Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Georges Pauget

Réunion du 8 octobre 2008 à 18h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Georges Pauget, directeur général du Crédit agricole, président de la Fédération bancaire française :

Eu égard à sa taille et à sa diversification, le Crédit agricole a été touché par la crise via sa filiale Calyon, spécialisée dans l'activité de banque de financement et d'investissement. Elle se livrait à des activités « industrielles » qui consistaient à acheter différents types d'actifs, à les découper avant de les assembler de façon à constituer de nouvelles catégories d'actifs présentant un couple risque-rendement identifié. C'est ce qu'on appelle dans le jargon des banquiers le cash CDO. Nous ne gardions que très peu des supports achetés puisque l'essentiel était destiné à des investisseurs institutionnels, des asset managers.

Depuis le mois de mars 2007, nous sommes dans une situation comparable à celle d'une usine dont l'encours de fabrication est gelé car le marché a disparu. La valeur de ce stock est recalculée trimestre après trimestre en fonction des indices de marché, et désormais d'un principe de mark to model, méthode consistant à déterminer autant que faire se peut une valeur de marché. Nous étions deux grands acteurs en France à avoir développé cette activité. Il s'agissait de fabriquer des produits de placement dégageant un rendement correct. Comme les taux étaient extrêmement bas, il fallait le « doper » en combinant, en proportion variable, des actifs représentant des financements de logements classiques pour partie aux États-Unis, et des subprimes. Nous vendions très vite les titres les plus risqués, mais nous conservions des actifs peu et moyennement risqués pour les vendre au fur et à mesure. Ayant cessé cette activité depuis février 2007, nous avons très peu d'actifs moyennement risqués – les « mezzanines » – mais des actifs que l'on appelle super-seniors classés alors triple A, que des assureurs, eux-mêmes classés triple A, nous garantissaient, afin de limiter encore le risque de bilan. Nous avions donc, jusqu'à la crise de 2007, toutes les raisons de croire que nous avions des actifs de très bonne qualité. Aujourd'hui, ces actifs sont dépréciés de 50 % et les garanties reçues de plus de 70 %. C'est cette seule activité qui est la cause des principales dépréciations constatées dans notre bilan.

Après avoir pris acte des évolutions du marché, nous avons restructuré notre filiale et les activités présentant un profil de risque comparable, de façon à réduire les risques, tout en procédant à une augmentation de capital pour consolider la situation financière du groupe. De la sorte, le ratio de fonds propres, dit tier one, est supérieur à 8 %, de l'ordre de 8,5 %, et notre liquidité, d'après mes informations, est l'une des meilleures des banques françaises. Depuis le début de la crise, nous n'avons pas connu, de près ou de loin, de crise de liquidités, ni dans nos SICAV, ni dans notre activité bancaire. S'agissant de la gestion pour compte de tiers – c'est-à-dire les SICAV et les compagnies d'assurance –, nous avions décidé de n'avoir aucun actif américain. Nous en procurions seulement aux investisseurs avertis qui voulaient ce type de produit.

Quant aux résultats, après l'impact de la crise de 2 milliards d'impôt, le Crédit agricole SA a dégagé un bénéfice de 4 milliards en 2007 et le groupe un peu plus de 6 milliards. Pour le premier semestre 2008, nous en étions respectivement à environ 1 milliard et 1,6 milliard, la crise ayant pesé à hauteur de 1 milliard. Bien que nous ayons mené une politique de provisionnement extrêmement prudente, notre capacité bénéficiaire a été constamment démontrée.

Pour en venir à la crise financière, l'objectif de la Fédération bancaire française et des grands établissements est de maintenir la confiance dans le système bancaire français.

Quelques points méritent d'être mis en évidence.

Premièrement, la crise est d'origine américaine, avec des répercussions en Europe. L'oublier, c'est risquer de faire à mauvais escient l'amalgame entre la situation des établissements américains et celle des établissements européens. Deuxièmement, le point de départ est un risque de crédit dans une activité non régulée, c'est-à-dire hors de tout système de contrôle. Troisièmement, aux États-Unis toujours, il faut souligner la multiplicité des régulateurs, en particulier la Federal Reserve Bank et la Securities and Exchange Commission. Selon que les établissements étaient du ressort de la première ou de la seconde, l'effet de levier de l'activité titrisée variait du simple au double, ce qui explique que les établissements ayant décidé de passer du contrôle de la seconde à celui de la première ont dû soit réduire leur activité, soit augmenter leur capital. La diversité des situations est un paramètre important.

Le degré d'implication des banques est plus élevé aux États-Unis, ce qui explique que soient touchées non seulement les grandes maisons de Wall Street, mais également la plupart des banques régionales. Le système de garantie des dépôts, le FDIC, a dû intervenir dans une dizaine de cas et des restructurations ont eu lieu pour adosser des banques d'investissement à des banques de dépôt. Les établissements de l'Eurozone ne sont pas dans la même situation même s'ils sont touchés à la mesure de leur développement aux États-Unis. L'impact est réel, mais le plus souvent limité : il fragilise les banques, anglaises et suisses en particulier. Autrement dit, les problématiques de la crise ne sont pas comparables en Europe et aux États-Unis. C'est la raison pour laquelle les mesures mises en oeuvre outre-Atlantique ne sont pas nécessairement adaptées ici, indépendamment des différences juridiques et réglementaires

La vraie difficulté consiste à donner un prix à ces actifs qualifiés aujourd'hui de « toxiques ». Ce sont des produits complexes, pour lesquels il n'existe pas de marché. De ce fait, les systèmes comptables fondés sur la valeur de marché, le principe du mark to market, ont été un facteur d'accélération de la crise. Les incertitudes, fortes parfois, pesant sur certains postes du bilan qui se dépréciaient à chaque arrêté, ont provoqué une crise de confiance et les investisseurs, traditionnels pourvoyeurs de liquidités, se sont retirés du marché. J'entends dire ici ou là que les banques ne se font plus confiance entre elles et qu'il suffirait qu'elles le fassent pour que le marché reparte. Or ce n'est pas vrai.

L'ensemble des banques françaises dégage un besoin de liquidités qui était, jusqu'à la crise, satisfait par les investisseurs institutionnels. Comme, depuis la faillite de Lehman Brothers, les compagnies d'assurance et les SICAV notamment n'investissent plus dans les supports de placement des banques, celles-ci se sont tournées logiquement vers le prêteur en dernier ressort : la BCE. Pour que le marché monétaire retrouve un fonctionnement normal, il faut non seulement un marché interbancaire, mais surtout un apport de liquidités en quantité suffisante et sur une durée suffisamment longue. Or, pour obtenir des financements de la Banque centrale, il faut offrir en contrepartie des actifs éligibles par elle. Il y a à ce sujet une discussion importante car le conseil des gouverneurs, qui arrête la liste de ce qu'on appelle le collatéral pour l'ensemble de la zone euro, doit assurer un traitement équitable des instruments, qui sont pourtant différents dans chacun des pays. Il en va de l'égalité de concurrence entre les acteurs. Cette complexité explique pour partie la difficulté que peut éprouver la Banque centrale à s'adapter dans des délais courts au changement de configuration des marchés.

La plupart des investisseurs, en particulier les SICAV monétaires, se prémunissent contre le risque de retraits de la part de leurs clients, en plaçant extrêmement court. Or la BCE a elle-même vocation à prêter court. Ainsi, de très grands établissements se retrouvent dans l'obligation de refinancer par des ressources trop courtes des actifs longs. Si la situation s'installe, elle est de nature à fragiliser le système bancaire dans son entier. Les banques cherchent donc à obtenir de la Banque centrale, et en collaboration avec elle, un allongement de la durée moyenne de ses interventions, au-delà de trois mois. Le marché, lui, pouvait prêter jusqu'à deux, voire cinq ans. Il y a donc un changement complet de la structure de financement des établissements bancaires. C'est un point crucial qui demande un traitement conjoint par les autorités publiques, la Banque centrale, et les banques qui doivent s'adapter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion