autonome des situations sera nettement renforcée. Ainsi, cinq brigades terrestres seront entièrement numérisées, gage d'une efficacité opérationnelle accrue et d'une meilleure capacité à s'intégrer dans les dispositifs interarmées et interalliés. Enfin, la proportion d'armes concourant à la frappe de précision sera doublée et cette capacité sera diversifiée grâce à l'équipement de missiles de croisière sur les FREMM et, ultérieurement, sur les Barracuda, ainsi qu'à la mise en oeuvre de l'AASM sur le Rafale.

Dans la période 2015-2020, dont les orientations capacitaires sont déjà intégrées à la présente LPM, l'accent sera porté sur la poursuite de la modernisation des forces terrestres, avec la livraison des successeurs des AMX 10RC et des VAB – Véhicules de l'avant blindé – dont l'emploi intensif en opérations accélère l'usure. C'est ce que nous appelons les blindés multirôles et de reconnaissance. L'effort portera également sur la modernisation des capacités des avions de combat, sur la poursuite du renouvellement de la flotte de surface, notamment pour les capacités amphibies et de projection maritime, et sur l'acquisition des premiers moyens dédiés à l'alerte avancée.

Avec 185 milliards d'euros de crédits de paiement consacrés à la mission « Défense », hors charges et pensions, la LPM respecte intégralement le cadrage financier du Livre blanc en y incluant une part de recettes exceptionnelles. Elle se traduit, hors plan de relance, par une hausse de 5,4 % des moyens financiers consacrés à la défense dès 2009.

Premièrement, elle intègre de façon équilibrée l'ensemble des composantes qui définissent une capacité militaire : les effectifs, le fonctionnement, l'entraînement, les équipements et les munitions.

L'activité et le fonctionnement des armées recevront 11,2 milliards d'euros. Ces crédits diminuent par rapport à la période précédente, dans la mesure où ils intègrent dès à présent la réduction des effectifs et les gains attendus de la réforme en cours. Ils permettent par conséquent de maintenir nos objectifs annuels d'activité en cohérence avec les standards d'entraînement de l'OTAN. Le respect de ces standards est essentiel car il garantit le niveau de préparation des forces ainsi que le moral et la cohésion des hommes.

La masse salariale, hors pensions, est dotée de 63 milliards d'euros. Cette somme intègre également la diminution attendue des effectifs. Elle permettra, en particulier, de poursuivre le plan d'amélioration de la condition du personnel.

L'équipement des forces est doté de 101 milliards d'euros. En 2009, ces crédits représentent 16,6 milliards d'euros. Ils augmenteront de 9 % au-delà de l'inflation théorique jusqu'en 2014, pour atteindre 18 milliards d'euros en fin de LPM. Puis cette croissance se poursuivra chaque année pour atteindre 20,2 milliards d'euros en 2020.

Deuxièmement, un effort notable est consenti en début de période avec la mobilisation de recettes exceptionnelles, à hauteur de 3,7 milliards d'euros, dont près de 90 % nous seront attribués au cours des trois premières années de la LPM.

Troisièmement, les économies dégagées par la mise en oeuvre de la réforme sont entièrement réutilisées au profit de la défense : pour le personnel civil et militaire, par des mesures d'amélioration de la condition du personnel, qui se traduiront, en particulier, par une revalorisation des rémunérations ; pour les équipements, avec un gain estimé de 6 milliards d'euros pour l'ensemble de la période.

Le plan de relance économique donne une impulsion favorable à cette LPM. Il bénéficie aux programmes à effet majeur, grâce à l'acquisition d'hélicoptères EC 725 Caracal et d'un troisième bâtiment de projection et de commandement, dont la livraison n'était prévue que dans la prochaine LPM. Il permet d'atténuer les conséquences des reports ou des réductions des cadences de livraison initialement envisagées, en particulier pour les programmes liés au VBCI, au Rafale et au PVP – le Petit véhicule protégé. Enfin, ce plan, dont je comprends qu'il constitue une avance sur les crédits des deux prochaines LPM, à l'exception de deux Caracal et de quinze Aravis, permet d'acquérir de nouveaux matériels en urgence opérationnelle : quinze véhicules blindés pour l'Afghanistan, ainsi que des munitions destinées à l'artillerie, à l'hélicoptère Tigre et à l'aviation de combat. Il participe également à l'amélioration du MCO à travers l'achat de pièces de rechange, en particulier pour les matériels aéronautiques.

Au total, cette LPM représente un effort important au profit des équipements, qui se concrétise par la priorité accordée aux programmes à effet majeur et par l'amplification de l'effort concernant le MCO, en augmentation de 8 % en moyenne sur 2009-2014 par rapport à 2008. Elle permet d'accompagner, au moyen de son volet social, la réorganisation des armées, qui se traduira, en particulier, par la réduction de nos formats, l'optimisation de nos soutiens et le redéploiement de nos implantations militaires.

Telle qu'elle apparaît, cette LPM permet de remplir les objectifs qui nous ont été fixés.

Pour autant, l'exercice dans lequel nous sommes engagés est complexe. Il dépend essentiellement du succès de la manoeuvre des ressources humaines qu'il nous appartient de conduire au cours des sept prochaines années. Par ailleurs, la trajectoire financière dessinée se situe au plus juste des moyens permettant d'atteindre les objectifs qui nous sont assignés. C'est pourquoi nous devrons accepter dans certains cas des réductions de capacités, qui ne devraient rester que temporaires. Elles toucheront le transport aérien ; le combat aéroterrestre, avec le nécessaire maintien en service d'une partie des VAB et la diminution de notre capacité à tirer des missiles à longue portée à partir d'hélicoptères ; la composante navale, qui sera durablement sous l'objectif dans le domaine des frégates, des hélicoptères embarqués et des missiles anti-navires, et la composante du combat aérien, où la polyvalence des Mirage 2000D ne sera pas réalisée avant 2018 ou 2019. Dans ces conditions, la cible finale des objectifs du Livre blanc ne pourra être atteinte dans son intégralité qu'à l'horizon 2023-2025.

L'exercice financier est donc tendu. Tout écart nous poserait de facto de grandes difficultés. Plusieurs points me préoccupent particulièrement.

Le solde de gestion 2008, point d'entrée du budget 2009 et par conséquent de la nouvelle LPM, se traduit par une encoche de 700 millions d'euros, qui, je l'espère, sera la dernière.

La réalisation de cette LPM dépendra en grande partie de la volonté des industriels d'inscrire leurs coûts de production et de MCO dans une perspective raisonnable et donc supportable. À cet égard, la crise économique actuelle laisse peser bien des incertitudes.

Le succès de la réforme en cours et l'obtention des gains financiers attendus reposent sur la manoeuvre des ressources humaines. Cette réforme sera d'une ampleur inégalée. Durant les six prochaines années, notre format sera réduit de 17 %, la cible de nos trois armées passant en 2014-2015 à 225 000 hommes et femmes, dont 192 600 militaires. L'effort de déflation sera trois fois supérieur à celui que nous avons connu pendant la période de professionnalisation. Sur la base d'un ratio de 75 % de militaires pour 25 % de civils, nous allons ainsi diminuer nos effectifs de 4 000 officiers, 18 000 sous-officiers, 18 200 militaires du rang et 13 500 civils. L'effort portera essentiellement sur les soutiens, qui représentent 75 % de ces déflations.

Pour ne pas tarir la source de recrutement des militaires, essentielle à la satisfaction des exigences opérationnelles, cette manoeuvre nécessite la mise en oeuvre efficace des mécanismes d'accompagnement du flux de départs. Dans un contexte marqué par de nouvelles tensions sur le marché de l'emploi, cela suppose, d'une part, que des mesures de reclassement dans la fonction publique soient mises en oeuvre dans des conditions optimales, d'autre part, que des mesures attractives d'accompagnement au départ soient obtenues et, enfin, que les engagements en matière de masse salariale soient respectés.

Les ressources planifiées en LPM doivent se concrétiser, en particulier en ce qui concerne les recettes exceptionnelles.

Des incertitudes lourdes continuent de peser sur certains programmes d'armement. C'est le cas, notamment, de l'A400M. Le retard que connaît le développement de cet appareil risque en effet de prolonger de façon inquiétante notre déficit en capacité de transport aérien.

Il conviendra de veiller aux conditions de remboursement des sommes avancées dans le cadre du plan de relance économique. Il s'agit en effet de ne pas fragiliser la cohérence capacitaire établie sur l'ensemble des deux LPM, qui englobent la période couverte par le Livre blanc.

Ces facteurs de succès ne dépendent pas du seul volontarisme et encore moins de la gouvernance du ministère de la défense. Ils relèvent, vous en conviendrez, d'une véritable mobilisation entre les ministères et au sein de la fonction publique. Ils réclament également le soutien sans faille de la représentation nationale, afin de nous donner, année après année, les moyens en masse salariale nous permettant de tenir nos engagements en effectifs. Mon expérience dans le domaine incite à la plus grande vigilance.

Cette LPM va accompagner la transformation considérable de nos armées que nous avons entreprise. Nos engagements opérationnels se poursuivent et sont de plus en plus durs. Il est essentiel de veiller à ce que les armées disposent des moyens de relever les défis qui s'imposent à notre pays. Face à cette transformation, l'attente des armées est très forte. Elle est à la hauteur des efforts qui seront demandés. Il est donc primordial que cette réforme reçoive l'appui de tous, en particulier de la représentation nationale, dont le rôle, pour ce qui concerne le respect des moyens engagés, sera essentiel.

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