Cette audition intervient quinze jours après mon arrivée à la tête de DCNS, ce qui pourra expliquer certaines imprécisions de ma part. Aujourd'hui encore, je n'ai pas une vision parfaitement claire de la stratégie de l'entreprise dans ses moindres détails. J'arrive sans autre mandat du conseil d'administration et des actionnaires, c'est-à-dire l'État et Thales, que d'en poursuivre le développement et sans idée préconçue ni sur l'entreprise ni sur la stratégie à y mener.
Ce que j'ai déjà pu constater, c'est que DCNS a connu au cours des dernières années des changements extrêmement profonds et rapides allant dans le bon sens, grâce à l'action de mon prédécesseur, Jean-Marie Poimboeuf, et à une équipe compétente et motivée sur laquelle je peux aujourd'hui m'appuyer. Aussi ne m'inscrirai-je pas dans une stratégie de rupture, mais plutôt de continuité d'évolution.
Faute de pouvoir parler de DCNS en détail, permettez-moi de préciser ma philosophie de l'entreprise industrielle en France aujourd'hui. Pour avoir fait toute ma carrière dans l'industrie, dont dix ans à la tête des Chantiers de l'Atlantique et, ces deux dernières années, dans l'industrie de services, chez Cegelec, je crois fermement à la nécessité d'une base industrielle forte pour la France ; il n'est pas question pour autant de tout faire nous-mêmes, mais nous ne devons pas devenir une société sans usine.
Maintenir et développer notre coeur de métier en France est en effet possible, sous certaines conditions : la compétitivité et la compétence des équipes, personne ne mettant en doute celle de DCNS. Des progrès ont déjà été accomplis en ce domaine et nous continuerons à en faire, mais la délocalisation de certaines activités n'est absolument pas inéluctable.
J'en viens à l'article 10 du projet de loi de programmation. DCNS est une entreprise qui est en constante évolution et qui a besoin de continuer à évoluer, en particulier pour se développer sur de nouveaux marchés. Ainsi, il est dans certains cas nécessaire de travailler avec des partenaires. Or si la loi actuelle permet de créer des sociétés par apport d'actifs dans lesquelles DCNS est majoritaire, elle ne permet pas la création d'une société par apport d'actifs dans laquelle DCNS serait minoritaire. Il faudra pourtant que DCNS accepte dans certains cas de ne pas être majoritaire soit parce qu'il y aura plus de deux partenaires soit parce que le partenaire sera plus fort dans le domaine en question.
J'ai bien conscience à cet égard que l'article 10 a suscité des inquiétudes auprès des représentants syndicaux et, peut-être, des élus, certains craignant que ce ne soit la porte ouverte à une privatisation de DCNS, à la perte de son unicité ou à son démantèlement, d'autres qu'elle ne remette en cause le statut des personnels.
S'agissant de la première inquiétude, ma vision n'est pas celle d'un démantèlement mais, bien au contraire, d'un renforcement de l'entreprise dans son coeur de métier, et c'est bien pourquoi nous avons besoin de l'article 10. Ne s'agit-il pas, après tout, de mettre DCNS dans la même situation que les autres entreprises nationales non privatisables ?
Un travail de communication est en tout cas à effectuer en interne. C'est pourquoi j'ai déjà rencontré les partenaires sociaux plusieurs fois et entrepris une tournée des différents sites où je tiens à chaque fois le même langage, à savoir que notre volonté est de développer DCNS, certainement pas de démanteler l'entreprise.
Concernant le statut des personnels, l'article 10 doit au contraire permettre de renforcer encore la protection des personnels mis à la disposition de l'entreprise. Aujourd'hui, lorsque l'on crée une filiale à participation minoritaire, c'est-à-dire sans apport d'actif, comme par exemple la joint-venture que nous projetons en Malaisie pour assurer le maintien en condition opérationnelle des sous-marins, DCNS ne peut pas y envoyer l'un de ses personnels mis à la disposition, sauf à ce qu'il renonce à son statut. Demain, la loi le permettra.
La nécessité qu'une loi ad hoc soit votée à chaque création de filiale est rédhibitoire pour tout partenaire ! Il en va de même du transfert des personnels : on ne peut s'en remettre au seul volontariat lorsque l'on crée avec un partenaire une société dont l'activité doit s'exercer avec des personnels conservant le même métier sur le même site qu'auparavant ! Il faut, dans ce cas, prévoir un transfert automatique, sans changement bien sûr de statut.
De façon à lever toute crainte, il semble en revanche nécessaire d'introduire, au moins dans le décret d'application, la possibilité d'un droit au retour pour ces personnels, non pas ad vitam, mais après une certaine période, sachant que toute réintégration dans DCNS n'impliquerait pas forcément d'y effectuer le même métier au même endroit, même si bien entendu le statut des personnels mis à disposition est conservé.
L'article 10, tel qu'il est rédigé, présente certaines lacunes. Aujourd'hui, lorsque nous créons une filiale majoritaire, nous pouvons transférer le personnel. S'il en ira de même demain dans le cas de création d'une filiale minoritaire, la possibilité ne nous sera cependant pas donnée d'y transférer, même s'ils sont volontaires, de nouveaux personnels dans le cas où la société se développerait. Il serait souhaitable qu'un amendement permette un tel transfert, sur la base du volontariat bien entendu.