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Intervention de Christophe de Margerie

Réunion du 4 juin 2008 à 11h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Christophe de Margerie :

En remarquant que le discours est différent selon que l'on s'adresse aux personnes seul à seul ou en groupe, je n'avais nullement l'intention de m'en prendre aux parlementaires, monsieur Gaubert. Si vous l'avez ressenti comme une attaque, je vous prie d'accepter mes excuses. Ma remarque, sans doute maladroite, tient aussi à ce que les cent dix mille personnes travaillant chez Total, dont quarante-cinq mille Français, sont très choquées d'être accusées de s'enrichir par la spéculation alors que ce sont elles qui vont chercher dans des endroits difficiles le pétrole consommé dans notre pays.

Pour estimer les réserves restantes d'hydrocarbures, il faut d'abord s'accorder sur ce qu'on entend par ce terme. Par exemple, nous ne considérons pas les schistes bitumineux comme des réserves car on ne sait pas comment les exploiter, à quel coût et moyennant quels risques environnementaux. Le monde a consommé 1 000 milliards de barils. Les champs déjà connus ou en production recèlent à peu près la même quantité, voire un peu plus. Pour ce qui est des nouvelles découvertes, nous nous montrons plus pragmatiques que d'autres en estimant à 200 milliards de barils les réserves restant à découvrir, à 300 milliards de barils celles qui résulteront de l'augmentation de 5 % du taux de récupération grâce aux nouvelles technologies et à 600 milliards – chiffre peut-être optimiste – celles qui correspondent aux huiles lourdes. On aboutit donc à un total de plus de deux mille milliards de barils de réserves encore disponibles.

Au-delà des chiffres, ce qui compte c'est notre capacité à sortir ces réserves du sol. La production actuelle est de 86 millions de barils par jour et l'on sait bien qu'il est impossible d'ouvrir plus grand les robinets. J'ignore d'où vient le chiffre de 100 millions de barils par jour que l'on a présenté comme un point d'équilibre. Le « pic huile » s'écarte à l'évidence des prévisions car les champs déclinent et nous avons du mal à en mettre de nouveaux en production. Il serait déjà très satisfaisant d'arriver à 95 millions de barils par jour. Je précise que ces 95 millions permettraient une consommation de 100 millions, du fait des évolutions liées aux biocarburants et à l'efficacité de raffinage. Compte tenu des problèmes géopolitiques et environnementaux, y parvenir représente une bataille de tous les instants. Sans rapport avec les dividendes distribués aux actionnaires, c'est la bataille que mènent tous les jours les équipes de Total dans des pays difficiles.

Il faut, j'y insiste, convaincre certains pays producteurs de nous donner la possibilité de sortir ces barils. On assimile trop vite ces pays aux Émirats ou à l'Arabie Saoudite. L'Angola, le Nigeria et bien d'autres sont beaucoup moins riches que la France et estiment, lorsque nous leur parlons de développement durable, qu'il conviendrait de commencer par le mettre en pratique chez nous. On ne peut prendre en considération les seuls intérêts français : la manne pétrolière est avant tout celle du pays producteur.

Les réserves se répartissent à hauteur de 85 % pour les compagnies nationales et de 15 % pour l'ensemble des compagnies privées, qui représentent pourtant 25 % des investissements. Ce surinvestissement est normal et ne saurait être invoqué pour en faire le reproche aux pays producteurs. C'est par le dialogue que l'on parviendra à leur faire comprendre qu'il est de leur intérêt de produire plus.

Si l'on ne fait pas ces efforts, la production de pétrole et de gaz sera insuffisante pour couvrir nos besoins dans les prochaines années et les énergies nouvelles ou complémentaires n'arriveront pas assez vite pour compenser ce manque. Il convient donc de mettre l'accent sur la production des barils nécessaires. Dans le même temps, profitant de ses bons résultats, Total s'applique aussi à produire de l'énergie fossile en étant plus préoccupé du sort de la planète. Il n'y a là aucune incompatibilité, surtout si l'on nous laisse les moyens de mener notre action.

À une association de consommateurs qui comparait l'augmentation de la fiscalité sur les hydrocarbures en Grande-Bretagne et en France, j'ai fait valoir qu'il était très différent d'accroître la fiscalité sur sa propre production et sur celle des autres. Lorsque l'on reproche à un pays producteur qu'il augmente trop ses taxes et que sa rente est trop importante, il ne manque pas de demander pourquoi la France touche plus de 50 % du prix à la pompe d'un produit qui n'est pas le sien ! Le raisonnement est loin d'être absurde.

De plus, il faut se féliciter que le rendement des taxes soit moins élevé qu'il y a quelques années, car c'est le signe d'une légère baisse de la consommation.

En matière de taxes, pourtant, la vraie question est de savoir pourquoi un gouvernement a opté pour le tout-diesel en taxant l'essence à 60 % et le gazole à 50 %. C'était d'ailleurs un présupposé étonnant : comment a-t-on pu considérer que le gazole serait toujours moins cher parce qu'on l'avait décidé à un moment donné ? Aujourd'hui, au niveau mondial, la demande de gazole excède l'offre à tel point que la hausse de ce produit a plus que compensé le différentiel de taxes. Cela fait pourtant cinq ans que nous expliquons, en vain, que poursuivre le tout-diesel sans se préoccuper de l'offre de gazole, c'est aller droit dans le mur ! Nous nous sommes tournés vers les motoristes et nous leur avons proposé de contribuer à leurs recherches sur l'efficacité des moteurs à essence.

J'ai débattu d'un sujet analogue avec trois coopératives de marins-pêcheurs, dont j'ai rencontré les représentants avec M. Michel Barnier. Les marins-pêcheurs sont parfaitement conscients que Total leur vend le gazole à prix de revient, sans aucune marge. Nous avons aussi décidé d'entreprendre des actions dans trois domaines.

Tout d'abord, pour inverser la tendance entre gazole et essence, Total investira dans la recherche sur l'efficacité de l'essence. Il l'avait déjà fait, soit dit en passant, dans les années 1990, lorsque la politique française était au tout-essence sans plomb et avant que l'on ne donne la priorité au gazole. Nous ferons tout pour extraire le « fond du baril », mais la solution ne passera pas que par le gazole et il faut savoir que les produits de fond de baril sont plus polluants et plus dangereux.

Ensuite, comme Total ne peut vendre à perte, l'entreprise étudiera ce qu'elle peut faire pour aider directement les familles de pêcheurs en difficulté.

Enfin, nous appuierons la recherche pour améliorer l'efficacité des moteurs diesel actuels des bateaux. Les marins-pêcheurs, plutôt réticents au départ, nous ont d'ailleurs remerciés d'avoir mis au point un nouveau lubrifiant pour ces moteurs.

En matière de fiscalité française, il ne m'appartient pas de répondre. L'année dernière, nous avons volontairement contribué à la prime à la cuve car nous estimions que c'était nécessaire. Si nous avons effectivement dit que nous étions prêts à considérer à nouveau une telle mesure, que l'on nous laisse le soin de le décider sans nous l'imposer et que l'on ne vienne pas dire que l'on en a discuté quand ce n'est absolument pas le cas ! Un journal a affirmé que j'en avais parlé avec M. Barnier alors que nous n'avons traité, comme il est normal, que des problèmes de la pêche. L'aide à la cuve concerne le ministère des Finances. La discussion est sûrement prévue mais elle n'a pas eu lieu pour l'instant. J'aimerais qu'on laisse aux entreprises le soin de décider de ce qu'elles doivent faire. Tenter de le leur imposer n'est pas la meilleure manière de faire avancer un débat suffisamment compliqué comme cela !

Quant à savoir s'il faut faire évoluer les taxes ou non, je relève seulement que l'on s'est demandé pendant des années si une énergie chère permettrait de réduire la consommation. Nous sommes parvenus à ce stade aujourd'hui, même s'il n'est pas sain que cela se soit produit aussi vite. Il nous faut donc réfléchir : utilisons-nous au mieux notre énergie aujourd'hui ? Pour le reste, la façon dont les recettes fiscales sont utilisées relève de la responsabilité du Gouvernement.

En ce qui concerne la structure des coûts amont, les pays producteurs récupèrent actuellement plus de 90 % de leur rente, ce qui est parfaitement logique. Les 10 % restants font partie des résultats des compagnies pétrolières. Je me réjouis, à cet égard, que Total, société française, se porte bien et puisse réaliser des investissements lourds dans tous les domaines pour un montant global équivalant à son résultat net, soit 12,5 à 13 milliards d'euros. Ces investissements continueront à augmenter d'année en année.

Il ne nous appartient pas de donner des leçons aux pays producteurs sur l'utilisation de leur argent. On peut essayer de faire passer d'autres messages, notamment par le biais d'une ouverture aux fonds souverains.

En matière d'énergies complémentaires, nous avons décidé de renforcer notre effort de développement dans le solaire, auquel nous nous intéressons depuis longtemps, voire de procéder à des acquisitions si cela est nécessaire pour gagner du temps.

Nous faisons également porter notre effort sur la biomasse de deuxième génération, après avoir décidé de ne pas travailler en amont de celle de première génération – pour des raisons aujourd'hui bien connues mais que nous avions eu le tort d'exposer de façon malhabile à l'époque, ce qui nous avait valu d'être accusés de défendre nos seuls intérêts. En tant que raffineur, Total s'emploie à ce que les biocarburants soient le plus efficaces et le moins chers possible. Toutes les sources d'énergie sont bienvenues mais nous orientons notre recherche sur la deuxième génération, en particulier la cellulose.

Troisième axe de recherche : le charbon propre, sachant que nous ne nous lancerons pas dans cette technologie avant d'avoir maîtrisé le captage et le stockage du CO2.

Le dernier axe est celui du nucléaire. Du fait des problèmes de sécurité inhérents à ce domaine, il nous est apparu plus pertinent de travailler dans des pays producteurs que nous connaissons et que certains de nos partenaires, comme Suez et Areva, connaissent moins. Nous avons un rôle à jouer en tant qu'investisseur mais notre apport peut aussi consister dans la qualité de nos relations sur place. Le développement du nucléaire pose des problèmes dans certains pays occidentaux. D'autres pays dans le monde connaissent moins de difficultés de cet ordre et pourraient, en échange, nous envoyer plus de gaz : ce serait une manière intelligente de mieux répartir les ressources de la planète. Si nous arrivions à réaliser un tel projet avec Suez et Areva à Abou Dhabi, ce serait un bon point de départ dans une activité nouvelle pour notre groupe.

En matière de formation et de recrutement, le secteur du pétrole est plus favorisé que celui du nucléaire : on est toujours très intéressé, dans les universités et les écoles, par la perspective de rejoindre Total. La compagnie ne connaît aucun problème d'embauche. Elle cherche en revanche à recruter du personnel de qualité dans les pays où elle se développe. Cela fait partie de son engagement : il faut aussi des Nigérians, des Angolais ou des Indonésiens qualifiés.

En ce qui concerne la Birmanie, j'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer sur les raisons de notre présence dans ce pays devant la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. La présence de Total, lors des tragiques événements récents, a été très appréciée par les ONG qui se sont rendues sur place et ont bénéficié de notre logistique. Il est plus facile d'agir quand on est présent que quand on est absent. La compagnie Total n'a pas vocation à expliquer ce qu'est le droit mais, plus que jamais, nous pensons que notre présence en Birmanie a été utile, efficace et appréciée.

La fondation Total représente une petite partie de l'action de sponsor et de mécène de la compagnie. Nous avons voulu la rendre plus visible en adjoignant au thème de la biodiversité deux autres grands domaines d'intervention, le culturel et le sociétal. Parmi de multiples actions, nous soutenons ainsi la Fondation du patrimoine et la Société nationale de sauvetage en mer.

Le Président Didier Migaud : Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le bénéfice mondial consolidé ?

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