Je suis accompagné de M. Nicolas Jacquet, l'un des sept médiateurs délégués, et de notre attaché parlementaire, M. Jean-Régis Catta : nous devons créer un lien direct avec les parlementaires, et le renforcer au fur et à mesure du développement à venir de notre action.
Le médiateur du crédit est un dispositif « en l'air », si je puis dire : je ne suis pas salarié de l'État, mais bénévole auprès de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi ; je ne dispose d'aucun budget. Pour autant, le médiateur du crédit est une institution qui « tourne ».
Beaucoup de gens sont capables de suivre dans le détail les statistiques des prêts des banques aux entreprises. A cet égard, loin de développer des exégèses supplémentaires, la médiation du crédit va simplement faire en sorte que ces statistiques offrent plus de précisions : que dans les crédits aux entreprises, on distingue par exemple les crédits immobiliers, les crédits pour l'achat de véhicules, les crédits de structuration des fonds de roulement.
L'option que nous avons prise est à front renversé : pour être efficace, il faut être à la disposition des entreprises, traiter les cas concrètement, rendre compte de ce que nous avons réglé et des cas que nous n'avons pas réglés mais que nous aurions pu régler. Bref, il faut fonctionner selon une approche micro-économique.
La médiation dispose de cent cinq médiateurs départementaux : ce sont les directeurs départementaux de la Banque de France. Ils sont chacun entourés d'une équipe. Pour avoir fait nombre de déplacements, je constate qu'ils se sont mis au travail avec compétence, et qu'ils donnent confiance à la fois aux entreprises, du fait de leur autorité dans leur relation avec les banques, et aux banques, car ils ne vont pas leur demander de soutenir des dossiers désespérés. Sur 500 dossiers clôturés, 60 % l'ont été avec succès ; c'est le résultat de leur travail.
Le médiateur est entouré de sept médiateurs délégués. M. Nicolas Jacquet est médiateur délégué en charge des relations avec les préfets, les élus et les collectivités. M. Henri Jullien est en charge de l'animation et de la coordination des cent cinq médiateurs départementaux. M. William Nahum gère les relations avec les organisations socio-professionnelles. Il y a aujourd'hui un foisonnement d'observatoires. J'ai demandé qu'il y en ait moins, mais qu'il y ait plus d'assistance sur le terrain : certaines situations sont complexes, et la solution ne se trouve pas seulement avec la banque. M. Yann de Nanteuil a pour attributions le reporting et la gestion des dossiers difficiles ; ceux-ci, qui ont un enjeu d'emplois important, sont à la fois gérés sur le plan départemental et supervisés au niveau national. M. Jean-Luc Sauvage, ancien juge au tribunal de Nanterre, est en charge des dossiers en révision : il s'agit soit de dossiers pour lesquels la banque refuse d'intervenir, soit de dossiers approuvés par le médiateur départemental mais dont l'entreprise n'est pas satisfaite. Dans ce cas, le dossier est transféré à l'échelon national pour un deuxième examen. Vingt dossiers sont concernés aujourd'hui. M. Yann Boaretto a pour attribution le fonctionnement de l'équipe et des services de la médiation. Enfin, la médiation du crédit aux entreprises compte parmi ses médiateurs délégués le président de l'Association pour la création d'entreprise – ANCE –, M. Jean-Claude Volot, un industriel, qui nous apporte une vision dont nous avons besoin.
Pour l'instant, quatre chantiers ont été identifiés.
Le premier est celui des banques qui s'apprêtaient à retirer des concours bancaires. À la suite d'une négociation vigoureuse, le 12 novembre, les banques se sont engagées à maintenir l'enveloppe globale de leurs concours aux entreprises, sans demander d'augmentation des garanties personnelles.
Nous avons reçu plusieurs milliers de courriers sur le thème du retrait des concours des banques ; aujourd'hui, ce type de courrier est devenu l'exception. Nous n'avons aucun élément pour dire que les banques ne jouent pas le jeu. Le maintien des crédits était indispensable pour les PME. En cas de retrait brutal des concours bancaires, un sinistre absolu se profilait.
En revanche, nous avons accepté que, à l'intérieur d'enveloppes globales maintenues, les banques puissent renégocier leurs lignes de crédit. Nous n'avons pas voulu être trop rigides. Notre attitude a été la même pour les frais et les taux d'intérêt. Quelle que soit la baisse des taux des banques centrales, l'argent revient aujourd'hui plus cher aux banques : leurs sources de financement ne sont en effet pas seulement les banques centrales, mais aussi les marchés financiers, où l'approvisionnement est très cher, et, jusqu'à il y a quelques semaines, leurs propres clients, avec des taux de rémunérations très élevés pour des comptes à vue importants.
Il faut parer au plus pressé : que les entreprises conservent l'accès à l'argent, et qu'il n'y ait pas de dérapages excessifs. L'urgence est donc au maintien des crédits plutôt qu'au niveau des taux. De plus, des variations de l'ordre de 1 % d'un taux ne constituent pas une urgence. Nous attendons dans ce cas d'avoir des éléments plus précis pour nous prononcer sur les conditions du concours.
L'assurance-crédit est un sujet à ne pas sous-estimer. Christine Lagarde a annoncé des dispositifs de garantie de l'État. Le ratio entre capitaux assurés et capitaux propres est tel que les assureurs de crédit n'assurent que les bons risques : quand l'économie va mal, ils n'ont pas d'autre choix que de réduire leurs concours. L'effet secondaire est terrifiant : une fois que le crédit d'une entreprise acheteuse est considéré comme n'étant plus assurable par le fournisseur, celui-ci cesse de travailler avec elle, et la société peut se retrouver en situation de liquidation en moins de quinze jours.
Nous avons une rude discussion avec les assureurs de crédit. Nous avons demandé – je crois qu'un accord a été conclu – qu'avant même de passer devant le médiateur, toute entreprise faisant l'objet d'un refus d'assurance ait accès à la totalité de son dossier. Nous avons aussi demandé à avoir nous-mêmes intégralement accès à ces dossiers, y compris aux éléments considérés comme confidentiels par les assureurs : il faut que le médiateur, s'il est saisi, travaille sur des dossiers complets.
Nous voulons aussi que les assureurs de crédit puissent intervenir en co-crédit : dans certains cas, si l'on fait intervenir à la fois le dispositif d'État et deux assureurs, on doit pouvoir réussir à maintenir l'assurance-crédit d'une entreprise.
Nous voulons enfin développer une démarche pédagogique, en coopération avec les assureurs de crédit, pour expliquer l'assurance-crédit aux entreprises françaises. Il faut faire comprendre aux PME que ce n'est pas parce qu'une entreprise n'a pas accès à l'assurance-crédit que c'est une mauvaise entreprise. C'est un chantier difficile : après avoir beaucoup poussé au développement de l'assurance-crédit, on s'aperçoit aujourd'hui que les assureurs de crédit ne peuvent assurer que les bons risques : avec un ratio entre le capital assuré et les capitaux propres de l'assureur de l'ordre de moins de 1 %, un très faible taux de défaut peut avoir des répercussions définitives sur l'existence de l'assureur.
Le troisième chantier, que nous devrions boucler début janvier, est celui des relations socio-professionnelles. Aujourd'hui, nous accueillons toutes les entreprises qui viennent à la médiation, sans filtre ; cela va changer dans les jours qui viennent. De ce fait, nous rencontrons des entreprises qui relèvent non pas de la médiation mais de réflexions plus structurelles : il s'agit d'entreprises ayant des difficultés de positionnement sur leurs marchés, ou situées dans des secteurs d'activités en difficulté. Nous voyons aussi des situations de désespérance : il nous arrive de recevoir des courriers d'entreprises rencontrant des difficultés avec leur banque, qui ne mentionnent ni téléphone fixe, ni téléphone mobile. Obtenir des gestes de la part des banques, comme la réouverture de petits découverts, est inefficace pour ces entreprises si l'on ne leur apporte pas aussi une assistance. Nous demandons au MEDEF, à la Confédération générale des petites et moyennes entreprises – CGPME , à l'Union professionnelle artisanale – UPA –, aux chambres de commerce et aux chambres de métiers de créer, région par région, un standard commun sur lequel, depuis notre numéro national, nous pourrons rebasculer ces entreprises, si elles le souhaitent, de façon qu'elles soient accueillies par des personnes compétentes qui pourront ensuite leur trouver un correspondant identifié et une possibilité d'accompagnement personnalisé. La démarche est toujours la même : moins d'observatoires, plus d'accompagnement concret.
Le quatrième chantier porte sur la nécessité, pour traverser la crise, de restructurer quelque peu les capitaux propres des entreprises. On sait que certaines d'entre elles, malgré leur potentiel remarquable, vont perdre de l'argent en 2009. Il faut donc intéresser des fonds d'investissement à prendre des participations minoritaires dans ces entreprises pour conforter leurs capitaux. Il existe de tels acteurs : fonds d'investissements régionaux, fonds d'investissement de proximité, fonds dans lesquels France Investissement a pris des participations, fonds ISF, dont nous souhaitons ramener le délai d'intervention de trente mois à dix mois. Il existe aussi des dispositifs, comme les due diligences, qu'on peut conduire pendant six mois, sachant que quelques jours peuvent souvent suffire.
Nous espérons conclure à la fin du mois de janvier un accord, que nous voulons très concret, qui nous permettra de disposer de correspondants qui puissent examiner très vite les dossiers et y apporter des réponses. Il ne s'agira pas seulement de nos médiateurs départementaux, mais aussi de correspondants dans les préfectures, les trésoreries-paieries générales, auprès des tribunaux de commerce. Il faut pouvoir aller très vite ; autrement, nous allons perdre des entreprises.
Nous allons aussi ouvrir des discussions avec Alternext, qui est le marché boursier des petites entreprises. En Grande-Bretagne, il y a environ 4 000 dossiers sur Alternext, contre 100 en France. Il n'y a aucune raison qu'on en reste là. Beaucoup de chefs d'entreprise ne sont cependant pas prêts à ouvrir leur capital : les fonds ont en effet tendance à revendre leurs parts à d'autres fonds, qui procèdent ensuite de même. Nous posons donc comme conditions aux fonds, lorsqu'ils voudront sortir du capital d'une entreprise, de revendre leur part sur Alternext et non à un autre fonds. Les entreprises ne doivent pas être piégées.
Quels sont mes pouvoirs ? Aucun, si ce n'est celui de la conviction. Nous élaborons un rapport bimensuel détaillé, que je résume à l'attention du Président de la République, qui suit de très près notre action.
L'état d'esprit des banques aujourd'hui, tel que nous le percevons, est en train de changer. Il y a certes des îlots de résistance. La médiation du crédit a été créée il y a six semaines, mais nous avons besoin de six semaines encore pour y voir totalement clair.
Quatre-vingt-dix pour cent des dossiers auraient existé de toute façon, crise financière ou pas. En revanche, des secteurs, comme l'automobile ou l'immobilier, sont désormais spécifiquement touchés par la crise.
J'ai mis en place un dispositif d'alerte interne à la médiation du crédit : il s'agit de suivre les carnets de commandes ; cela nous permet de savoir à quoi nous devons nous attendre dans les deux mois qui viennent. Aujourd'hui, les baisses de carnets de commandes que nous constatons nous permettent d'anticiper des difficultés sérieuses en février et mars prochain.
Les dossiers pour lesquels nous avons trouvé des solutions méritaient d'être sauvés ; sans nous, la moitié d'entre eux au moins auraient fini devant le tribunal de commerce. Notre fonction a donc une utilité. Nous essayons de jouer notre rôle d'amortisseur des effets de la crise en travaillant à sauver le plus de dossiers possible.
Je reçois encore beaucoup de courriers de personnes qui expriment leur mécontentement au motif que nous mobilisons le crédit au profit des entreprises, et non des particuliers. Or, la réduction du crédit aux particuliers va avoir des conséquences au plan économique, notamment sur le secteur du bâtiment. Cela dit, lorsque les gens viennent nous voir, on sort de l'irrationnel pour entrer dans le rationnel : tout est mis à plat, on a une connaissance de l'ensemble du dossier Ainsi, nous avons obtenu, pour un dossier, que les banques prêtent de nouveau de l'argent, mais en imposant un certain nombre de contraintes au chef d'entreprise ; à défaut, celui-ci aurait simplement gagné un peu de temps, mais pas résolu ses difficultés.
Déjà trois cent cinquante personnes sont sur le terrain. Nous en augmenterons le nombre s'il le faut. Il faut nous envoyer les dossiers !
Nous essayons aussi de trouver une solution pour informer les parlementaires. Il arrive que certains d'entre eux appellent le médiateur départemental. Celui-ci est membre du personnel de la Banque de France et il est donc tenu au secret bancaire. Nous nous engageons nous aussi auprès de l'entreprise à respecter ce secret. Nous disposons donc d'informations dont le parlementaire ne dispose pas, le cas échéant parce que le chef d'entreprise ne lui a pas communiqué tel élément qui ne lui est pas favorable. Nous travaillons donc à trouver une solution qui permettrait, sur les dossiers individuels, de donner l'utile information aux parlementaires sans trahir le secret bancaire.