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Intervention de Rolande Ruellan

Réunion du 27 septembre 2007 à 11h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Rolande Ruellan :

Pour répondre à la demande de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes vous a fait parvenir, fin 2005, les extraits de ses rapports annuels sur la sécurité sociale concernant le médicament. Les deux communications de la Cour des comptes, qui vous ont été transmises récemment, permettent d'approfondir et de vérifier les évolutions en ce domaine.

Je présenterai en premier le rapport sur la consommation et la prescription des médicaments, dont l'objet était d'analyser les facteurs pouvant expliquer la surconsommation de médicaments en France.

Trois séries de facteurs explicatifs ont été isolées : le circuit de la mise sur le marché et de l'admission au remboursement, qui est insuffisamment sélectif, les comportements de prescription des médecins, trop faiblement encadrés, et les comportements de consommation des patients, dont l'information est encore insuffisante. Le champ de l'enquête a été limité aux médicaments délivrés en ville, à l'exception de l'automédication, qui se limite en France à 6 % de la consommation. Je signale, par ailleurs, que, dans le rapport annuel 2007 de la Cour des comptes qui est paru ce mois-ci, est analysé l'achat de médicaments à l'hôpital.

La situation française est bien connue. Notre pays est au premier rang en Europe pour le niveau des médicaments prescrits et vendus, sans que cela se justifie par des indicateurs de morbidité ou de mortalité particuliers. La consommation est très concentrée. Elle concerne les affections de longue durée (ALD) et les personnes âgées, 10 % des assurés sociaux consommant 47 % des médicaments remboursés. La classe qui détient le record des médicaments consommés reste les antibiotiques, malgré une baisse due à la campagne, très efficace, conduite par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés – la CNAMTS. On constate toujours une surconsommation d'antibiotiques générant des résistances – comme les céphalosporines –, de psychotropes, de statines, d'IPP – inhibiteurs de la pompe à protons – de veinotoniques et de vasodilatateurs.

Le niveau de prescription est élevé puisque 90 % des consultations de généralistes comportent une prescription de médicaments. On note de grandes disparités de comportement entre départements et entre catégories de praticiens pour un même médicament.

Les enjeux de santé publique sont importants avec des problèmes d'affections iatrogènes et l'impact sur les dépenses d'assurance maladie est lourd puisque le coût des médicaments dans les soins de ville augmente très fortement chaque année.

L'une des premières raisons de la situation atypique de la France, de cette autre exception française, est que le circuit de la mise sur le marché et de l'admission au remboursement est insuffisamment sélectif, que ce soit lors de la première inscription des médicaments ou après leur commercialisation. La Cour des comptes avait déjà dénoncé ce manque de sélectivité en 2004.

Les autorisations de mise sur le marché (AMM) sont maintenant essentiellement délivrées par l'Agence européenne du médicament (EMEA). Celles délivrées par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) concernent surtout des génériques et des me too. La revue Prescrire a noté que plus de 85 % des dossiers examinés n'apportent rien de nouveau. Toutefois la procédure d'AMM n'a pas pour objet de faire des comparaisons : si les trois critères de l'efficacité, de l'innocuité et de la qualité du médicament sont réunis, l'AMM est délivrée.

S'agissant de l'admission au remboursement, la Cour a constaté que la réforme des critères de l'évaluation initiale prévue depuis 2004 n'est toujours pas intervenue. Les quatre niveaux de service médical rendu (SMR) qui déterminent les taux de remboursement – 65 %, 35 % ou 0 – ne permettent pas une grande sélectivité, comme le prouve le fort taux – 86 % – d'attribution de SMR important en 2006.

L'intérêt de santé publique n'est pas suffisamment pris en compte, alors qu'il a été défini par la Haute autorité de santé, la HAS. Il en résulte une confusion entre les notions de SMR insuffisant et d'inefficacité du produit. La Cour recommande donc une nouvelle fois la réforme des critères d'admission selon un schéma qui permette de prendre en compte l'intérêt de santé publique.

L'amélioration du service médical rendu (ASMR) doit être appréciée pour chaque indication, sur la base de comparaisons avec des alternatives thérapeutiques. Elle détermine le niveau de prix. Les ASMR de niveau V doivent diminuer le coût du traitement pour être admis. Une majorité de décisions de la commission de la transparence débouche sur des ASMR V.

La Cour regrette que les essais cliniques entre comparateurs ne soient pas obligatoires et qu'il n'existe pas de liste de médicaments classés par niveau d'ASMR. Elle recommande de remédier à ces insuffisances.

En 2004, la Cour avait déjà noté qu'il n'y a pas d'analyse médico-économique permettant de rapporter l'efficacité des médicaments à leur coût. Des pays voisins, dont la Grande-Bretagne et l'Allemagne, introduisent un critère économique dans leurs décisions de prise en charge des médicaments. La CNAMTS a reçu le pouvoir de fixer le taux de remboursement mais pas la liste des médicaments ni leur prix. Son pouvoir est donc illusoire, alors qu'elle est habilitée à inscrire les actes médicaux dans la classification commune de ces derniers, la CCAM. La Cour considère que le financeur devrait avoir plus de place dans la procédure d'admission au remboursement. La CNAMTS pourrait s'appuyer sur des analyses médico-économiques, que la HAS est prête à faire, pour intervenir en ce domaine.

La Cour s'est à nouveau intéressée au suivi des médicaments en vie réelle pour constater que la réévaluation de la balance bénéfice-risque est très timide. Elle a notamment déploré l'insuffisance de réactivité en pharmacovigilance, en observant que les décisions de suspension ou de retrait interviennent tardivement, alors qu'elles sont plus rapides dans d'autres pays. Cela lui a paru d'autant plus dommage que la loi du 26 février 2007 permet de renouveler l'AMM sans limitation de durée au bout de cinq ans, ce qui impose une plus grande vigilance aux difficultés pouvant surgir pendant l'utilisation des médicaments.

Je déplore que la communication adressée à la MECSS se soit retrouvée dans la presse fin août, alors qu'elle comprenait des exemples que nous avions jugés utiles de vous signaler et qui ne sont pas publiés dans le rapport annuel de la Cour des comptes sur la sécurité sociale.

La réglementation communautaire impose, depuis novembre 2003, d'intégrer des plans de gestion des risques dans le dossier d'AMM pour certains produits. Ces plans peuvent prévoir des études post-AMM, que la Cour avait déjà demandées en 2004.

L'AFSSAPS et le Comité économique des produits de santé (CEPS) demandent la réalisation de telles études mais peu vont jusqu'à leur terme. La Cour s'interroge sur la manière de rendre ces procédures plus efficaces et suggère de prévoir des sanctions financières contre les entreprises qui ne réalisent pas, ou ne réalisent pas dans les délais impartis, les études post-AMM demandées par l'AFSSAPS.

Le suivi des médicaments est également apparu peu réactif. Les opérations de réévaluation entreprises entre 1999 et 2001 n'ont pas été suivies d'effet suffisamment rapidement : il y a eu des baisses de prix et la création d'un ticket modérateur à 15 %, présenté comme une marche d'escalier vers le déremboursement. La Cour constate que les économies attendues en ont été réduites.

De manière générale, et la Cour n'est pas la seule à le dire, la transparence des travaux d'évaluation des médicaments n'est pas suffisamment assurée. La Cour a examiné la question des déclarations d'intérêt des agents et des experts, la publication des rapports d'évaluation d'AMM – les fameux RAPPE –, ainsi que celle des ordres du jour, des comptes rendus et du règlement intérieur des commissions, toutes informations rendues obligatoires par la loi du 26 février 2007 qui a assuré la transposition de la directive communautaire 200427CE. Si la loi date de 2007, la directive remonte à 2004 et les établissements concernés auraient dû se préparer plus vite. On constate encore des délais très longs et des insuffisances dans la publication. La Cour recommande aussi de renforcer la transparence des groupes de travail de l'AFSSAPS et d'améliorer la gestion des conflits d'intérêt.

La forte consommation de médicaments est également due au fait que les prescriptions ne sont que faiblement encadrées.

Deux méthodes de contournement de l'AMM, qui ont leurs justifications, peuvent conduire à des abus : la procédure d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) et les prescriptions hors AMM.

L'ATU nominative ou cohorte est normalement accordée par l'AFSSAPS dans l'intérêt des malades. La Cour n'en conteste pas le bien fondé, dès lors que cela ne sert pas de procédure dilatoire pour éviter de faire des demandes d'AMM. Les risques dus à la liberté des prix des médicaments en ATU ont été pris en compte dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2007 mais l'article correspondant est d'une telle complexité que l'on est en droit de se demander s'il sera jamais appliqué.

Les prescriptions hors AMM sont plus problématiques car, quoique normalement interdites, elles sont nombreuses. Il faudrait mieux les contrôler. La prescription hors AMM est autorisée à l'hôpital selon des protocoles thérapeutiques définis par l'AFSSAPS, la HAS et l'Institution national du cancer, l'INca. En outre, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a tenté d'encadrer la pratique en ville, qui représente entre 15 et 20 % des prescriptions : elle est permise pour des ALD ou des maladies rares sur la base de recommandations de la HAS. Il faudra veiller à ce que les autorisations dérogatoires soient utilisées uniquement dans l'intérêt médical du patient mais la Cour n'a pas de recul pour porter une appréciation sur la mise en oeuvre de ce texte.

La Cour s'est également intéressée à la formation et à l'information des médecins.

Elle n'a pas procédé à une enquête spécifique sur la formation initiale, d'une part, parce que cela n'est pas de la compétence de la sixième chambre de la Cour et, d'autre part, parce que le Sénat a rédigé un rapport sur le sujet. Ce dernier montre que la place accordée au médicament dans les études médicales est extrêmement réduite et que le ministre de la santé joue un rôle trop limité dans la définition des enseignements.

S'agissant de la formation continue, la Cour n'a pas, comme elle le souhaitait, fait d'investigation particulière car l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) venait de réaliser un rapport. Elle a fait quelques études complémentaires centrées sur les questions du médicament. Il en ressort que la formation médicale continue (FMC) qui se met en place au bout de dix ans, avec beaucoup de difficultés, fait l'objet d'une organisation complexe qui ne permet pas d'éviter les conflits d'intérêts. Elle continue d'être essentiellement financée par l'industrie pharmaceutique, avec laquelle les fonds publics ne pourront jamais rivaliser.

Un code de bonnes pratiques signé entre « Les entreprises du médicament » (LEEM), les comités nationaux de FMC et le ministre de la santé en novembre 2006 a admis le financement par l'industrie, encadré par des procédures d'agrément des organismes de formation, mais elles sont dépourvues de tout caractère contraignant. Les cahiers des charges devront être précisés et il faudra peut-être prévoir des sanctions si les prescriptions de ces derniers ne sont pas respectées. Un suivi devra être organisé de cette procédure engagée depuis déjà longtemps.

L'évaluation des pratiques professionnelles (EPP) prévue par la loi de 2004 est une autre approche qui devrait permettre de progresser sur l'encadrement des pratiques de prescription. Son organisation est très complexe. Alors que ce sont souvent les mêmes organismes qui font de la formation et de l'évaluation, ces deux aspects obéissent à des cahiers des charges et à des procédures parallèles.

Au total, ni le ministère en charge de la santé, ni l'assurance maladie, qui pourtant finance, ni la HAS n'ont les moyens de définir des priorités en matière de FMC ou d'EPP, ce qui empêche d'en faire un moyen d'action sur les prescriptions. Sur les cinq priorités définies pour la FMC en 2006, une seule concerne le médicament : la iatrogénie.

S'agissant de l'information des médecins, la Cour est revenue sur les bases de données de médicament pour regretter qu'il n'existe pas encore une base publique d'accès gratuit, exhaustive, objective, regroupant toutes les données administratives et médicales : AMM, dénomination commune internationale (DCI), SMR, ASMR, taux de remboursement, prix. La Cour a analysé les trois bases existantes, dont deux sont privées et une publique. La base publique Thériaque est la plus proche de l'optimum mais son avenir est menacé par la mésentente avec les partenaires du GIE Système d'information sur les produits de santé (SIPS). La Cour reste convaincue de la nécessité d'une base d'accès gratuite et indépendante.

La principale source d'information des médecins reste la visite médicale dont l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) a démontré l'influence sur le comportement des prescripteurs. La HAS doit, en vertu de la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, certifier la visite médicale afin d'en garantir la conformité à la charte de la visite médicale (VM) signée en décembre 2004 entre le LEEM et le CEPS. La Cour est restée perplexe devant la définition de l'objectif premier de la VM, qui est « d'assurer la promotion des médicaments auprès du corps médical et de contribuer au développement des entreprises du médicament. ». Le souci d'informer sur la qualité et d'éviter le mésusage arrive en second. Il faudra rester vigilant. Le CEPS doit arrêter les classes thérapeutiques pour lesquelles il estime qu'une réduction de la VM est nécessaire et prévoir des sanctions en cas de non-respect. Il est trop tôt pour apprécier l'effet que cela peut avoir.

L'information publique délivrée aux médecins souffre d'une trop grande dispersion entre la HAS et l'AFSSAPS. Les publications de cette dernière sont riches mais trop complexes et d'un accès parfois difficile. Celles de la CNAMTS sont plus synthétiques et claires : lettres aux médecins et aux pharmaciens, supports mémo. L'assurance maladie a également développé des entretiens confraternels et les visites des délégués à l'assurance maladie, les DAM, qui ont bien démarré et devront s'amplifier.

Les outils d'aide à la prescription doivent être certifiés par la HAS. Le processus est en cours de mise en forme. Le problème est la base de données sur le médicament à laquelle les organismes certificateurs devront adhérer.

L'assurance maladie, de son côté, développe une analyse des prescriptions des médecins mais celle-ci est limitée par la méconnaissance, en dehors des ALD, des pathologies. Elle inclut également des objectifs de maîtrise médicalisée sur des postes prioritaires : antibiotiques, statines, anxiolytiques, génériques, IPP, inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (IEC), Sartans. La Cour montre que le bilan est en demi-teinte, surtout si on retire des économies réalisées ce qui ne relève pas de la modification des comportements mais de la politique de baisse des prix, y compris les progrès des génériques – qui sont souvent le fait des pharmaciens – ou de déremboursement. L'impact financier de la baisse des volumes est toujours nettement inférieur aux objectifs.

Enfin, les accords de bon usage des soins, les fameux AcBUS, sur lesquels était fondé beaucoup d'espoir, ont eu un impact modeste, puisqu'il n'y en a qu'un qui a été appliqué, mais il l'a été avec succès : le test de dépistage rapide de l'angine. L'usage des antiagrégants plaquettaires a été retardé.

La Cour s'est également penchée sur les actions sur les comportements des patients.

L'information grand public sur le médicament est insuffisante, malgré les efforts déployés par la CNAMTS, la Mutualité sociale agricole (MSA), l'AFSSAPS et la HAS, qui ont des sites internet. La CNAMTS a conduit une seule campagne de communication sur les antibiotiques, qui a eu beaucoup de succès. De manière générale, l'information produite est éparpillée et peu lisible.

Là encore, une place importante est laissée à l'information privée, qui dépend de l'industrie. Les programmes d'aide à l'observance ou d'accompagnement des patients, développés pas les laboratoires, devront être strictement encadrés. Ils sont actuellement soumis à la commission de la publicité de l'AFSSAPS, qui en a approuvé huit, qui sont plus des programmes d'éducation du patient. Une annexe d'une recommandation de l'agence européenne – sans portée réglementaire – permet d'intégrer ces programmes dans les plans de gestion des risques. Suite au retrait d'un article du projet qui est devenu la loi du 26 février 2007 habilitant le Gouvernement à encadrer ces programmes par ordonnance, une proposition de loi est en cours d'élaboration. La Cour ne peut qu'insister sur le fait que le besoin d'accompagnement des patients ne doit pas être abandonné à l'industrie.

Concernant les génériques, la Cour a noté leur développement rapide ces dernières années mais n'a pas fait, cette fois-ci, d'étude très approfondie des stratégies de contournement des laboratoires : procédures contentieuses afin de défendre des brevets en justice, tendance à étendre les indications ou à diversifier les présentations pour retarder l'entrée dans le domaine public des médicaments.

La transposition en droit interne d'une directive de 2004, qui a introduit la notion d'AMM globale et une extension de la définition du générique, permettra peut-être de limiter certaines dérives. Cependant la définition de l'AMM globale est actuellement sujette à discussion.

Par ailleurs, le droit actuel ne permet pas de limiter les associations de médicaments, si bien qu'on peut fabriquer un nouveau médicament à partir de deux qui n'avaient pas beaucoup d'intérêt, la combinaison des deux n'en ayant pas davantage.

Les génériqueurs, de leur côté, butent sur la difficulté de connaître la date d'expiration des brevets.

Pour encourager la délivrance des génériques, plusieurs mesures ont été prises : accords conventionnels avec les médecins pour développer la prescription dans le répertoire et en DCI – dénomination commune internationale – ; droit de substitution et accord conventionnel en faveur des pharmaciens.

Auprès des patients, la Caisse primaire d'assurance maladie de Paris a initié un refus de tiers payant en cas de refus de la substitution. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a permis d'étendre cette mesure par convention à tous les assurés, y compris à ceux bénéficiant de la couverture maladie universelle (CMU). Elle n'est pas encore généralisée. Début 2007, seuls seize départements l'ont mise en oeuvre.

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