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Intervention de Patrick de Carolis

Réunion du 25 septembre 2007 à 15h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Patrick de Carolis :

, président-directeur général de France Télévisions, s'est déclaré très heureux et très honoré de venir régulièrement dialoguer directement et en toute franchise avec les parlementaires des deux commissions. Le président de France Télévisions doit en effet bien davantage aux membres de la représentation nationale réunis en commissions qu'un simple bilan de ses activités ou qu'un compte rendu de ses obligations. Il leur doit la vérité, non seulement sur son action et sur la situation sociale et financière des entreprises dont il a la charge, mais aussi et surtout sur l'avenir et donc sur la stratégie du groupe. Ce devoir de vérité le conduit à dire que le paysage audiovisuel français est en pleine révolution et que les chaînes historiques, qu'elles soient publiques ou privées, sont en train d'affronter le plus grand bouleversement de leur histoire.

En quelques mois, le succès triomphal de la télévision numérique terrestre (TNT), les progrès de la télévision sur ADSL et l'irruption des sites de partage de vidéo dans le paysage audiovisuel ont radicalement modifié les comportements des téléspectateurs. Les audiences deviennent imprévisibles. Les formats traditionnels vieillissent à vue d'oeil. Les « formules magiques » qui rassuraient les gens de métier sont subitement impuissantes. Le fameux « effet de chaîne » qui permettait de fidéliser un public sur des habitudes et des rendez-vous connus et identifiés n'est plus qu'un souvenir.

En quelques mois, les « nouvelles chaînes » de la TNT concentrent près de 20 % de l'audience et le téléspectateur, même le moins technophile, se construit désormais une télévision à la carte. Il faut se féliciter du succès foudroyant de la TNT à laquelle France Télévisions a toujours cru alors que les chaînes concurrentes privées, elles, ont tout fait pour la retarder. Il faut se féliciter, en particulier, de ce succès pour France 4, née avec la TNT, dont les progrès d'audience sont remarquables et constants.

On doit encore se féliciter du succès de la TNT pour France 5, qui a su trouver une offre de programmes séduisante vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour RFO, à travers France Ô, laquelle est, depuis la veille au soir, la cinquième chaîne du bouquet TNT public et gratuit, et également pour le téléspectateur, surtout le plus modeste, qui trouve ainsi une diversité de choix réservée jusque-là aux seuls foyers capables de s'abonner à un service payant de télévision.

En revanche, cette explosion de l'offre a fait l'effet, pour les chaînes historiques, d'un véritable tremblement de terre, dont l'onde de choc est loin d'avoir faire ressentir toutes ses conséquences sur leurs audiences et donc sur leur modèle économique. On pouvait pressentir cette révolution et son anticipation était au coeur du projet de l'équipe actuelle pour France Télévisions. Il convient de s'y préparer, en engageant France Télévisions dans une voie totalement différente, de façon à mettre le groupe en ordre de bataille. Le grand virage éditorial et le virage stratégique engagés en août 2005 n'ont d'autres buts que de renforcer la télévision publique en marquant ses différences.

Quand les programmes américains colonisent le paysage audiovisuel français, le service public défend, seul, l'exception culturelle de la France. C'est un enjeu de civilisation dont le groupe a une conscience aiguë. À France Télévisions, la fiction française fait front, alors que, partout ailleurs, elle bat en retraite. La semaine précédente sur France 2, Monsieur Joseph, un téléfilm français avec Daniel Prévost tiré de l'oeuvre de Georges Simenon, a rassemblé plus de six millions de téléspectateurs et réalisé près de 25 % de part d'audience.

Le succès phénoménal de la collection Chez Maupassant, avec plus de huit millions de téléspectateurs en moyenne, reste peut-être le plus beau symbole de cette rencontre entre le patrimoine culturel français, une écriture audiovisuelle aussi exigeante que novatrice et les téléspectateurs français. À France Télévisions, la culture s'affiche quotidiennement en soirée. Pour ne citer qu'un exemple, l'émission de Frédéric Taddei, Ce soir ou jamais, a non seulement trouvé son public, mais structure désormais les soirées de France 3.

Se mettre en ordre de bataille revient, non seulement à porter ses différences en étendard, mais aussi à améliorer les performances de l'entreprise pour assurer le futur des collaborateurs qui y travaillent, tout en protégeant les intérêts du contribuable. C'est peut-être là l'autre spécificité du service public, dont l'actionnaire n'est ni une veuve écossaise ni un retraité californien, mais bien chaque Français.

Tel est aussi le sens du grand virage stratégique initié il y a maintenant deux ans. Soucieux des deniers publics, celui-ci passe nécessairement par une modernisation des structures et des pratiques du groupe. C'est une démarche permanente qui n'a pas cessé depuis deux ans. Chaque année, France Télévisions a réalisé l'équivalent de 30 millions d'euros d'efforts de gestion. Les résultats sont là et, en 2006, le groupe a dégagé le meilleur résultat d'exploitation des six dernières années.

Ces performances économiques n'ont pas empêché d'ouvrir et de concrétiser de grands chantiers sociaux : l'égalité professionnelle hommesfemmes, le droit individuel à la formation, l'intégration des handicapés et la réforme de la filière de production de France 3. L'accord signé avec les partenaires sociaux sur cette question essentielle reste emblématique de la qualité du dialogue social de France Télévisions et de son esprit de réforme.

Parallèlement, la nouvelle charte d'organisation du groupe permettra, à compter de début 2008, de rassembler, par filières, les collaborateurs qui exercent un même métier au sein du groupe, dans le but d'améliorer les méthodes de travail et de décloisonner les structures pour valoriser les meilleures pratiques d'une filiale afin de les généraliser à l'ensemble du groupe. L'objectif est de travailler ensemble, ce qui est le sens étymologique du mot « synergie ».

Pour autant, on ne peut se contenter du travail accompli. Ce qui a été fait était nécessaire, mais France Télévisions doit aller plus loin et plus vite encore. Il y va de son avenir.

Le débat sur le financement du service public est d'actualité et tout le monde s'en empare. Les concurrents de France Télévisions plaident, avec des arguments pleins d'aménité, pour un service public sans audience, sans ambitions, immobile, anémié et sans le sou : bref, sans avenir. Il convient, au contraire, de défendre un service public offensif, créatif, moderne et réformé. D'aucuns viennent benoîtement s'étonner devant les parlementaires de certains des investissements de France Télévisions, dans le sport notamment, et s'offusquent de sa supposée « gourmandise budgétaire », termes trop souvent utilisés dans la presse pour ne pas avoir été suggérés par les concurrents du privé.

Pourtant, on pourrait tout autant s'étonner que des chaînes privées qui utilisent gratuitement le domaine public occupent jusqu'à 45 % de leurs soirées avec des séries américaines, non pas que ce genre soit à proscrire – il participe à la diversité de l'offre – mais la diversité justement ne trouve pas son compte avec de tels chiffres. Il y a exactement vingt ans, certains diffuseurs s'étaient engagés, en contrepartie de leur autorisation d'émettre, à un « mieux disant culturel ». À en croire ce que l'on voit sur leur antenne, c'est à New York, Los Angeles ou Miami qu'il faut aujourd'hui aller le chercher.

Le contrat d'objectifs et de moyens (COM) signé en avril dernier avec l'État est un socle utile. Il prend en charge les coûts de la modernisation technologique de France Télévisions en lui permettant d'envisager sereinement le basculement vers le tout-numérique, la diffusion en haute définition, ou encore le sous-titrage de ses émissions.

Cependant, accélérer la montée en puissance du virage éditorial pour investir davantage encore dans la création française a un coût. Un seul exemple, particulièrement parlant, suffit pour s'en convaincre. La retransmission, durant l'été, en première partie de soirée du Trouvère a permis à plus d'1,7 million de téléspectateurs, dont l'écrasante majorité ne se rendra jamais aux Chorégies d'Orange, de vivre, en direct, la magie de cette soirée unique. Le service public était bien là au coeur de sa mission mais la perte de recette publicitaire pour France Télévisions par rapport à une soirée moyenne s'est soldée à 500 000 euros.

De deux choses l'une : soit ce type de soirée emblématique a lieu une à deux fois par an et le groupe peut en assumer les conséquences budgétaires dans le cadre du COM, soit il lui est demandé d'aller plus loin – de passer à un rythme mensuel par exemple – et cette accélération du virage éditorial a un coût, lequel ne peut être couvert par les seules économies réalisées par le groupe. Si l'on veut un service public encore plus offensif sur le plan culturel dans un contexte en pleine mutation sans pour autant mettre en danger l'équilibre financier défini par le contrat signé avec l'État, il faut permettre à ce service public d'augmenter ses ressources, par la diversification, la publicité, les économies internes et les ressources publiques. Il ne s'agit là que d'un plaidoyer en faveur du respect des équilibres financiers qui assurent la solidité économique du groupe.

Même si toutes les questions que les parlementaires sont en droit de se poser sur France Télévisions n'ont sans doute pas trouver de réponse dans ce propos liminaire, on ne peut que se réjouir que ce débat qui n'a pas d'autre objet que l'avenir de la mission de service public de l'audiovisuel ait lieu directement et publiquement.

Un débat a suivi l'exposé du président-directeur général de France Télévisions.

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