Mesdames et messieurs les députés, la présentation que je vais faire n'a d'autre objectif que de vous donner une information plus précise sur la question des drogues en Afghanistan et de compléter les propos d'introduction de M. Costa.
Depuis plus de 20 ans que l'ONUDC est sur le terrain pour identifier les surfaces de culture d'opium, l'évolution des chiffres permet de distinguer quatre périodes : une culture existante, mais limitée, durant l'occupation soviétique ; une culture en expansion durant la période des moudjahiddines ; la période que l'on pourrait qualifier des « extrêmes » sous les talibans, avec une récolte record en 1999 et une élimination totale en 2001 sur le territoire contrôlé par les talibans ; puis la période actuelle, qui est celle des « paradoxes ». En effet, malgré la mobilisation de la communauté internationale dès 2002, le pays s'est trouvé confronté à l'explosion d'une narco-industrie, avec des records sans cesse battus en 2004, en 2006 et en 2007. Fort heureusement, on observe en 2008 une chute de 19 %, due à divers facteurs que vient d'évoquer M. Costa.
La culture de l'opium ne touche pas tout l'Afghanistan. On assiste graduellement à une polarisation de cette culture, l'opium étant produit à 98 % dans les provinces du sud. Le nord, quant à lui, est pratiquement libéré de l'opium et c'est dans les provinces du sud que sont durablement établis les talibans et les groupes criminels qui profitent de l'instabilité du pays.
Pour les années 2001 à 2004, on observe dès 2002 une expansion de la culture de l'opium, une fois disparue l'oppression des talibans au lendemain de la guerre engagée en octobre 2001. La situation de non-droit qui prévalait à l'automne 2001 – à la période des semences –, une aide au développement encore inexistante et des mesures de complaisance pour la reconstruction du pays ont été quelques-uns des facteurs de la reprise immédiate de la culture dans les provinces traditionnelles du sud, de l'est et du nord, et on a assisté à une prolifération des cultures illicites, comme un cancer, sur une grande partie du territoire. Parallèlement à l'augmentation des surfaces cultivées, on assistait cependant à une réduction substantielle des provinces exemptes de la culture d'opium. Sur les 34 provinces que compte aujourd'hui l'Afghanistan, six étaient exemptes d'opium (« poppy free ») en 2006, 13 en 2007 et 18 en 2008, ce qui représente, par rapport à l'année précédente, une augmentation de 50 % des provinces qui ont vu l'élimination des surfaces cultivées. Il est intéressant de noter que la province du Nangarhar, située à l'extrémité orientale du pays et frontalière du Pakistan, n'a pas connu de culture d'opium en 2008.
La production d'opium est estimée en 2008 à 7 700 tonnes, soit une réduction de 6 % par rapport à 2007, et est presque entièrement – à 98 % – localisée, je le rappelle, dans les provinces du sud. La productivité par hectare a cependant été relativement plus forte que dans tout le pays, ce qui explique que la production n'ait pas accusé de diminution corrélative à la réduction des surfaces cultivées.
En comparant l'évolution des prix de l'opium par kilo avec celle des volumes de production, on observe une hausse des prix inversement proportionnelle à l'importance de la production. La prohibition totale de l'opium en 2001 s'est traduite par une très forte hausse des prix. En septembre 2001, ceux-ci ont même atteint 600 dollars le kilo. Sur l'année, ils étaient de l'ordre de 300 dollars le kilo, puis ont oscillé entre 250 et 300 dollars avant d'accuser une chute qui les a fait passer sous la barre des 100 dollars. Aujourd'hui, le prix de l'opium liquide est de l'ordre de 70 dollars le kilo, compte tenu d'une offre considérable et de l'existence de stocks.
Il est intéressant de noter que la culture de l'opium est plus largement répandue dans les provinces où les fermiers ont un plus haut niveau de revenu. Le revenu moyen annuel par famille de cultivateurs d'opium est environ trois fois supérieur dans le sud à ce qu'il est dans le nord. En outre, dans le sud, le revenu par famille de cultivateurs d'opium est presque deux fois supérieur à celui des familles ne cultivant pas d'opium.
Une conclusion s'impose : comme l'a noté M. Costa, l'insécurité et l'opium ont une très forte corrélation. Les provinces du sud sont aux mains d'éléments factieux, du crime organisé, souvent aidés par une administration corrompue. L'opium finance l'insurrection, laquelle offre la protection nécessaire pour la culture illicite d'opium. C'est un cercle vicieux et les armes achetées avec les revenus de la drogue sont celles qui tuent aujourd'hui nos soldats en Afghanistan.
Les raisons qui ont poussé les fermiers à refuser de cultiver l'opium en 2007-2008 sont dues pour 91 % à la religion, mais également au caractère illégal des cultures et au respect des décisions des anciens, des shuras et des chefs tribaux, ce qui démontre qu'une majorité des fermiers est sensible à la règle du droit. On voit néanmoins que les fermiers qui ont été conduits à cultiver le pavot mettent en avant la réduction de la pauvreté, le prix élevé de l'opium et une plus grande facilité pour obtenir du crédit lorsqu'on trafique l'opium que lorsque l'on produit des denrées licites. Si les fermiers doivent être soutenus par l'aide au développement, les trafiquants doivent être combattus ou éliminés. On a recensé en Afghanistan plus de 139 marchés à opium et 90 laboratoires de transformation d'héroïne et de morphine, souvent localisés dans les zones frontalières, essentiellement des zones de non-droit. Les zones tribales ont été évoquées tout à l'heure et la ceinture pachtoune, frontalière avec le Pakistan, est un lieu de concentration de laboratoires et de marchés à opium.
Des saisies d'armes et de drogue ont été réalisées dans la province d'Herat, à la frontière de l'Iran, à l'ouest de l'Afghanistan, à l'un des 15 postes frontaliers mis en place par l'ONUDC. Des armes fabriquées en Iran sont importées en Afghanistan, le plus souvent en échange de drogue. Il peut s'agir de mines antichars, y compris du dernier modèle de grenades pour lance-roquettes et de diverses autres munitions importées clandestinement en Afghanistan pour soutenir les forces rebelles. Le commerce généré par la narco-industrie recouvre également le trafic de voitures volées, qui entrent en très grand nombre en Afghanistan depuis l'Iran, en provenance d'Europe ou des Etats-Unis et sont échangées ou vendues contre la drogue – opium ou héroïne. Je précise qu'à la frontière, un kilo d'héroïne blanche se vend entre 12 000 et 15 000 dollars, soit de quoi acheter plusieurs voitures.
Comme l'illustre une photographie, prise à un poste de contrôle des véhicules commerciaux dans la province de Farah, qui est également dans l'ouest de l'Afghanistan et frontalière de l'Iran, la police des frontières afghane contrôle des véhicules de transport de substances liquides. Mais la police est sous-équipée et vulnérable à toutes les formes de corruption. Les véhicules, quant à eux, sont parfaitement adaptés à l'importation des précurseurs chimiques nécessaires à la transformation de l'opium en morphine, puis en héroïne, et permettent aux trafiquants de traverser des territoires désertiques à des vitesses élevées, qui peuvent atteindre 140 kilomètres à l'heure, sans se faire arrêter par des postes de contrôle mobiles.
Les laboratoires de transformation disposent désormais de bâtiments modernes, munis d'infrastructures de stockage, qui diffèrent des laboratoires dotés d'un équipement rudimentaire dont on avait l'image ces dernières années et qui pouvaient laisser penser que cette activité avait un caractère approximatif. Dans l'un de ces laboratoires, on a saisi une artillerie bien fournie destinée à défendre les installations.
Je conclurai en évoquant quelques pistes de réflexion en vue de l'élargissement du rôle de l'OTAN à la lutte contre la drogue, qui ont été évoquées par M. Costa avec le Secrétaire général de l'OTAN au début du mois de septembre.
Si l'aide au développement accordée aux fermiers doit augmenter, il faut aussi que les coûts et les risques engendrés par la production d'héroïne augmentent. Les forces afghanes et l'OTAN doivent s'engager dans la destruction des laboratoires et la neutralisation des convois de drogue – souvent accompagnés par des talibans en pick-up ayant en particulier pour tâche de les protéger lors du passage des frontières –, ainsi que dans la saisie des drogues et des précurseurs chimiques.
Il est également important d'arrêter les barons de la drogue et de contribuer à mettre en application les résolutions adoptées en 2006 et en 2008, qui restent aujourd'hui malheureusement sans suite.
Il faut aussi apporter un soutien logistique à l'armée et la police afghanes, et renforcer les contrôles aux frontières avec l'Iran, le Tadjikistan et le Pakistan, points de passage obligés des drogues, des précurseurs chimiques, des armes et des trafiquants, lesquels transitent certainement par les mêmes réseaux que les terroristes d'Al Qaïda ou les talibans qui harcèlent les troupes gouvernementales sur le terrain.
Il importerait également de renforcer et d'étoffer les Provincial reconstruction teams, ou PRT, équipes de reconstruction provinciales, de composition à la fois civile et militaire, créées pour coordonner l'intervention internationale dans certaines provinces sous l'autorité de certaines puissances – comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas à Kandahar et à Helmand –, et de doter ces unités d'une expertise antidrogue.
Il importe enfin, sur le plan militaire, de stabiliser les provinces désormais exemptes de drogue, de plus en plus nombreuses. De fait, les 6 000 hectares cultivés la saison dernière à Nimroz, à l'ouest, et les 2 000 hectares cultivés respectivement à Zaboul et Daikundi, au sud, représentent de faibles quantités et des surfaces relativement contrôlables par rapport aux 100 000 hectares cultivés à Helmand, à condition de stabiliser et de sécuriser la région. Des mesures urgentes doivent donc être prises pour compléter le dispositif.