Je m'efforcerai de restreindre la durée de mon intervention pour avoir le temps de répondre à vos questions.
Nous avions souhaité nous rencontrer plus tôt mais le sujet demeure plus que jamais au centre de l'actualité. La crise des prix de l'énergie doit permettre de faire passer des messages et de faire bouger les choses. Nous souhaitons faire comprendre que le thème de l'énergie, qui n'a pas toujours captivé la communauté nationale, est au coeur de la vie du pays. L'accès à l'énergie et à l'environnement sont prioritaires mais parler de l'un sans l'autre n'a aucun sens. Ne rendons pas antagonistes des gens déterminés et bien intentionnés mais qui peuvent se tromper s'ils n'ont pas conscience de l'impact de leurs décisions. Une compagnie comme Total doit assumer ses responsabilités, elle a le devoir de prendre la parole, mais ce n'est pas toujours facile. En groupe, vous êtes parfois amenés à défendre des convictions incompatibles avec la réalité alors qu'individuellement vous êtes souvent sur des positions différentes. Total n'est pas là pour donner des leçons. Nous avons souvent été taxés d'arrogance, parfois à juste titre, mais ce n'est qu'une apparence qui tient à notre façon de communiquer : quand nous savons quelque chose, nous avons tendance à l'affirmer plutôt qu'à l'expliquer. Nous faisons en sorte que cela change.
Aujourd'hui, les prix de l'énergie posent problème. Le phénomène touche la France comme l'ensemble de la communauté internationale. Il ne s'agit pas de transmettre un message pessimiste car nous connaissons les solutions. La situation actuelle est probablement le résultat d'une mauvaise compréhension du fonctionnement du monde. Je maintiens que le développement de la croissance dans les pays émergents est une bonne nouvelle pour l'Europe et l'Occident car l'ensemble du système en bénéficiera. Dans un premier temps, cet élan est ressenti comme une agression, mais il est inconcevable de porter un jugement négatif sur le fait que des gens sortent de la pauvreté. Par ailleurs, si la croissance est tirée vers le haut, peu importe de quelle aire géographique vient le mouvement, l'essentiel est que nous tirions bénéfice de la mondialisation.
Ces derniers mois ont été marqués par deux événements.
Premièrement, la crise des subprimes a eu et continue à avoir un impact sur la croissance et sur la parité dollareuro. Les consommateurs européens, qui sont nos clients, en ont bénéficié puisqu'ils n'ont pas eu à supporter l'intégralité de la hausse du coût de l'énergie. L'effet est plus négatif pour les résultats de Total, comptabilisés en euros, mais il ne s'agit pas de faire pleurer sur les résultats de l'entreprise.
Deuxièmement, les prix de l'énergie se sont envolés. Lorsque le baril a atteint 35 dollars, j'ai prévenu, et j'ai répété lors de conférences, que c'était une très mauvaise nouvelle, mais que ce n'était qu'un début. Certains souhaitent une énergie chère, alors que le pouvoir d'achat est un sujet sensible. Le véritable problème n'est pas le prix de l'énergie mais la rapidité de son ascension. Au regard du pouvoir d'achat des Français, l'énergie n'est pas onéreuse, compte tenu de la part qu'elle représente dans le budget des consommateurs et du niveau d'inflation. Mais, pour un ménage, il est difficile voire insupportable de payer le prix actuel. En revanche, les Chinois et les Indiens vont continuer à accroître leur consommation car une partie de la population, qui n'utilisait pas d'énergie jusqu'à présent et peut passer tout à coup du vélo à la voiture, est insensible à l'élasticité des prix, d'autant que les véhicules consomment de moins en moins. Le prix du baril a doublé pour atteindre 130 dollars, avant de retomber à 125 dollars, et on a vu que les tarifs ont tout de même un impact sur la consommation, en particulier aux États-Unis. À ce propos, je ne suis pas persuadé que les récentes décisions de General Motors s'appuient uniquement sur des considérations écologiques ; cette société va mal et a surtout besoin de se restructurer.
En tout cas, il faut accepter que, quoi qu'il advienne, les prix de l'énergie restent durablement élevés. Le message n'est pas sympathique ; il m'a valu quelques caricatures dans le Canard enchaîné.
Même pour vous faire plaisir, je ne vous dirai pas que les prix de l'énergie vont diminuer. Toute volonté de baisse serait freinée par le coût de renouvellement des productions et des réserves, qui s'élève à 80 dollars par baril environ. Pendant des années, pour ne pas faire peur ou pour ne pas accréditer l'idée que nous tirions bénéfice de cette manne, nous nous sommes trompés en affirmant que les prix avaient atteint un sommet et allaient baisser. Maintenant, je vous le dis clairement, je ne me risquerais pas à affirmer que nous avons atteint un sommet. Nous ferons tout pour que le prix soit à nouveau plus acceptable par les consommateurs, mais il ne faut pas rêver : à une époque où l'environnement et la sécurité comptent autant, les prix pourront difficilement être entraînés à la baisse.
En revanche, un vrai débat s'ouvre à propos des comportements. Apporter aux clients de Total des produits permettant de consommer beaucoup moins n'est pas une échappatoire mais un engagement, même si cette logique est inhabituelle de la part d'un industriel.
Les pays producteurs ne sont pas forcément intéressés par une augmentation des extractions. Les États non démocratiques, qui ne sont pas dépourvus pour autant d'opinion publique et de stratégique politique, n'ont aucune raison de développer leurs réserves s'ils n'ont pas besoin de plus d'argent. À nous de leur expliquer qu'ils font partie d'un ensemble et que, si les pays occidentaux vont mal, ils en subiront à terme les conséquences. Cela requiert un vrai dialogue plutôt que les invectives trop souvent entendues, qui ne peuvent que provoquer des blocages.
Le Grenelle de l'environnement a été un grand moment pour Total, pas tant pour les mesures pratiques qu'il a suscitées à ce stade mais parce que, pour la première fois, des gens parlant un langage différent ont pu discuter et s'expliquer.
Des progrès sont encore possibles en matière de transparence. Sans vouloir donner des leçons, ce qui nous a été souvent reproché, parfois à juste titre, les compagnies pétrolières sont certainement les industries françaises les plus transparentes. Tous nos chiffres sont connus au demi cent d'euro près. J'aimerais que toutes les filières en fassent autant car cela permettrait de prendre les bonnes décisions. Pour m'être penché de près sur le cas de la pêche, je trouve intéressant, alors que des usines à gaz sont montées pour permettre à certains de vivre de manière intelligente et pérenne, de comprendre où se situe le problème.
Notre priorité est de fournir davantage d'énergie à nos clients. Quand ils en manquent, ils protestent et refusent de mourir en entendant discourir sur l'environnement. Je n'entrerai pas dans ce débat car je ne veux pas opposer énergie et environnement. Pour faire face aux défis, il faudra compléter les énergies fossiles par les énergies nouvelles ou complémentaires, en espérant qu'elles soient effectivement plus propres. Nous aurons demain besoin de toutes les formes d'énergie pour satisfaire la demande, c'est pourquoi chez Total nous préférons parler d'énergies complémentaires plutôt qu'alternatives. Mais vous n'entendrez pas Total déclarer que les énergies fossiles représentent la mort, quand chacun sait que le carbone, c'est la vie. Avec un tel message, qu'on ne s'étonne pas si des jeunes s'interrogent à venir travailler dans notre secteur ! Le carbone est à la base de la science. S'il pose de nos jours des problèmes, notamment en matière de gaz à effet de serre, le jeter aux orties n'est pas une réponse. Il faut très rapidement trouver une solution pour régler de front les deux problèmes. Dorénavant, nous prenons le risque de nous occuper des deux sujets et nous l'assumons ; nous sommes prêts à nous battre pour que notre planète ne rencontre pas des problèmes insurmontables dans les années à venir.
Il faut donc avoir le courage de dire que le prix des hydrocarbures sera durablement élevé, même si j'espère que nous parviendrons à stopper la hausse. Il faut aussi avoir le courage de dire que le pétrole sera rare à la fin de ce siècle, ce qui amène à distinguer les notions de capacités de production et de réserves. Pour les premières, les difficultés interviendront beaucoup plus tôt.
La spéculation existe, c'est clair. Mais il faudrait être ignorant, ou vouloir tromper les gens, pour affirmer qu'elle est responsable du passage du prix du baril de 12 à 130 dollars depuis 1999... Les vannes pétrolières sont ouvertes à fond. Un seul pays producteur dispose de capacités supplémentaires, l'Arabie Saoudite. Compte tenu des incertitudes pesant sur le monde, ces 2 millions de barils à peine, sur un total de 86 millions, permettront de réagir à une crise majeure, par exemple au Nigeria. Total emploie dans ce pays beaucoup de personnels, locaux ou expatriés, qui travaillent dans des conditions difficiles et sont de plus en plus souvent victimes d'agressions ou de kidnappings. Si Total et les autres compagnies pétrolières décidaient de partir demain, pour des raisons de sécurité, le prix du baril flamberait car la quantité de pétrole disponible serait insuffisante, les réserves saoudiennes ne couvrant pas les 2 millions de barils produits quotidiennement au Nigeria. La spéculation ne consiste pas à jouer des prix bas alors que la production satisfait la demande mais à jouer des prix hauts parce que la situation est limite, ce qui crée des tensions sur les marchés. C'est un cours d'économie de base que vous devez tous naturellement comprendre, puisque vous siégez dans des Commissions spécialisées. Les pays producteurs mettent les prix élevés sur le compte de la spéculation mais vous savez tous que nous sommes confrontés à des problèmes avec l'Iran, l'Irak, le Venezuela, la Colombie, le Nigeria et que l'Alberta, naguère le plus libéral des territoires, vient de repousser sa production d'huiles non conventionnelles, pour des raisons environnementales, ce qui est positif. C'est pourquoi le prix du pétrole est aujourd'hui élevé.
Outre notre action industrielle et pétrolière, nous avons une responsabilité sociétale, aussi bien vis-à-vis de la France que vis-à-vis des autres pays où nous travaillons et vis-à-vis de l'environnement. Parmi nos engagements, nous avons décidé d'inclure une liste d'actions et d'investissements exclusivement dédiés à l'environnement. Nous avons évidemment besoin d'énergies nouvelles. Pendant des années, on a dit que les pétroliers faisaient tout pour maintenir les prix bas afin d'empêcher le développement des énergies nouvelles. Nous devrions alors être tous virés car l'augmentation du prix du baril de 20 à 130 dollars prouverait que nous avons échoué ! Au demeurant, même à 130 dollars le baril, ces énergies de substitution doivent encore être subventionnées, et vous savez pourquoi. Il faut cesser de raconter des carabistouilles ! Puisque la mobilisation de toutes les énergies est nécessaire, Total répondra présent pour aider, dans la mesure du possible, en particulier dans des domaines très éloignés de ses métiers, comme le nucléaire.
Quels sont nos engagements ?
Total privilégie tout d'abord les métiers dans lesquels il est le meilleur, dans l'optique de fournir aux consommateurs davantage d'énergies fossiles.
Total est également au coeur du débat sur la responsabilité des gaz à effet de serre. Une proportion très faible des émissions mondiales est imputable à la France. De surcroît, nos activités industrielles de pétrolier représentent une très faible part de ces émissions – seulement 5 % –, mais nous sommes conscients de transférer cette responsabilité aux consommateurs, ce qui fait passer les émissions globales imputables au secteur à 33 %. Notre impact s'établit donc quelque part entre 5 et 33 %, mais nous assumons la responsabilité d'agir sur les 33 %. Premièrement, nous devons faire en sorte de moins consommer dans nos installations. Deuxièmement, les produits que nous vendons doivent être eux-mêmes plus efficaces, grâce à l'utilisation de biocarburants ou de bioproduits. Troisièmement, nous devons trouver des solutions pour capter et stocker les gaz à effet de serre, en particulier le CO2, comme nous nous y employons dans le cadre du projet de Lacq. Nous entrons dans une nouvelle ère. Ce changement de comportement, aussi bien en tant que producteur qu'en tant de consommateur, est une révolution. Il ne s'agit pas de se renvoyer la balle entre l'énergie et l'environnement mais de s'occuper des deux sujets à la fois.
Total consacre environ 1 milliard de dollars à la recherche et au développement, soit une hausse de 20 % en un an, sans compter le 1,8 milliard dépensé dans l'exploration pétro-gazière. Sur le plan comptable, cette seconde somme est passée en investissement, mais il s'agit bien, dans de nombreux cas, de recherche appliquée ; elle augmente de 300 à 400 millions de dollars par an, pour faire face à des défis de plus en plus complexes, en mer profonde ou ailleurs.
Total promeut l'énergie solaire. Outre l'action que nous menons à travers nos deux filiales, Tenesol avec EDF et Photovoltech avec Suez, nous avons décidé d'injecter 25 millions de dollars dès 2008 pour mettre en place des projets pilotes, en particulier dans les zones de danger de nos raffineries ou sur des friches industrielles. Nous investirons également 125 millions de dollars supplémentaires, toujours dès 2008, dans des fonds d'investissements spécialisés à effet levier.
Total a également lancé un certain nombre de pilotes pour améliorer l'adéquation entre l'offre et la demande. Nous avons notamment un projet de 70 millions de dollars en matière de méthanol pour des produits pétrochimiques en Belgique, qui devrait démarrer cette année.
Total va développer en cinq ans un programme de plus de 800 millions de dollars, dont plus de 200 millions dès 2008, afin d'améliorer l'efficacité de ses opérations du point de vue de l'impact environnemental. Cela passe en particulier par une politique de « zero flaring », c'est-à-dire par le fait de ne plus torcher de gaz sur nos puits ; sur ce point, nous avons encore beaucoup d'efforts à accomplir mais nous avons pris l'engagement, il y a deux ans, de réduire nos émissions de 50 % d'ici à 2012. Nous nous sommes aussi engagés à améliorer l'efficacité de nos raffineries en y investissant 160 millions de dollars en cinq ans et celle de notre pétrochimie avec 190 millions de dollars en six ans. Enfin, nous finalisons avec l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, un contrat portant sur un programme de 150 millions de dollars sur cinq ans.
Ces engagements viennent évidemment s'ajouter aux efforts d'investissement récurrents réalisés par le groupe pour prolonger son activité, maintenir sa croissance et amener davantage d'énergie au consommateur.
Si vous le souhaitez, je suis prêt à revenir aborder devant vous le thème de l'équilibre de l'offre et de la demande, chiffres à l'appui.