Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Pierre Morel-A-L'Huissier

Réunion du 9 décembre 2008 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-A-L'Huissier :

Pour ce qui est tout d'abord des solutions politiques possibles, le lancement de discussions s'explique précisément par le fait que cette question devra être abordée. Cependant, le sentiment général, partagé notamment par les Géorgiens, est qu'on ne peut le faire immédiatement et qu'il faut avant tout reprendre langue et régler les problèmes les plus urgents, qui sont ceux de la sécurité de la population et du retour des personnes déplacées dans les zones voisines de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. Les troupes russes se sont retirées de ces zones, et même si elles n'ont pas toutes rejoint les lignes fixées le 7 août, il ne reste plus, hors quelques cas faisant l'objet de débats, de forces russes au-delà des frontières administratives. Il convient de progresser du bas vers le haut, c'est-à-dire de commencer par les questions urgentes pour aborder progressivement les questions à plus longue échéance qui se posent en termes de statut et d'avenir politique.

Le discours officiel géorgien est, selon les termes employés par le président Saakachvili devant l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre dernier, celui de la réunification pacifique. Le président géorgien affirme qu'il mesure les dommages psychologiques de l'épreuve terrible que le pays vient de traverser, mais qu'il ne renonce pas à l'intégrité territoriale du pays et recherchera la réunification pacifique. Il fait observer que d'autres pays, comme l'Allemagne, ont connu un processus comparable. Il y a là une ambition politique.

Au demeurant, cette perspective n'est pas forcément celle de toutes les forces géorgiennes et certaines d'entre elles peuvent avoir des visées plus dangereuses. Peut-être même les formules employées par le président ne nous indiquent-elles pas toutes les pensées ou arrière-pensées qui ont cours dans son propre camp. Toujours est-il que cette logique est celle qui conduit à la préparation des discussions.

Nous devons prendre contact avec toutes les parties et les Géorgiens admettent que je me rende à Soukhoumi ou à Tshinkvali avec les autres coprésidents des discussions de Genève – en qualité, je le précise, de coprésident et non pas de représentant de l'Union européenne : ce paravent permet de sauvegarder les positions de principe et de donner à chacun la possibilité de s'exprimer malgré les différences fondamentales. Ce n'est pas simple, mais cela permet au moins de recréer des échanges, aussi lourds soient-ils, entre des parties qui ne se parlaient plus. Voilà comment on avancera peut-être vers un débat politique qui a trop manqué dans les dernières années entre ces provinces autonomistes, voire indépendantistes, et Tbilissi.

Pour ce qui est du contexte plus général, ce n'est pas la question du déploiement des missiles en Europe qui a déclenché le conflit en Géorgie. La volonté de revanche de la Russie est bien réelle et ce pays a avancé un rapprochement avec la question du Kosovo, même si ce rapprochement n'est pas pertinent : alors que la reconnaissance du Kosovo a été décidée suite à une dernière mission patronnée par l'Union européenne pour proposer, après neuf ans de discussions, une dernière formule refusée par la Russie, nous avons assisté en Géorgie à une action de force, avec le déploiement d'un dispositif militaire russe qu'on n'avait pas vu depuis la fin de la guerre froide.

Sans doute les États-Unis avaient-ils donné un chèque en blanc au président géorgien, mais des ajustements commencent à se faire sentir. Les dernières modifications intervenues, ce matin même, dans la composition du gouvernement géorgien, témoignent que la Géorgie se prépare à s'adapter à une administration Obama avec laquelle il lui faudra peut-être trouver un type de dialogue différent.

Les déclarations de M. Bryza sont critiques et rappellent les positions de principe d'une administration Bush sortante. Si les États-Unis ont souvent tendance à poser les problèmes selon leurs propres termes, la représentation américaine aux discussions de Genève s'est montrée très coopérative pour contribuer au travail de persuasion engagé auprès des Géorgiens et, dans bien des cas, son avis a été attentivement écouté.

Je n'ai pas cité la dimension énergétique du problème, car elle a joué et, à la fois, n'a pas joué. La liaison par gazoduc et oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan et Bakou-Tbilissi-Erzeroum – construite par Spie Batignolles avec une participation de Total, même si le principal opérateur est BP –, qui relie l'Azerbaïdjan à la Turquie en passant par la Géorgie, a été interrompue à cause d'un attentat du PKK en Turquie le 4 août. En cas d'attentat ou d'explosion, la remise en fonction de la ligne demande un certain temps. Après la fin des combats, une explosion s'est produite sur la ligne de transport ferroviaire empruntée par les convois de pétrole vers les ports géorgiens de la Mer Noire et l'activité de ces derniers a été interrompue. Le système de transport énergétique vers l'Ouest a senti le vent du boulet et les compagnies ont reçu le choc.

Cependant, malgré la presse pour qui cette situation signifiait la mort du projet de gazoduc européen Nabucco, je perçois de la part des gouvernements une détermination plus grande et une prise de conscience stratégique plus forte de l'importance du corridor énergétique sud vers l'Europe. Les choses n'en sont certes pas plus simples, car la crise rend désormais le crédit plus cher et les compagnies feront très attention, mais, aussi paradoxal que cela soit, la prise de conscience a été renforcée.

Jusqu'à présent, on avait tendance à considérer qu'en Asie centrale et dans l'ensemble de la région les gouvernements fixaient le cadre, ouvraient les discussions et mettaient au point un mémorandum d'accord sur l'énergie, après quoi les compagnies entraient en jeu. Aujourd'hui, on a le sentiment qu'il faut agir ensemble : les gouvernements ne feront pas le travail des compagnies et celles-ci devront procéder à un suivi plus attentif et plus engagé dans le développement de ce corridor sud, ce qui prendra encore du temps. Il ne suffit pas de quelques décisions pour créer un nouveau gazoduc, un nouvel oléoduc, ou un système de tankers à travers la Caspienne. La coordination de nombreux partenaires prend des années et les installations ont vocation à rester en place pour une génération.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion