Je vous remercie, monsieur le Président, de vos paroles de bienvenue. C'est toujours avec grand plaisir que je réponds aux invitations de votre Commission.
La loi organique a organisé les débats budgétaires du printemps en deux temps, celui du contrôle de l'exécution et celui de la définition des orientations à donner à la prochaine loi de finances initiale et à la loi de finances rectificative. La LOLF prévoit que la Cour transmet au Parlement chaque printemps trois rapports : l'acte de certification des comptes de l'État, le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire, tous deux à l'appui du projet de loi de règlement, le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, à la veille du débat d'orientation budgétaire, que nous présenterons à la commission des Finances dans les derniers jours de juin.
Je n'avais pas pu m'exprimer devant vous l'année dernière à cette date, du fait des élections, et je suis heureux de pouvoir aujourd'hui vous faire part directement des principales conclusions des deux premiers rapports que je viens d'évoquer.
S'agissant du rapport sur les comptes, je rappelle qu'il s'agit seulement du deuxième compte général de l'État établi selon les nouvelles normes comptables. Même si des progrès ont été réalisés, il faudra du temps avant de parvenir à un résultat pleinement exploitable.
Au 1erjanvier 2007, les retraitements effectués au bilan au 31 décembre 2006 ont diminué l'actif de 9 milliards et accru le passif de 29,5 milliards. C'est dire si le travail de mise au point fut considérable.
Le résultat comptable de l'exercice s'établit cette année à moins 41,4 milliards d'euros contre moins 31,6 milliards en 2006, soit une dégradation de près de 10 milliards, qui aurait pu être encore plus importante si l'État n'avait pas enregistré un produit exceptionnel lié à l'opération de règlement de ses dettes vis-à-vis de la sécurité sociale pour 5 milliards d'euros. Je reviendrai sur ce point qui pose une difficulté en comptabilité budgétaire.
La dégradation du résultat provient d'une augmentation importante des charges, qu'il s'agisse des charges de personnel (+5,3 milliards) ou des charges financières nettes des produits financiers (+13 milliards). La reprise des dettes du Service annexe d'amortissement de la dette (SAAD) de la SNCF ne suffit pas à tout expliquer.
Du côté des produits, les produits de fonctionnement diminuent de 4 milliards, essentiellement en raison de la baisse des produits de cession de participation. Les charges de fonctionnement nettes des produits de même nature augmentent de 6,5 %, ce qui contraste avec l'apparente maîtrise des dépenses qui ressort des données de comptabilité budgétaire. Pour ce qui est des produits régaliens, l'impôt sur le revenu baisse de 4 milliards.
S'agissant du bilan, l'actif s'établit fin 2007 à 555 milliards, soit une progression de 21 milliards, largement liée aux immobilisations (comme les routes, les constructions), fortement réévaluées par rapport à l'année dernière. Le passif a augmenté plus vite, passant de 1 127 à 1 211 milliards. Cette évolution ne renvoie pas seulement à l'alourdissement de la dette « financière », de plus de 51 milliards. Elle s'explique aussi par une hausse de 16 milliards des dettes non financières, c'est-à-dire des dettes certaines que l'État devra régler au plus vite, et par une hausse de près de 12 milliards des provisions pour risques et charges dont une part importante risque de se transformer en dettes non financières.
La situation nette de l'État, c'est-à-dire la différence entre l'actif et le passif, s'établit donc fin 2007 à moins 656 milliards, ce qui est plus défavorable que l'an dernier de 63 milliards. Cela ne veut pas dire que l'État soit en faillite mais que les comptes deviennent plus précis et que l'État ne peut se contenter de vendre ses actifs pour payer ses dettes.
La nouvelle comptabilité, qui se précise peu à peu, nous apporte de nombreuses informations nouvelles et utiles.
Il pourra ainsi vous être utile de savoir, pour la préparation de la loi de programmation militaire, que le ministère de la Défense ne sait pas valoriser certains de ses actifs, comme le Charles de Gaulle et qu'il valorise ses navires de surface à la tonne ! Plus généralement, la fiabilisation des évaluations des programmes d'armement en cours, qui représentent 25,7 milliards en 2007, est loin d'être achevée. Des programmes en développement aussi importants que le futur avion de transport A 400 M, les frégates multi-missions, l'hélicoptère Tigre ou le missile nucléaire M 51 ne sont pas encore correctement valorisés dans les comptes.
Autre exemple : le portefeuille de participations financières des entreprises publiques et privées a été revalorisé de 14 milliards mais le taux de rendement de l'ensemble du portefeuille a chuté de 6,3 % en 2006 à 5,2 % en 2007 par rapport à 2006.
Dernier exemple, vous trouverez dans nos travaux la décomposition du poste des dettes non financières, annonciatrices de charges budgétaires qui pèsent sur l'exécution de cette année ou qui pèseront sur les années suivantes. Ainsi les dettes non financières s'élevaient à 109 milliards à fin 2007. Sur ce total, si on exclut les 40 milliards d'acomptes d'impôt sur les sociétés déjà encaissés, 34 milliards sont de vraies dettes fiscales et 26 des charges budgétaires de l'exercice 2008.
L'analyse financière du bilan et du compte de résultat n'en est encore qu'à ses débuts. Elle est appelée à se développer au fur et à mesure que l'on aura progressé sur la trajectoire d'enrichissement du bilan.
C'est là que le certificateur intervient, en se prononçant sur la fiabilité des informations qui composent les États financiers. La certification est la condition préalable à toute exploitation des comptes. En somme, des comptes certifiés, ce sont des comptes utiles, sur lesquels on peut s'appuyer pour tirer des conclusions.
Pour les comptes de l'État, nous avions le choix entre quatre options: nous déclarer dans l'impossibilité de certifier, refuser de certifier, certifier avec réserves ou certifier sans réserve.
L'an dernier, nous avons certifié les comptes avec 13 réserves substantielles, ce qui révélait surtout que tout ne pouvait pas être parfait dès le premier exercice, d'autant moins que l'État n'avait pas bénéficié d'une période de transition et de préparation entre l'entrée en vigueur complète de la LOLF et la première année de certification.
Prenant en compte cette contrainte de calendrier, la Cour a préféré accompagner la réforme plutôt que d'en sanctionner l'inachèvement en refusant de certifier. La Cour n'est pas là pour clouer au pilori, mais pour aider à la décision et accompagner la réforme.
S'agissant à présent des comptes de 2007, notre travail s'est déroulé sur la totalité de l'année.
À l'automne 2007, des missions dites « intermédiaires » ont conduit à envoyer à l'administration une quarantaine de rapports contenant plus de 500 recommandations et points d'attention.
En mars et avril 2008, nous avons mené dans un laps de temps très resserré les « missions finales » qui ont permis d'adresser à l'administration 232 observations d'audit relevant des anomalies, chiffrables ou non, ou mentionnant des limitations, c'est-à-dire des circonstances ne permettant pas à la Cour de recueillir tous les éléments probants pour se prononcer. Beaucoup de ces observations ont été prises en compte par l'administration, ce qui a permis de résoudre plusieurs difficultés majeures.
Ce travail a également conduit à déplacer des masses financières considérables au sein des états financiers. L'administration a ainsi procédé à des ajustements (des corrections d'écritures) pour un montant, en valeur absolue, de près de 15 milliards sur le compte de résultat et de plus de 22 milliards sur le bilan. Il faudrait y ajouter les reclassements d'un compte à l'autre qui avoisinent 26 milliards pour le compte de résultat et 5 milliards pour le bilan.
Un certain nombre de désaccords, d'incertitudes et de limitations à l'étendue des vérifications de la Cour demeuraient néanmoins à la clôture des comptes, aussi a-t-elle décidé de certifier les comptes de 2007 sous 12 réserves dont 9 à caractère substantiel.
En premier lieu, des progrès notables ont été accomplis par l'administration en 2007, qui ont notamment conduit à la levée de 3 des 13 réserves substantielles formulées l'année précédente. Ce score n'est pas mauvais, vu la difficulté des sujets et leur ampleur.
L'une de ces réserves substantielles concernait la comptabilisation des contrats d'échange de taux d'intérêt pour la gestion de la dette de l'État. Sur ce point, l'administration avait, il y a un an, une position différente de la nôtre. Elle a accepté d'évoluer et c'est très positif.
Une deuxième réserve visait la comptabilisation du réseau routier national, dont les enjeux financiers dépassent les 110 milliards d'euros. Le ministère du développement et de l'aménagement durable et l'ancienne direction générale de la comptabilité publique - désormais la direction générale des finances publiques – sont parvenus à dissiper la majeure partie des incertitudes qui pesaient sur la valorisation de cet actif de l'État. La levée d'une réserve d'une telle importance n'a pu être acquise qu'au prix d'une mobilisation intense de l'administration, qui a su travailler en étroite collaboration avec la Cour. Cette collaboration fut exemplaire.
Une troisième réserve portait sur les comptes des pouvoirs publics, qui n'étaient pas intégrés dans le compte général de l'État. Il était loin d'être acquis que cette réserve puisse être levée au terme de l'exercice 2007, ce fut pourtant le cas. Vous n'êtes pas étrangers aux progrès significatifs de l'Assemblée. Le Président de la République s'est, pour sa part, engagé à soumettre à la Cour à partir de l'exercice 2008 l'examen de la gestion des comptes de l'Élysée, en vue notamment de les intégrer au compte général de l'État. Je m'en réjouis.
Reste que la position de la Cour sur les comptes de l'exercice 2007 est assortie de 12 réserves.
Neuf d'entre elles sont à nouveau qualifiées de « substantielles ». Si elles sont pour partie les héritières des réserves substantielles émises l'année dernière, chacune est nourrie de constats nouveaux.
Trois réserves nouvelles, qui portent sur les comptes de trésorerie, les provisions pour risques et diverses procédures d'inventaire, ne sont pas qualifiées de substantielles, mais restent importantes. Il est parfaitement logique que de nouveaux problèmes soient soulevés. C'est la conséquence normale d'un deuxième exercice, au terme duquel les vérifications se sont affinées et étendues. Vous trouverez dans l'acte de certification les détails afférents à chacune de ces réserves.
Les deux premières sont transversales et communes à l'ensemble des ministères. La première porte sur les systèmes d'information financière et comptable de l'État, qui ne sont pas encore adaptés à la nouvelle comptabilité et sont sources d'erreur. Leurs caractéristiques permettent difficilement à la Cour de s'assurer de l'effectivité des contrôles mis en oeuvre. La deuxième concerne le contrôle et l'audit internes qui ne sont pas encore suffisamment efficaces et développés pour limiter les risques d'erreur dans les comptes.
Les autres réserves sont spécifiques à certains domaines d'audit. Certaines portent sur le bilan de l'État, d'autres sur le compte de résultat. Cette diversité reflète l'étendue des vérifications que nous avons menées.
Permettez-moi, pour terminer ce chapitre, de faire quelques commentaires sur le sens de la décision de la Cour sur les comptes de 2007.
Nous avons pris acte des progrès importants accomplis en 2007, même s'ils sont parfois trop lents. L'administration doit continuer à se mobiliser au plus haut niveau, comme elle l'a fait jusqu'à présent, et accélérer lorsque c'est nécessaire.
La certification n'est pas seulement l'affaire de la Cour et de Bercy. J'en veux pour preuve les réunions de travail et auditions, tout à fait essentielles, que la Cour organise avec les secrétaires généraux et les directeurs des affaires financières de tous les ministères. Nos contacts sont donc constants.
Certaines des réserves formulées par la Cour touchent à des problèmes d'une ampleur telle qu'il faudra du temps avant de parvenir à les lever – je pense notamment aux systèmes d'information. En revanche, il pourrait être remédié rapidement à bien d'autres insuffisances. A l'avenir, si l'effort se relâchait, si les engagements n'étaient pas tenus, la Cour ne se sentirait pas prisonnière de sa position actuelle.
J'en viens maintenant au deuxième rapport, qui porte sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État pour 2007.
S'agissant tout d'abord de la question centrale du déficit budgétaire, le Gouvernement a présenté, il y a quelques semaines, le solde budgétaire de l'État, mettant l'accent sur l'amélioration du solde en exécution par rapport au solde prévu en loi de finances initiale.
Cette présentation n'est pas suffisante. On peut aussi comparer le solde en exécution de 2007 au solde en exécution de 2006, c'est à dire 34,7 milliards d'euros pour 2007 et 39 milliards pour 2006. A première vue, on constate une amélioration de 4,3 milliards, alors que le déficit de l'ensemble des administrations publiques au sens du Traité de Maastricht s'est dégradé, passant de 2,4 à 2,7 % du PIB.
Aurions-nous un État plutôt vertueux, face à d'autres collectivités publiques, administrations sociales ou collectivités locales, qui le seraient moins ? C'est une question à laquelle on n'échappe pas. Notre réponse est claire : un tel tableau serait trompeur.
Il convient en effet de préciser les termes de la comparaison : les 39 milliards de déficit de l'État en 2006 comprenaient 3,3 milliards provenant d'une régularisation des dépenses des pensions. Pendant des années, les pensions de décembre ont été imputées sur l'exercice suivant, ce qui était anormal. En 2006, l'État a intégré dans ses comptes un 13ème mois de pension. Sans cette régularisation, le déficit 2006 aurait été de 35,7 milliards et l'amélioration en 2007 seulement d'un milliard.
On pourrait aller plus loin et soustraire du résultat de 2007 les recettes exceptionnelles tirées de la cession de 3,7 milliards d'euros de titres EDF. Le Gouvernement nous y invite d'ailleurs en communiquant sur deux chiffres de déficit : 34,7 milliards en comptant les recettes exceptionnelles tirées de la vente des titres EDF et 38,4 sans. Si on compare ces 38,4 milliards de déficit en 2007 aux 35,7 milliards pour 2006, on constate non plus une amélioration mais une dégradation de 2,7 milliards.
Par ailleurs, comme chaque année, une série d'opérations de gestion vise à limiter le déficit budgétaire de l'État en fin d'année. Il s'agit d'abord de reports de charges sur 2008 : la dette non financière de l'État exigible à la fin 2007 s'élevait ainsi à 7,5 milliards.
Nous avons relevé ensuite un certain nombre de débudgétisations. Le Crédit Foncier a ainsi financé, à la place de l'État qui ne disposait pas des crédits suffisants, les primes dues aux banques lors de la clôture par les ménages des plans d'épargne logement. Cette débudgétisation représente environ 600 millions d'euros et pèsera sur les exercices à venir.
La Cour critique également le montage financier auquel il a été recouru pour régler une partie des dettes de l'État envers la sécurité sociale. En terme de « comptabilité budgétaire », l'opération pose problème. Le règlement de cette dette aurait dû être inscrit au budget, ce qui aurait majoré d'autant les dépenses et conduit à une aggravation de 5 milliards du déficit. Mais le règlement a été traité indirectement. L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale – ACOSS – a émis des billets de trésorerie pour 5 milliards. La Caisse de la dette publique, qui est un établissement public, les a souscrits puis a abandonné la créance qu'elle détenait ainsi sur l'ACOSS. Celle-ci a alors annulé la dette de l'État à son égard et l'État s'en est trouvé allégé sans rien avoir décaissé. Le projet de loi de règlement qui vous est soumis ne porte donc aucune trace de cette opération financière pourtant majeure.
La dette envers le régime général, que cette opération visait à solder, s'est reconstituée fin 2007 à hauteur de 2,5 milliards, ce qui traduit au minimum une sous-budgétisation manifeste des crédits ouverts pour l'exercice 2007. Nous ne savons pas comment le Gouvernement entend la régler, mais il conviendrait que ce ne soit pas selon les mêmes modalités que cette année.
Si l'on réintégrait ces deux débudgétisations dans le solde budgétaire, le déficit s'élèverait alors à 44 milliards.
Le déficit budgétaire a également été limité grâce à la mobilisation de recettes exceptionnelles bien au-delà des évaluations de la loi de finances initiale, qu'il s'agisse de la cession de 45 millions de titres EDF, ou de versements exceptionnels de la COFACE, d'Autoroutes de France ou EDF. Il n'y a là en principe rien d'irrégulier et l'habitude a été prise depuis des années d'utiliser les recettes non fiscales à des fins contra cycliques, c'est-à-dire d'en mobiliser davantage quand la situation des recouvrements d'impôts n'est pas satisfaisante et réciproquement. Or, en l'espèce, des recettes non fiscales supplémentaires ont été mobilisées pour boucler le budget, alors même que la conjoncture économique était bonne et, qu'en conséquence, la progression spontanée des recettes fiscales n'était pas mauvaise. Je reviendrai sur ce paradoxe.
Ces opérations montrent bien les limites de la signification du solde budgétaire si l'on ne prend que lui en considération. On voit là tout l'intérêt de la réforme comptable et de la mise en place pour l'État d'une comptabilité générale.
Le résultat patrimonial en comptabilité générale est passé de - 31,6 en 2006 à - 41,4 milliards en 2007, soit une dégradation de 9,8 milliards. L'amélioration de la situation budgétaire n'est qu'apparente. En réalité les principaux équilibres se sont dégradés.
Bien entendu, les opérations destinées à limiter ces charges ont également une incidence sur le respect de la norme d'augmentation des dépenses, fixée pour 2007 à 0,8 % en euros courants. Le Gouvernement souligne que cette norme d'évolution a bien été respectée. Mais ce résultat doit beaucoup aux opérations traitées de façon extra-budgétaire et aux reports de charges sur 2008.
Par ailleurs, le champ de cette norme est très partiel puisqu'il ne couvre que la moitié environ des dépenses de l'État. Nous recommandons depuis plusieurs années que ce périmètre soit élargi à certains prélèvements sur recettes, à des dépenses financées par des ressources affectées, aux remboursements et dégrèvements d'impôts quand ils sont assimilables à des dépenses et aux dépenses effectuées sur certains « comptes spéciaux » c'est-à-dire hors du budget général. Une partie de ces demandes a été prise en compte en 2008 mais il conviendrait de poursuivre ce mouvement en 2009.
En outre, il n'existe toujours pas de cadrage des dépenses fiscales dont la croissance explique pourtant en partie les difficultés budgétaires de l'État. La Cour souhaite qu'une règle de discipline spécifique leur soit appliquée. Alors qu'elles peuvent aujourd'hui être créées dans n'importe quelle loi, le mieux serait qu'elles relèvent des seules lois de finances ou lois de financement, ce qui permettrait déjà de mieux les recenser et de mieux les maîtriser. A défaut, il faudrait prévoir une norme spécifique et limiter leur durée de vie, ce qui obligerait à un vote pour leur reconduction éventuelle. Bien entendu, toute dépense fiscale nouvelle devrait donner lieu à évaluation. Nous travaillons en étroite liaison avec le ministère du Budget sur tous ces points essentiels au bon pilotage des finances de l'État.
Les dépenses de personnel ont représenté, en 2007, 118 milliards, soit 43 % du total des dépenses de l'État. Le plafond global d'emplois était certes en réduction en loi de finances initiale de près de 68 000 équivalents temps pleins travaillés – ETPT – mais cela représente une réduction de moins de 3 % sur 2,270 millions ETPT. Encore l'essentiel de cette réduction résultait-elle de transferts d'emplois aux collectivités locales. La loi de finances initiale pour 2008 prévoit une nouvelle réduction de plus de 80 000 ETPT, dont deux tiers résultent également de transferts en direction des collectivités locales.
Côté recettes, la situation est également problématique. Les recettes fiscales nettes diminuent légèrement de 0,5 % pour la deuxième année consécutive et stagnent d'une manière générale depuis 2004, ce qui est inédit.
Pourtant, la croissance de notre pays a permis un accroissement spontané des recettes fiscales. En 2007, la croissance a généré 16,4 milliards supplémentaires par rapport à 2006, qui ont néanmoins été intégralement annulés par des baisses d'impôts et des transferts vers les entreprises et une partie des citoyens. Ces chiffres reflètent des décisions du précédent Gouvernement, notamment celles portant sur l'impôt sur le revenu qui impactent le budget avec un an de décalage.
Nous sommes donc, en définitive, face à un « effet de ciseau » avec des recettes fiscales nettes qui stagnent et des dépenses, au sens large du terme, qui restent dynamiques.
Quant à la gestion budgétaire de l'État, nos constats diffèrent peu de ceux des années précédentes.
Certains postes sont toujours sous-budgétés, notamment celui destiné à rembourser les dettes de l'État auprès du régime général de la sécurité sociale. Il s'ensuit l'ouverture en cours d'année, par décrets d'avance, de nouveaux crédits, dans des conditions souvent peu respectueuses des règles budgétaires, et des reports de charges sur l'exercice suivant. Ces sous-budgétisations compromettent donc aussi bien l'exactitude de la programmation budgétaire que son exécution.
Il est par ailleurs regrettable que l'une des innovations de la LOLF soit restée lettre morte : l'établissement du budget en autorisations d'engagements, censées donner une perspective pluriannuelle, et en crédits de paiement valables pour l'année. En réalité les autorisations d'engagement ne sont pas vraiment prévues et des engagements sont pris sans que des autorisations d'engagement n'aient été ouvertes.
De façon générale, nous souhaitons que soit établi un référentiel budgétaire, à l'image de celui défini pour la comptabilité générale. Il permettrait de fixer les règles de gestion et de comptabilisation des autorisations d'engagement et de préciser certaines articulations, aujourd'hui peu satisfaisantes, notamment entre opérations budgétaires et opérations de trésorerie.
La notion de budget nous paraît dangereusement s'effriter : la disparition des chapitres et articles et leur remplacement par les missions et programmes s'est accompagnée d'une moindre précision du suivi budgétaire, d'autant que les opérations destinées à limiter le déficit conduisent à des résultats analogues. On ne peut évidemment se satisfaire de cette dégradation de l'information budgétaire là où la LOLF souhaitait plus de transparence. Il est donc nécessaire de mettre rapidement à niveau les systèmes d'information pour bénéficier de tous les avantages de la nouvelle nomenclature sans perdre la précision et la fiabilité de l'information nécessaires au suivi de la loi de finances.
Le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire aborde enfin ce qui était l'une des ambitions majeures de la LOLF : mettre en place une gestion budgétaire fondée sur des objectifs et des indicateurs de performance avec une responsabilisation des gestionnaires sur les résultats obtenus.
Nous avons examiné les 34 missions du budget général, ainsi que les budgets annexes et les principaux comptes spéciaux. Nous avons aussi conduit une analyse plus approfondie de 14 programmes choisis en fonction de leur poids budgétaire ou de leur exemplarité. Vous pourrez vous reporter aux développements sur les secteurs qui vous intéressent particulièrement.
En quelques années l'administration française aura fait une véritable révolution copernicienne : se soucier des objectifs, des performances et non plus seulement des moyens. Néanmoins, il reste du chemin à parcourir pour que toutes les potentialités de la LOLF se concrétisent, en termes de liberté de gestion des responsables administratifs, de réforme des structures administratives ou de véritable passage d'une logique de moyens à une logique de performance.
On dénombre 132 programmes, un nombre encore trop élevé qui explique que beaucoup de gestionnaires ne disposent pas d'une masse critique suffisante pour mener à bien leur mission et faire jouer les mécanismes de fongibilité des crédits. La Cour souhaite que les programmes les plus modestes soient supprimés ou regroupés avec d'autres pour améliorer la cohérence de certaines politiques publiques.
Des progrès substantiels restent à réaliser dans la comptabilité d'analyse des coûts. On ne peut mesurer correctement la performance d'une action que par rapport à son coût. Or cette comptabilité est très lacunaire, voire inexistante.
Le contrôle de gestion et de mesure de la performance doit également être amélioré. Certes, le nombre d'objectifs et d'indicateurs, respectivement 750 et 1200, pourrait laisser penser que le dispositif est en place. Cependant, cet arsenal impressionnant présente de nombreuses insuffisances. Dans de nombreux secteurs, les indicateurs sont trop nombreux, partiellement renseignés et souvent non sécurisés. Globalement, la lecture des indicateurs ne permet pas d'apprécier l'amélioration des performances des administrations. De surcroît, les délais actuels de fabrication des rapports annuels de performance sont trop longs pour qu'ils soient utilisés dans le dialogue budgétaire avec le ministère du budget. Ainsi, il est à craindre que le mécanisme de la LOLF n'embraie pas sur la réalité des processus budgétaires.
En résumé, l'État est encore largement dans la phase de mise en place des outils et des méthodes. Beaucoup de potentialités de la LOLF n'ont pas encore pris corps. Nous ne sommes qu'au milieu du gué. Il ne faut surtout pas relâcher les efforts sous peine d'en perdre tout le bénéfice.
J'espère que ces éléments seront utiles à vos travaux. C'est en tout cas dans cette perspective que nous avons travaillé.
Nous sommes bien entendu à votre disposition pour répondre à vos questions.