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Intervention de Marie-Françoise Pérol-Dumont

Réunion du 25 mars 2009 à 9h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Pérol-Dumont, président du groupe Caisses d'épargneBanques populaires :

Je remercie la Commission des finances de l'Assemblée nationale de me donner l'occasion de m'exprimer sur la mission dont j'ai la charge aujourd'hui et d'expliquer certains points qu'il me paraît important de garder à l'esprit lorsque l'on parle du rapprochement de deux grands groupes bancaires français. J'en viendrai ensuite aux conditions de ma nomination, à la saisine de la Commission de déontologie et à l'irrégularité alléguée de mon arrivée à la tête des fonctions exécutives de ces deux groupes.

Mon propos introductif se concentrera sur cinq points.

Premièrement, et même s'il s'agit d'une évidence, il faut la garder en tête, nous vivons la crise financière et économique la plus brutale et la plus profonde que la France et le monde aient connue depuis de très nombreuses décennies. Ainsi, depuis le 5 décembre 2006, date de son introduction en bourse, la valeur boursière de Natixis a diminué de 84 %, celles de Dexia de 83 %, de la Société générale de 69 %, du Crédit agricole de 57 %, de BNP-Paribas de 61 % et d'Axa de 67 %. À l'étranger, les ordres de grandeur sont les mêmes, et une banque comme Citigroup, dont on disait il y a deux ans que ses résultats sur une seule année lui permettraient de s'offrir la Société générale – sa capitalisation boursière était alors de 250 milliards de dollars –, ne vaut plus aujourd'hui, selon le marché, qu'un peu plus de 10 milliards de dollars. Le contexte est donc proprement exceptionnel, et il a conduit tous les gouvernements du monde, le gouvernement français comme les autres, à venir en soutien à leurs établissements bancaires, pour éviter que la défaillance de l'un ne provoque celle de l'ensemble du système, ce qui aurait été synonyme de difficultés encore plus lourdes pour les épargnants, les emprunteurs et, partant, pour le fonctionnement de l'économie.

Deuxièmement, le rapprochement entre les deux banques est né « dans » l'urgence, mais pas « de » l'urgence. Les dirigeants des Caisses d'épargne et des Banques populaires en débattaient entre eux depuis des années. Ce n'est pas une idée nouvelle. En région, les responsables se connaissent, se parlent. À plusieurs reprises, des discussions ont eu lieu au plan national sur l'opportunité de réunir les Banques populaires, dont la part de marché de la banque de détail tourne autour de 8 ou 9 %, et les Caisses d'épargne, qui représentent entre 10 % et 12 %, c'est-à-dire deux challengers dont les clientèles sont fondamentalement complémentaires. Cette idée, ce n'est pas l'État qui l'a conçue, pas plus qu'il n'en a assuré la promotion et la conception. En octobre dernier, ce sont les dirigeants des deux groupes qui ont annoncé le rapprochement parce que le contexte créé par la crise financière nécessitait d'accélérer le mouvement.

La décision a été prise, j'insiste, par les dirigeants des deux groupes, non par le Gouvernement.

En octobre dernier, un incident grave a eu lieu à la Caisse nationale des caisses d'épargne, entraînant une perte de l'ordre de 750 millions d'euros et à la suite duquel les dirigeants d'alors ont démissionné. Les nouveaux dirigeants ont confirmé le projet de rapprochement. À l'époque, les autorités publiques, le régulateur bancaire, le ministre des finances, le Premier ministre et le Président de la République leur ont conseillé, si tel était leur choix, que le rapprochement se fasse vite. Pour une raison simple : rien à l'époque ne permettait de penser que le contexte financier allait s'améliorer rapidement.

Troisièmement, ce rapprochement est fondé sur un projet industriel, sur une vision à cinq ou dix ans. Il repose au fond sur l'idée que les deux réseaux sont présents dans l'ensemble des régions françaises, qu'ils sont solides grâce à leurs clientèles respectives – les artisans, commerçants et PME pour les Banques populaires ; les particuliers et les ménages, souvent modestes, pour les Caisses d'épargne –, qu'ils ont des parts de marché importantes, mais pas suffisantes pour rester isolés. Il s'agit de deux groupes coopératifs, anciens, avec des valeurs communes, même si leurs cultures sont différentes.

Dans le monde de demain, il faudra être capable non seulement de proposer des services de proximité, mais aussi toute une gamme de produits fabriqués par des usines – assurances, gestion d'actifs, services financiers spécialisés comme le crédit à la consommation, notamment – et les deux groupes seront plus forts ensemble que séparément. Déjà, sur le marché domestique, la BNP et la Société générale trouvent leurs parts de marché insuffisantes, et elles seraient prêtes à engager des mouvements stratégiques pour les renforcer.

Fondé avant tout sur la banque de détail et de proximité que représentent les vingt Banques populaires régionales et les dix-sept Caisses régionales d'épargne, et qui dégagent 70 % du produit net bancaire de l'ensemble du groupe, ce projet a un sens du point de vue industriel. Les deux réseaux resteront indépendants, autonomes, puisque les deux marques représentent des actifs très importants car leur image est forte, mais ils pourront mutualiser certaines fonctions tout en profitant des bonnes expériences et des bonnes pratiques de l'un et de l'autre. Ancrés sur le territoire, ils représenteront plus de 8 000 agences et près de 20 % de part de marché, au service du financement de l'économie.

Autre enseignement, un grand groupe bancaire ne peut se développer sans avoir des outils, c'est-à-dire des filiales, qui sont détenues aujourd'hui par les organes centraux des deux groupes, la Caisse nationale des caisses d'épargne d'un côté, la Banque fédérale des banques populaires de l'autre. Ces filiales, à commencer par Natixis, devront être mises au service des clients des réseaux, mais aussi des grandes entreprises françaises et européennes puisque Natixis assure à peu près 10 % du financement des grandes entreprises françaises. Cet établissement, qui intègre une banque de financement et d'investissement, devra être recentré sur des activités utiles au financement des entreprises. En décembre 2008, Natixis a annoncé un plan de recentrage de ses activités sur le coeur de métier. Il m'appartient désormais d'évaluer s'il est suffisant, s'il est exécuté correctement, et s'il permet de développer un modèle de banque de financement et d'investissement durablement rentable.

En ce qui concerne les organes centraux, vous l'avez relevé, monsieur le président, l'un des deux groupes a une culture plus centralisatrice que l'autre, mais les deux groupes sont construits de la même manière : les actionnaires sont respectivement les Caisses régionales d'épargne et les Banques populaires régionales, et ils contrôlent un organe central qui, en application de la loi, détient certaines prérogatives de puissance publique car celle-ci lui confie, s'agissant d'un secteur réglementé, un rôle de pilotage financier et stratégique, l'agrément des dirigeants, la gestion de la liquidité. Le Gouvernement vous soumettra un projet de loi pour définir les missions du nouvel organe central, qui devra en outre gérer les filiales, actifs communs des deux groupes.

Pour résumer, le projet repose sur la banque de détail et de proximité, la gestion des filiales au service des clients, et un organe central centré exclusivement sur ses missions régaliennes. Il engage deux groupes coopératifs qui ont développé des valeurs propres et qui sont, même s'ils ont eu tendance à les oublier dans un passé récent, porteuses d'avenir. Au coeur du projet se trouve l'idée que seuls des résultats durables et la performance économique pourront garantir la pérennité de l'ensemble.

Quatrièmement, les deux réseaux emploient 110 000 salariés. La Caisse nationale des caisses d'épargne, avant mon arrivée, avait lancé un plan de départs volontaires qui devrait concerner environ 200 personnes. Il est nécessaire compte tenu des résultats enregistrés par le groupe. Les réseaux seront maintenus, et les statuts des personnels ne seront pas modifiés même s'il faut créer, au niveau de l'organe central, un statut commun. Il n'y aura pas de fusion des réseaux où se concentre l'essentiel de l'emploi, parce que la force d'une banque, c'est sa capacité de distribution. En l'occurrence, cette force repose sur ces deux marques qu'il faut maintenir sans les spécialiser, et développer ensemble tout en les articulant entre elles. Le calendrier a été fixé par le conseil d'administration des Banques populaires et le conseil de surveillance des Caisses d'épargne, pour que les opérations de rapprochement soient approuvées par les organes sociaux aux alentours du 30 juin. Cela suppose que le Parlement se soit prononcé sur un projet de loi, et que les consultations ainsi que les informations des instances représentatives du personnel aient été menées dans les délais.

Cinquièmement, s'agissant des conditions de ma nomination, monsieur le président, vous m'avez demandé pourquoi je n'avais pas saisi la Commission de déontologie, et si j'avais donné des avis sur ce dossier.

Je n'ai pas saisi la Commission de déontologie. La nomination devait intervenir le 25 février aux Banques populaires et le 26 aux Caisses d'épargne. Nous sommes dans un contexte d'urgence : les deux groupes et leur filiale commune s'apprêtent à annoncer des pertes importantes – 2,8 milliards d'euros pour Natixis, 2 milliards pour le groupe des Caisses d'épargne, 500 000 millions environ pour les Banques populaires. Natixis représente un risque systémique : son bilan dépasse les 300 milliards d'euros, ses encours de financement plus de 270 milliards. La liquidité de l'établissement est un enjeu considérable et la crise nous a appris que les banques, y compris les plus grandes d'entre elles, étaient mortelles et que, parfois, il ne fallait guère plus de vingt-quatre heures pour les emporter. Nous sommes donc dans une situation d'urgence.

J'ai proposé de saisir la Commission de déontologie. Son président, M. Fouquet, qui a été auditionné par la Commission des lois de l'Assemblée nationale, a indiqué que sa commission ne pouvait pas rendre un avis en un mois – en tout cas, même en allant très vite, pas avant le 11 mars. Selon lui, dans le cas d'un conseiller du Président de la République, la saisine, en application de la loi de 2007, n'était pas obligatoire. Au surplus, a-t-il ajouté, la jurisprudence traditionnelle de la Commission de déontologie, s'agissant des conseillers de cabinet, était de considérer qu'ils ne relevaient pas des cas prévus par l'article 432-13 du code pénal. Cette analyse, le président de la commission de déontologie a proposé de la faire dans le cadre d'un avis rendu à titre personnel. Je l'ai donc saisi en ce sens. Elle était la même que celle du secrétaire général du Gouvernement et que celle d'un conseil que j'avais consulté à titre personnel.

J'ai donc pris mes responsabilités. En conscience, j'ai décidé, compte tenu des fonctions que j'avais exercées, de la manière dont je m'étais occupé du dossier, des textes, de la situation des deux groupes, de l'urgence qu'il y avait à désigner un homme neutre qui ne soit issu d'aucun des deux groupes, que je pouvais ne pas saisir la Commission de déontologie en me fondant sur l'analyse du secrétaire général du Gouvernement, sur celle du président de cette commission et, à titre accessoire, sur celle de mon conseil personnel. En outre, le conseil de surveillance des Caisses d'épargne et le conseil d'administration de la Banque fédérale des banques populaires se sont prononcés en connaissance de cause, en s'appuyant sur l'avis personnel du président de la Commission de déontologie. Ils ont, eux aussi, sollicité les avis de leurs propres conseils juridiques et ont conclu qu'il leur était parfaitement possible de procéder à ma nomination.

Telles sont les raisons pour lesquelles je n'ai pas saisi la Commission de déontologie.

Contrairement à ce que je lis ou entends, et au risque de vous décevoir, je n'étais pas en charge de l'ensemble des affaires économiques et financières de ce pays. J'ai toujours exercé ma fonction avec l'idée que j'étais un conseiller, que mon rôle était d'informer le Président de la République, de lui donner mon opinion et de l'aider à conduire la meilleure politique économique et financière au service du pays. Je sais que ce n'est pas l'image qu'en ont certains d'entre vous, mais c'est pourtant ce que j'ai fait au cours de ces deux années au service du Président de la République et de mon pays.

Je ne suis pas le dépositaire des secrets de l'ensemble des banques françaises. Le plan de recapitalisation bancaire a été instruit et conçu par le ministère des finances et par le régulateur bancaire. Le projet de fusion entre les Caisses d'épargne et les Banques populaires est venu des entreprises – je ne l'ai ni imaginé, ni organisé, ni conduit. Je n'ai exercé ni contrôle ni surveillance sur l'un ou l'autre des deux groupes. Je n'ai passé aucun marché avec eux, et n'ai pas donné d'avis sur des marchés qu'ils auraient passés. Je n'ai pas donné d'avis à l'autorité compétente, s'agissant des opérations concernant ces deux groupes. J'ai donné mon opinion au Président de la République, en tâchant de l'éclairer au mieux. J'ai essayé de lui apporter ma compréhension des choses.

Oui, j'ai reçu les dirigeants de ces deux groupes – j'ai lu que je les avais reçus à mon domicile : non, je n'ai pas poussé mon zèle professionnel jusque-là – comme ils ont été reçus par d'autres. Je les ai reçus pour pouvoir informer le Président de la République sur les banques – c'est un sujet important, ces temps-ci –, pour exercer mon rôle de conseiller. Je n'ai pas outrepassé mes fonctions : j'ai essayé loyalement, sereinement, d'informer le Président de la République, qui n'est pas l'autorité compétente en la matière.

Je ne joue pas sur les mots. Les mots ont un sens. La loi a un sens.

En conscience, j'ai pensé, et je continue de penser, que je pouvais exercer mes nouvelles fonctions. Les deux conseils ont bien voulu me faire confiance. Et, depuis le 2 mars, j'essaie de mener à bien ce que je conçois comme une mission. Quitte à paraître bizarre à vos yeux, c'est pour moi une mission, un projet. J'ai lu ici ou là que j'étais l'homme non de l'État, mais de Rothschild. Je ne suis pas l'homme de Rothschild. J'ai servi l'État pendant quinze ans, loyalement. J'ai en tout cas essayé de le faire avec conscience professionnelle, avec compétence, avec ouverture d'esprit, et aussi en écoutant. Oui, j'ai travaillé à la banque Rothschild, et je n'en ai pas honte, mais cela ne fait pas de moi l'« homme de Rothschild ». Ensuite, j'ai travaillé pour le Président de la République, là aussi loyalement.

Voilà ce que je voulais vous dire. J'ai sûrement été trop long, mais je devais vous fournir certaines explications.

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