Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Marie Bockel

Réunion du 28 octobre 2008 à 17h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Jean-Marie Bockel, secrétaire d'état chargé de la défense et des anciens combattants :

Les missions de l'État, et donc du secrétariat d'État, en matière mémorielle sont au nombre de quatre.

La première est de soutenir les associations d'anciens combattants dans leurs actions mémorielles, et de répondre à leur souci d'organiser la promotion, auprès des générations à venir, des valeurs qu'ils ont défendues et pour lesquelles ils ont combattu. C'est une action de tous les jours. Nous sommes les interlocuteurs des associations patriotiques. Je reviens du conseil d'administration de l'Office national des anciens combattants (ONAC) : ces associations sont très vivantes et très intéressées par les questions mémorielles. Au titre de cette mission figure également l'organisation, pour le compte de l'État, des grandes journées commémoratives nationales.

La deuxième mission consiste à développer des actions pédagogiques, notamment à l'attention du jeune public, permettant de faire mieux connaître ces valeurs et cette histoire. Je vais bientôt signer une convention avec le ministre de l'éducation nationale.

Dans le cadre de cette mission, nous oeuvrons à faciliter l'accès du plus grand nombre au patrimoine mémoriel. Cela passe par la réalisation de films, de documentaires, de spectacles vivants ; en cette année du quatre-vingt-dixième anniversaire de la fin de la Grande Guerre les initiatives se multiplient. C'est aussi une politique de publication en direction du grand public. Nous avons passé des accords avec des maisons d'édition. Nous possédons des trésors documentaires. Enfin, nous avons désormais recours à l'Internet.

Nous avons aussi lancé une politique de numérisation du patrimoine archivistique du ministère de la défense. Nous procédons par exemple à la mise en ligne de toutes les fiches individuelles des 1,4 million de morts pour la France de la Grande Guerre, et à celle des journaux de marche et d'opérations de tous les régiments ayant combattu, soit 3,3 millions de pages numérisées. Nous serons prêts le 11 novembre. Ces documents sont à la disposition des historiens et des chercheurs, mais aussi de tout un chacun, notamment des familles qui effectuent des recherches sur un grand-père ou arrière grand-père ayant combattu.

La troisième mission est la valorisation du patrimoine mémoriel, militaire et civil, dont dispose notre pays. Cette valorisation permet le développement du tourisme de mémoire : on vient du monde entier, et pas seulement de pays alliés ou ennemis d'hier, visiter les cimetières militaires et certaines nécropoles. De plus en plus, des départements, des collectivités locales, s'engagent dans cette démarche et y consacrent des moyens importants.

Cette mission inclut l'entretien des sépultures et nécropoles qui sont extrêmement nombreuses. Rien qu'à l'étranger, c'est 200 000 corps et 2000 cimetières militaires dans 77 pays. Nous nous efforçons d'augmenter chaque année les moyens pour l'entretien des tombes. Mais les comparaisons de dépenses par tombe avec d'autres pays, comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, montrent que nous pourrions faire mieux ; parfois, cela se voit.

Elle inclut aussi l'entretien de hauts lieux, comme le camp du Struthof, le seul camp de concentration installé sur notre territoire, ou le Mont-Valérien, et la requalification de ce patrimoine mémoriel. Un temps fort des commémorations du quatre-vingt-dixième anniversaire de la fin de la Grande Guerre sera ainsi une cérémonie à l'ossuaire de Douaumont, où le président de la République et plusieurs chefs d'État et de gouvernement étrangers seront présents ; cet ossuaire va bénéficier d'importants travaux. D'autres opérations sont conduites par les associations. Pour la réalisation de cette mission, la synergie avec les collectivités locales est de plus en plus importante : elles s'impliquent dans des travaux, des commémorations, la mise en valeur de circuits et dans la démarche mémorielle en général.

La quatrième mission est le développement de la mémoire partagée ; cette démarche a été engagée par Hamlaoui Mekachera, puis amplifiée par Alain Marleix.

Avec des pays hier belligérants, alliés ou ennemis, et avec qui nous avons des tragédies en partage, nous avons une mémoire à partager, des choses à nous dire et d'autres à dire ensemble. On voit l'importance de ce travail mémoriel dans nos relations d'aujourd'hui avec ces pays, avec lesquels il permet de renforcer les contacts sur ces questions. Le quatre-vingt-dixième anniversaire de l'armistice de 1918 est l'occasion de le faire. Une rencontre entre les responsables ministériels qui en sont chargés sera organisée dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne. C'est l'occasion de mettre en exergue que l'Europe d'aujourd'hui, c'est d'abord l'Europe de la paix. Imaginait-on, lors des guerres terribles que furent la Première ou la Seconde Guerre mondiale, que nous irions aussi rapidement vers l'Europe de la paix ?

Le premier des défis auxquels nous sommes confrontés est la raréfaction des acteurs ou des témoins des grands conflits du XXe siècle. Nous entrons dans un temps de l'Histoire où les commémorations se feront sans les témoins ; le dernier Poilu n'est plus. Pour les associations d'anciens combattants de la deuxième guerre mondiale, la question va bientôt se poser de savoir qui veillera après eux à leur travail mémoriel.

Deuxième enjeu, la politique de la mémoire parvient-elle à toucher ses destinataires ? Je ne suis pas pessimiste, et je crois beaucoup au partenariat avec l'Éducation nationale. Mais, malgré nos efforts pour renouveler les cérémonies et le mode de commémoration – et beaucoup d'efforts sont faits, souvent avec succès – nous avons tous connu des moments où il est difficile d'attirer d'autres participants que ceux qui y viennent traditionnellement, et notamment d'attirer les jeunes générations. Il faut sans doute faire évoluer le cérémonial, les protocoles, remédier à l'insuffisance des prises de parole, qui pourraient impliquer davantages les jeunes, utiliser de nouveaux médias, des moyens modernes de communication pour donner une forme plus attractive à ces commémorations. Le souhait d'intéresser les jeunes générations passe aussi par un intérêt accru de la part d'un certain nombre de médias pour ces commémorations. Certains d'entre eux ont entrepris de les aborder de façon intéressante, à partir de documents d'archives, de films, d'émissions sur un événement. Nous devons encourager ce mouvement.

Y a-t-il un risque d'inflation mémorielle ? Entre 1878, année de création de la fête nationale du 14 juillet, et le début des années1980, lorsqu'a été rétabli le jour férié du 8 mai, les gouvernements ont créé six journées nationales de commémoration ; depuis, les gouvernements successifs en ont créé six autres, sans compter les commémorations ponctuelles.

Cela fait beaucoup de journées commémoratives, de thèmes, qui se sont ajoutés, comme celui de la repentance. Il y a des pressions pour que de nouveaux sujets soient évoqués. Aujourd'hui, la mémoire nationale unique, réconciliatrice, se trouve confrontée à la montée d'un certain nombre de mémoires parfois concurrentes. Comment faire vivre ces commémorations, sachant que la mémoire doit rassembler autant que possible et non pas diviser, tout en disant bien sûr la vérité ?

La commission Kaspi a achevé ses travaux. Elle prend un peu de temps pour les publier de façon à procéder en harmonie avec la mission de l'Assemblée nationale. Une concurrence entre les deux n'aurait aucun sens.

On a évoqué la création d'un Memorial Day à la française. Cela n'est pas adapté à notre histoire nationale, y compris celle de nos commémorations. J'ai eu ce dialogue avec le professeur Kaspi tout au long de ses travaux. Les propositions n'iront pas dans ce sens. Le professeur Kaspi devrait, je crois, préconiser des évolutions douces. Certaines commémorations pourraient être davantage régionalisées, et de manière heureuse. Ainsi, pour la journée du 6 juin 1944 l'association Normandie Mémoire fait un travail remarquable. Cela n'a pas empêché que le Président de la République se rende en Normandie pour la commémoration du 8 mai 1945.

Une autre piste sera peut-être d'instaurer une commémoration plus forte de certains événements sur un rythme pluriannuel, tous les cinq ans, les dix ans, les deux ans, et non de façon annuelle.

La commission Kaspi suggère aussi le renouvellement des rites, des synergies accrues avec l'Éducation nationale, un renforcement de la coproduction des politiques de mémoire avec les collectivités locales. J'y crois beaucoup. Nous avons déjà des exemples, comme le concours de l'Office national des anciens combattants « les petits artistes de la mémoire », où une classe part à la recherche d'un Poilu inscrit sur le monument aux morts de sa commune.

Il y a d'autres pistes intéressantes : la poursuite du développement des outils pédagogiques et des instruments de la politique de mémoire. On peut citer le site Internet « Mémoire des hommes », ou le projet de portail informatique « Enfants de la patrie », qui repose sur le concept de communauté virtuelle.

Nous avons bien conscience que ces questions sont importantes, car il y a là un élément de la cohésion nationale. Ont participé à la dernière guerre des soldats de toutes les origines, des colonies de l'époque, qui sont les pères ou les grands-pères de concitoyens qui vivent aujourd'hui en France et qui sont issus de ces différents pays. C'est une mémoire que nous avons en partage.

Or, la cohésion nationale est la base de l'esprit de défense. Le passage de l'histoire à la mémoire doit aussi être réussi : si l'Europe est aujourd'hui l'Europe de la paix, on a vu en d'autres temps et sur d'autres continents que l'oubli est à nouveau le point de départ de toutes les tensions, de tous les conflits. Rien n'est jamais acquis ni gagné.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion