Sur la question de la précarité et du temps incomplet, la multiplication des contrats de courte durée n'est sans doute pas la conséquence d'une segmentation a priori du marché du travail. Nous avons le contrat à durée indéterminée - CDI –, le contrat à durée déterminée – CDD – et l'intérim. Le développement des petits boulots répond vraisemblablement aux besoins des entreprises, à l'incertitude liée au changement, peut-être à une obsession quant au contrat à durée indéterminée. Le fait est que nous sommes un des pays où les emplois courts sont les plus répandus. Le CERC se demande si une mobilisation en faveur des jeunes sans diplôme est possible de la part des acteurs du marché du travail, notamment des entreprises d'intérim.
Comme pour les seniors, les mauvaises habitudes sont bien ancrées dans la société. Les réformes pour les remettre en cause sont les plus difficiles. La préférence pour le départ à la retraite et le comportement des entreprises ont eu raison des efforts entrepris, qui ne datent pas d'hier. Je n'ai pas de remède. Partir du constat a priori et trouver des solutions pour compléter le revenu reviendrait à encourager des pratiques qui ne sont pas bonnes. Je suis sceptique sur les mesures telles que le remplacement du CDI et du CDD par un contrat unique. Il y aurait beaucoup à dire sur la hantise du licenciement, sur les chefs d'entreprise qui redoutent les prud'hommes – nous sommes le pays où les recours devant cette juridiction sont les plus nombreux – au point de les inciter à ne pas embaucher, et sur ceux qui n'embauchent pas pour ne pas se casser la tête. Il n'y a pas de recette miracle à attendre de l'arsenal juridique.
Quant à la décentralisation de l'action sociale, elle génère parfois des inégalités et des abus. Je le sais parce que j'ai de la famille dans de petites communes. Quoi qu'il en soit, les différences de traitement du RMI d'un département à l'autre sont un obstacle pour chiffrer exactement l'aide qui est apportée. Dans ce domaine aussi, les instances sont trop nombreuses, ce qui coûte très cher. Pensez au nombre d'emplois créés par les instances décentralisées depuis quelques années. Cela aussi creuse le déficit public, ce qui devrait davantage émouvoir les Français. Ne pas transmettre pareille dette aux générations à venir relève chez nous de la défense des droits de l'Homme. Les niveaux d'instance sont trop nombreux, c'est ma principale critique.
Quant à la formation permanente, il n'y a plus de pilote dans l'avion. On a beau être pour le marché et la décentralisation, il y a un moment où l'État, même dégraissé, doit se poser des questions sur le sens de l'action qui est menée, s'assurer que le Parlement dispose de chiffres clairs pour juger. Les régions, à qui un effort considérable est demandé, créent des organismes de consultation. On parle de décentraliser l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes – AFPA– . A mon avis, ces efforts sont vains : ils vont coûter cher sans permettre une politique de formation.
La précarité est due essentiellement à un mauvais départ dans la vie, dans le système éducatif, et à de mauvaises pratiques sur le marché du travail. Je me refuse à désigner un coupable unique. Le cas des seniors est vraiment parlant : les Français préfèrent partir à la retraite et il est très difficile de changer les mauvaises habitudes des entreprises. Empiler les mécanismes juridiques ne servirait à rien. Comme le disent, à tort ou à raison, les économistes américains, les Français ont une préférence pour le loisir. Je parlerais quant à moi d'équilibre personnel, ce qui est tout à fait différent.
Avant d'évoquer la politique familiale, j'ai oublié de citer, parmi ceux qui souffrent, les familles monoparentales. La France affiche un taux d'emploi des femmes qui vaut celui des pays nordiques. Il n'y a plus aujourd'hui d'obstacle à l'entrée des femmes sur le marché du travail : les chiffres sont bons. Le risque est de reculer l'âge du premier enfant, ce qui pourrait conduire, à long terme, certaines femmes à renoncer à avoir des enfants. Cela étant, la politique familiale traditionnelle demeure un exemple pour les pays voisins, même si la réussite ne dépend pas que d'incitations matérielles.
La formation permanente a été créée par M. Michel Debré en 1966. Je m'en suis occupé à partir de 1969. Les partenaires sociaux ont signé un accord interprofessionnel sur ce thème avant qu'intervienne la loi. Initialement, celle-ci se fixait cinq objectifs : l'insertion professionnelle des jeunes, déjà ! – mais, à l'époque, le service militaire était une formidable source d'informations sur les métiers ; la conversion des activités ; l'entretien et le perfectionnement des connaissances – c'est ce qui a le mieux réussi, mais seulement pour les catégories les plus élevées et pour les moins de quarante-cinq ans ; la promotion professionnelle, qui a beaucoup régressé, à moins qu'on n'en parle moins seulement ; enfin, le développement personnel. Il faut rappeler ces ambitions, quitte à en moderniser certaines, pour fonder une politique de formation. Avec 23 à 25 milliards d'euros consacrés chaque année à la formation professionnelle, on pourrait faire beaucoup mieux. Le système s'est enkysté sous l'effet des corporatismes des syndicats et des entreprises. En parlant devant le Comité d'orientation pour l'emploi, j'ai failli déclencher un scandale ! Si l'on ne veut rien changer à la collecte, ni aux petits avantages minables, et en l'absence de pilote dans l'avion rattaché directement au Premier ministre, on se heurte au poids des habitudes. C'est dommage car nous faisons aujourd'hui beaucoup moins bien que certains pays qui étaient en retard sur nous en 1970.
La validation des acquis professionnels ne marche pas aussi bien qu'on pourrait l'espérer, mais les résultats ne sont pas nuls. Chaque gouvernement change quelque chose, soit le nom, soit la méthode, si bien qu'au plan local, tout le monde se casse la tête. Mais ce qui marche le mieux, ce sont les contrats professionnels, qui donnent toute satisfaction. Sans doute faudrait-il que les jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme fassent l'objet de contrats pré-professionnels. Le programme Trajet d'accès à l'emploi – TRACE –, lui aussi, a bien marché, parce qu'il prévoyait un accompagnement. J'espère qu'il en sera de même avec le Contrat d'insertion dans la vie sociale – CIVIS –, mais cela suppose beaucoup de coordination. Il faudra clarifier les rôles respectifs de la nouvelle agence France Emploi et de l'Unédic, qui fait preuve aussi parfois d'un esprit corporatiste, des missions locales de l'emploi, des services chargés de l'emploi, des conseils général et régional… Même s'il faut un État plus léger, il y a des domaines où une impulsion nationale est nécessaire. Les parlementaires et les partenaires sociaux doivent pouvoir procéder à une évaluation. C'est ce qui manque le plus.