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Intervention de Jean-Michel Ducomte

Réunion du 22 juillet 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Jean-Michel Ducomte :

Beaucoup de choses, importantes, graves, ont été dites. Je voudrais intervenir, bien sûr en tant que président du CIDEM, centre « Civisme et Démocratie », qui a été créé par l'une des autres associations que je préside, la « Ligue de l'enseignement », par la « Ligue des droits de l'homme » et par d'autres associations qui ont jugé important d'articuler une logique d'éducation populaire autour, notamment, de ces questions de mémoire. Mais je pourrais intervenir pour d'autres motifs, puisque j'enseigne à l'Université dans une discipline qui a peu à voir avec l'histoire, le droit – même s'il y aurait beaucoup à dire sur le rôle qu'il peut avoir dans l'analyse de la mémoire.

Pas plus que la représentation nationale n'a à écrire l'histoire, il n'incombe pas aux historiens ou, plus largement aux acteurs du système éducatif, de construire à eux seuls les éléments de la mémoire.

D'abord, la mémoire est rarement universelle ; je pense même qu'elle ne l'a jamais été. Nous vivons dans un espace où les mémoires deviennent de plus en plus individuelles ou individualisées et, au-delà, de plus en plus plurielles. Il serait pourtant rassurant qu'il n'y ait qu'une seule mémoire, que l'institution scolaire mettrait en place et qui permettrait aux futurs citoyens de déployer leur civisme tout au long de leur existence.

Ensuite, la mémoire est identitaire. Comme l'écrivait il y a fort longtemps Maurice Halbwachs, elle est traversée par trois paradoxes, qui influencent le développement d'une logique d'éducation populaire :

Premièrement, la mémoire est souvent une mémoire sociale. Chaque individu met en oeuvre les rapports qu'il établit avec la temporalité à partir de son appartenance. Plus une société est traversée par des logiques d'appartenance, quelle que soit leur nature, plus on voit fonctionner de logiques mémorielles : elles sont rassurantes, et permettent de trouver le miroir dans lequel on peut apercevoir son reflet.

Deuxièmement, la mémoire opère systématiquement à partir du présent : on se souvient à partir du présent.

Troisièmement, et c'est sur ce dernier point qu'il convient surtout de réfléchir, la mémoire ne peut fonctionner qu'à partir d'une part d'oubli qui permet les recommencements, les tris, les hiérarchies, et qui permet des jugements.

La mémoire est-elle totalement soustraite à l'influence de l'histoire ? Non. L'histoire savante a des choses importantes à dire, et elle permet d'éviter les dérives mémorielles et les « bricolages ».

Un débat a eu lieu autour de la figure de Guy Môquet. J'ai l'impression qu'on lui a fait dire plus qu'il n'avait fait. Certes, au CIDEM, nous avons pensé qu'il n'était pas question d'éluder ce que représentait Guy Môquet ; toute une construction s'était élaborée autour de lui, de par la lecture historique qui avait été faite de son rôle. Mais pourquoi lui ? D'autres figures nous venaient à l'esprit, comme celles de Sophie Scholl ou de certains jeunes de la résistance allemande face aux nazis. Elles étaient intéressantes et auraient permis, en outre, d'européaniser cette évocation de la jeunesse face à la Résistance.

L'histoire savante a donc des choses à dire, vraisemblablement aussi dans la construction des programmes. Il convient que des événements forts soient mis en avant. Certes, chaque période a son histoire, et chacun sa mémoire. Mais si l'on pouvait éviter que chaque génération ne recherche une histoire qui lui convient, ou ne construise une mémoire qui la rassure, il serait alors possible de renouer la chaîne des temps qu'évoquait Jean-Pierre Rioux.

Existe-t-il des événements, totalement incontestables et qui, par delà les générations, présenteraient un caractère qui ne serait soumis à aucune discussion ni reconsidération ? Je n'en sais rien. Lorsque l'on examine l'évolution des programmes d'histoire, on se rend compte qu'il est bien difficile de dégager une sorte de masse de granit incontestable concernant les évènements. Malgré tout, nous devons faire un effort permanent pour aboutir à cette incontestabilité, pour aboutir à la reconstruction d'un universel ou d'une universalité que, précisément, la mémoire conduit à remettre en cause. Tel sera le travail des historiens et des philosophes.

Dans ce type de démarche, l'école a un rôle central à jouer. Mais l'école n'est pas exclusivement responsable de cette réflexion sur la mémoire. Il faudrait que nous parvenions à désanctuariser la réflexion que l'on peut mener sur la mémoire. À cet égard, l'éducation populaire peut être un outil important. En effet, il y a, à la périphérie de l'école, de nombreux types d'activités que les enfants sont amenés à entreprendre. Même si, en apparence, ces activités n'ont rien à voir avec l'histoire ni avec la mémoire.

Je pense à celles que proposent l'UFOLEP, l'Union française des oeuvres laïques d'éducation physique, l'USEP, l'Union sportive de l'enseignement du premier degré, ou la Ligue de l'enseignement et le CIDEM qui ont une activité éditoriale. C'est ainsi que nous avons été amenés à publier une série de petits fascicules intitulés « Repères pour éduquer ». L'un deux porte d'ailleurs sur Guy Môquet et explique assez bien quel usage on peut faire de la figure de Guy Môquet dans la relation que les jeunes doivent établir avec la période de la Résistance ; mais il y a aussi d'autres occurrences, comme la question européenne, la question de l'esclavage ou de l'identité républicaine. Ces opuscules sont destinés aux enseignants qui le demandent ; les sollicitations sont d'ailleurs nombreuses. Mais ils sont aussi destinés aux structures au sein desquelles les mouvements d'éducation populaire sont amenés à intervenir auprès de jeunes : colonies de vacances, centres aérés, voire structures sportives. Nous avons ainsi été sollicités pour expliquer à de jeunes enfants ce qu'était l'olympisme, ses figures noires, la trajectoire de certains responsables ou même certaines de ses dérives, pour qu'ils portent un regard intelligent sur ces réalités.

S'agissant de la mémoire, il faut commencer par tenter de retisser de l'universel par un apprentissage de la confrontation. Cette confrontation est d'autant plus aisée qu'elle s'exerce dans des espaces qui n'ont pas d'enjeu éducatif direct. Il faut ensuite apprendre à assumer, sans nécessairement mettre derrière de la culpabilité. Le problème est de savoir comment le travail de mémoire va s'opérer. A-t-il pour fonction de créer des enfermements ou de permettre des émancipations ? Nous pensons qu'il a pour fonction principale de permettre des émancipations, c'est-à-dire de comprendre, de juger dans certaines hypothèses, tout en sachant qu'il y a d'autres hypothèses où l'on se trouve face à l'incontestabilité du mal absolu et qui constituent des repères permettant de vivre et de fonctionner : certaines limites existent ici ou là, qu'il convient d'éviter de transgresser.

Dans un tel travail, qui porte à la fois sur la nécessité d'assumer et de retisser l'universel, nous pensons qu'il convient de le repenser plus largement. La Ligue de l'enseignement s'y est attachée il y a quelques années en engageant un travail sur l'élaboration de nouveaux universaux. Après une lecture critique de ce qu'avait été l'universel de la modernité, à partir de l'analyse des dérapages insupportables de la post-modernité, elle s'est demandé si l'on ne pouvait pas inventer un universel générique, au sein duquel, par delà l'existence de valeurs stables, on pouvait admettre que l'existence de la diversité était un facteur constructeur d'universel. On se rend compte aujourd'hui que, même si les mémoires sont diverses, plurielles, c'est précisément de la pluralité de ces mémoires assumées qu'on en viendra à créer un minimum d'universel.

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