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Intervention de Patrick Poirret

Réunion du 12 mai 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Patrick Poirret, procureur adjoint au tribunal de Bobigny :

Mme Ronai et moi-même travaillons beaucoup ensemble, y compris dans le cadre de la formation continue des magistrats, des policiers et des gendarmes. J'ai participé à la Direction des affaires criminelles, à la préparation du premier guide de bonne pratique sur les violences faites aux femmes. Il est donc normal que, de retour en juridiction en 2004, je me sois efforcé d'appliquer ce que j'avais écrit dans mes fonctions antérieures, ce qui explique la modification de la politique pénale entre la précédente direction du Parquet et l'actuelle.

Frappé par le nombre d'homicides commis par des conjoints ou d'anciens conjoints, dans le département – 24 de 2005 à 2008 –, l'Observatoire a étudié ces dossiers criminels. Son objectif était de réfléchir à ce qu'il serait possible de faire pour protéger les femmes en très grand danger. Plutôt que des bouleversements législatifs, nous voulons vous proposer des mesures opérationnelles.

Lorsque Mme Dati est venue prononcer son premier discours de politique pénale au tribunal de Bobigny, j'avais déjà émis l'idée de créer une ordonnance de placement sous protection. Il s'agit de répondre à la nécessité de protection et d'assurer l'effectivité des droits attachés à ce placement. Actuellement en effet, la protection des femmes est assez disparate : il y a la protection judiciaire, par des barrières juridiques qui ne servent souvent à rien, la protection de l'État, celle des collectivités territoriales, celle des associations…

Notre idée d'une ordonnance de placement sous protection vise d'abord à répondre à l'urgence, en cas de danger avéré. Prenant acte qu'un juge délégué aux victimes – le JUDEVI – a été créé, nous proposons qu'il lui revienne, après un débat contradictoire, de décider de mettre sous protection une femme en très grand danger et de prendre diverses décisions intéressant à la fois sa protection physique et son soutien matériel, économique et médico-social. Ces mesures provisoires pourraient concerner l'attribution du logement familial, la détermination du régime de garde, de visite et de séjour des enfants, le régime des pensions, la protection des mineurs exposés, la protection des données personnelles, la mesure d'éviction et l'interdiction de paraître en certains lieux ou d'entrer en communication avec la victime, l'utilisation d'outils techniques appropriés à la protection, l'organisation éventuelle de la communication des enfants avec leur père grâce à une mesure d'accompagnement protégé.

La femme en très grand danger se verrait ainsi reconnaître le statut de victime. Elle pourrait exhiber cette décision devant toute autorité, aussi bien devant le juge des enfants ou le juge aux affaires familiales qu'auprès de son bailleur ou des services de santé. Cette ordonnance lui ouvrirait le droit à « une protection interministérielle », c'est-à-dire lui donnerait un accès privilégié aux prestations, au logement, aux soins… sans justification supplémentaire.

Par ailleurs, comme je l'ai déjà souligné, les barrières juridiques qui ont été posées ne servent pas à grand-chose : des hommes qui avaient l'interdiction de rencontrer leur femme ou leur famille ne l'ont pas respectée et ont parfois commis un homicide. Il ne suffit pas de prendre de « bonnes » décisions de justice, il faut veiller à leur application. Prenons l'exemple des dernières modifications législatives, votées à l'unanimité par les députés et les sénateurs, permettant au procureur, en alternative aux poursuites, d'interdire à un mari violent de paraître au domicile familial : comment les parquets peuvent-ils appliquer ces mesures ? Pour vérifier que l'interdiction est respectée, il faudrait que le délégué du procureur soit en contact avec la femme… Si celle-ci est abordée, qui peut-elle appeler ? Le problème est le même dans le cas du sursis avec mise à l'épreuve : la police, qui ne peut pas arrêter immédiatement l'importun, doit faire un rapport au juge d'application des peines, lequel pourra ensuite, après débat, révoquer ce sursis ; il n'y a donc pas de protection immédiate.

C'est pourquoi nous proposons également de pénaliser le non-respect des interdictions, afin de pouvoir arrêter l'importun et le placer en garde à vue. En effet la police ne peut pas exercer de contrainte s'il n'y a pas une présomption de délit.

Ces propositions sont le fruit d'une réflexion entre la police, le conseil général, la déléguée aux droits des femmes et le Parquet. Il ne s'agit pas de tout bouleverser, mais de procéder à des adaptations. Nous proposons que cette ordonnance de protection soit prise par le JUDEVI, mais on peut également imaginer que, dans l'urgence, le juge de la comparution immédiate puisse le faire.

Quelques mots enfin sur la prise en charge des auteurs de violences conjugales.

L'application du rapport Coutanceau suppose des expertises pluridisciplinaires avant le jugement et la réunion d'un collège d'experts après. Ce n'est guère imaginable, à un moment où les frais de justice criminelle sont tels que les tribunaux sont contraints de faire des économies sur tous les postes. Par ailleurs, on a pu constater qu'une grande majorité des auteurs de violences conjugales ne relève pas des soins psychiatriques. Alors que reste-t-il ? Les psychologues, les groupes de responsabilisation, le traitement des addictions. Mais sachez que moi, procureur de la République agissant au nom de l'Etat, si je veux monter en Seine-Saint-Denis les groupes de responsabilisation que me demandent les juges d'application des peines, je suis obligé de chercher des financements auprès des collectivités territoriales ou de mécènes ! Je demande donc qu'on donne à la Justice les moyens d'exécuter les peines.

Les fonds interministériels peuvent aussi servir pour la justice, mais le FIPD n'est pas destiné à financer l'État. Nous pouvons passer par le biais d'associations, mais c'est le préfet qui prend la décision d'accorder ou non le financement. Or la tutelle sur les préfets est exercée par le ministère de l'intérieur, lequel veut en ce moment développer la vidéo-protection : autrement dit, en fonction de divers aléas, moi procureur j'obtiendrai ou je n'obtiendrai pas, chaque année, ce dont j'ai besoin…

Bref, il y a loin entre les idées sur la prise en charge des hommes violents et la réalité. Sur le terrain, nous manquons des financements nécessaires pour assurer l'exécution des peines. Je m'emploie à convaincre tous les acteurs, et notamment les associations de défense des femmes, qu'en traitant les hommes violents condamnés, on prévient la récidive.

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