Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Gilles Carrez

Réunion du 2 juillet 2009 à 10h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, rapporteur général :

J'y reviendrai en abordant les questions techniques. Du fait de la corrélation avec l'ISF, les restitutions augmentent, dans toutes les catégories mais avec une forte concentration. Les plus gros bénéficiaires des restitutions sont essentiellement les contribuables qui se situent dans les tranches supérieures de l'ISF. Cela étant, en l'absence de bouclier, le taux de fiscalisation aurait atteint 115 % pour les 10 plus gros bénéficiaires, 130 % pour les 100 plus gros et 103 % pour les 1 000 plus gros. Compte tenu du poids très lourd de l'ISF, on a clairement besoin d'un système de protection.

Un mécanisme de plafonnement de l'ISF a d'ailleurs été imaginé dès 1988, sous une autre majorité, et il existe toujours. À l'origine, le numérateur, rapporté aux revenus, ne recensait que l'ISF, l'impôt sur le revenu et la CSG, et le plafonnement s'établissait à 70 % en 1989 puis à 85 %. En 1995 a été introduit le dispositif Juppé -Séguin de « plafonnement du plafonnement », qui a provoqué une hémorragie de départs à l'étranger, plus que ne l'avait fait l'instauration de l'ISF.

Naturellement, les extrêmes attirent l'oeil, notamment la situation de ceux qui ont un gros patrimoine et des revenus faibles, ou celles des bénéficiaires des restitutions les plus élevées. Pourtant, il n'y a rien d'aberrant dans ces résultats.

Cela étant, le bouclier comporte des défauts de fabrication. Le principal, qui tenait aux facultés offertes de minorer artificiellement son revenu, a été corrigé, mais il demeure des imperfections. Ainsi, les revenus sont retenus au dénominateur nets de CSG déduite, alors que toute la CSG figure au numérateur. Est-ce logique ? Je ne le pense pas.

Ensuite, le traitement des dividendes diffère selon que le contribuable a opté pour le prélèvement libératoire ou pour le barème. Dans ce dernier cas, les dividendes bénéficient d'un abattement de 40 %, si bien qu'ils n'entrent au dénominateur qu'à hauteur de 60 % de ce qu'ils sont réellement. Une telle distorsion ne se justifie pas et devrait être rectifiée dès l'automne. Se pose également un problème d'arbitrage entre les salaires et les dividendes pour les contribuables éligibles au bouclier.

La suppression de l'abattement de 20 % sur les salaires, en contrepartie d'un allégement des taux d'imposition sur le revenu, a pour conséquence que, pour un revenu identique, le dénominateur est désormais plus élevé : les revenus salariaux y figurent non plus pour 80 % mais en totalité. Les salaires y perdent l'équivalent de ce que leur fait simultanément gagner le passage du seuil de déclenchement du bouclier de 60 % à 50 %. Tel n'est pas le cas pour les autres revenus.

L'assurance-vie pose de son côté un problème redoutable car elle est l'outil le plus efficace d'optimisation fiscale du patrimoine. Il faut distinguer les contrats en unités de compte, pour lesquels les revenus sont réputés réalisés quand ils sont définitivement acquis, c'est-à-dire au dénouement, et les contrats libellés en euros, dont les revenus sont acquis dès leur inscription en compte et font l'objet de prélèvements sociaux payables chaque année. Mais si vous arrivez à qualifier vos contrats en unités de compte, alors qu'ils sont en réalité en euros, ils bénéficient indûment d'un traitement plus avantageux. Le problème ayant été identifié, une instruction fiscale a été publiée en vertu de laquelle, si un contrat multisupports est investi pendant plus de six mois et à plus de 80 % en euros, il ne peut être considéré comme un contrat en unités de compte. Mais un recours a été introduit qui a une bonne chance d'aboutir… Ce traitement fiscal est en outre incohérent avec les modalités de prise en compte des prélèvements sociaux au numérateur.

En ce qui concerne les plus-values, il va falloir bouger dès l'automne. Une réforme des plus-values immobilières a eu lieu il y a plusieurs années, supprimant les plus-values réalisées sur les cessions d'immeubles détenus depuis plus de quinze ans, sachant que, traditionnellement, la résidence principale est exonérée. J'avais attiré l'attention sur le traitement social de ces revenus. La fiscalité sociale a en effet disparu également, au motif que les plus-values n'étant plus imposées, elles ne seraient plus connues. Mais il n'est pas acceptable d'exonérer toutes les plus-values de prélèvements sociaux. De même, les plus-values mobilières bénéficient d'une exonération totale, à la fois fiscale et sociale, tant que les transactions restent inférieures à un montant de 25 000 euros par an. Il faut là aussi réintroduire une fiscalité sociale. Du coup, dans le cadre du bouclier, les plus-values échappent à toute prise en compte, alors que les autres revenus fiscalement exonérés figurent au dénominateur. Cette distorsion n'est pas justifiée.

Il faut travailler, comme le préconise le Conseil des prélèvements obligatoires, à instaurer, dans un souci d'équité et d'efficacité économique, une fiscalité équilibrée entre les différentes sources de revenu : travail, patrimoine et revenus du patrimoine. Ces derniers ne doivent pas être totalement exonérés. Nous avons introduit une exonération de plus-values mobilières au-delà de 8 ans. Les détenteurs d'un très gros patrimoine, qui peuvent attendre, risquent d'être tentés de différer et de fractionner leurs cessions, de façon à ne plus payer d'impôt du tout. On le voit : le bouclier fiscal met en lumière tous les problèmes que soulève notre fiscalité. Il joue comme un révélateur.

Par ailleurs, l'examen de l'ISF au travers du prisme du bouclier fiscal fait ressortir une tendance à la « fonciarisation » de cet impôt, laquelle ne permet pas aux assujettis les plus nombreux de bénéficier de la correction apportée par le bouclier. Par exemple, un couple de retraités paiera l'ISF en raison de sa résidence principale mais ses revenus seront trop importants pour qu'il soit protégé par le bouclier. Ce sera aussi le cas d'un ménage d'actifs d'âge moyen avec enfants : bénéficiant du quotient familial, il paiera trop peu d'impôt sur le revenu, cependant que son patrimoine, encore en formation, n'est pas susceptible de lui faire atteindre par le biais de l'ISF le seuil de déclenchement du bouclier. On aperçoit les limites d'un ISF qui reposera de plus en plus sur la résidence principale des classes moyennes supérieures, et d'un bouclier qui ne profitera qu'aux deux extrêmes, c'est-à-dire aux contribuables à très faibles revenus non assujettis à l'ISF et aux très gros patrimoines.

Je rappelle enfin le problème majeur soulevé par Didier Migaud il y a un an : la faculté offerte à un contribuable de minorer le dénominateur en imputant des déficits sur son revenu. Nous avons bloqué cette possibilité en transformant toutes les réductions d'assiette en réductions d'impôt. Sur les revenus de 2006 (impôts de 2007 et restitutions de 2008), rien d'anormal n'a été observé. Cela devrait être aussi le cas pour les revenus 2007, année électorale qui ne facilitait pas la mise en place d'une stratégie fiscale postulant la permanence du bouclier. Il reste les revenus 2008. Ensuite, notre réforme entre en vigueur. Pour l'automne, il faudra réfléchir aux moyens de supprimer la possibilité de prendre en compte les déficits en report, afin d'écluser le passé et de donner satisfaction à notre Président...

Reste la question des BIC et des BNC posée par Mme Grosskost. Mais les contribuables relevant des BIC et des BNC peuvent faire des pertes. Les artisans, commerçants et autres professions libérales savent qu'il existe de mauvaises années. C'est pourquoi on ne peut pas traiter de la même manière les niches fiscales, qui sont un moyen de défiscalisation, et les déficits professionnels normaux qui grèvent le revenu. C'est une question de principe. Or, aujourd'hui, le seul moyen de minorer son revenu est quasimement uniquement l'imputation de déficits professionnels.

La totalité des déficits imputés, y compris les déficits professionnels et les déficits fonciers de droit commun plafonnés à 10 700 euros, ne représente qu'une dépense fiscale de 11 millions d'euros, sur les presque 600 millions de restitutions versées au titre de 2007. Seuls 75 contribuables bénéficiant du bouclier fiscal ont diminué leur revenu global par imputation de déficits fonciers au-delà des 10 700 euros. Ce chiffre est marginal et rassurant. Pour plus de détails, je vous renvoie au rapport.

Je serai plus rapide sur le crédit d'impôt recherche, d'autant qu'il est encore trop tôt pour se prononcer sur son efficacité. Son coût estimé sera en 2009 de deux milliards d'euros de pertes de recettes d'impôt sur les sociétés, soit une augmentation de 45 % par rapport à 2007. Ce chiffre n'apparaît pas énorme, mais les engagements au titre du CIR représentent déjà quatre milliards d'euros au1erjanvier 2009. La croissance rapide de cette dépense fiscale a contribué à l'effondrement des recettes de l'impôt sur les sociétés.

Une analyse de la répartition de cette dépense fiscale révèle que le gain de la réforme du crédit d'impôt recherche sera concentré pour 80 % sur les entreprises de plus de 250 salariés et pour près de 25 % sur celles de plus de 5 000 salariés. Ce résultat n'a rien de surprenant, puisque ce sont elles qui exposent les plus grandes dépenses de R&D. Plus préoccupant : ce sont les secteurs de la finance, de la banque et de l'assurance qui en profitent prioritairement, bien avant l'industrie… À relier au fait que 80 % des dépenses de recherche éligibles sont des dépenses de personnels et de fonctionnement. Ceci étant dit, il faudra attendre les résultats de l'année prochaine pour affiner l'analyse.

Il faut également souligner que les dépenses en R&D, qui représentaient 2,13 % du PIB en 2005, devraient s'élever à 2,26 % du PIB dès 2013. C'est au crédit impôt recherche que nous devons cette progression, certes très lente, mais incontestable.

J'en viens au plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, ou PVA. Nous avons créé ce dispositif afin de responsabiliser les collectivités locales en matière de fixation des taux de la taxe professionnelle, la déliaison des taux (décidée en 2003 malgré l'opposition de Pierre Méhaignerie et la mienne) ayant provoqué une forte progression de ces taux. C'est pourquoi, à partir de 2006, la TP a été plafonnée à 3,5 % de la valeur ajoutée des entreprises. Dans le « ménage à trois » de la TP, unissant un contribuable – les entreprises – un bénéficiaire – les collectivités locales – et l'État qui fait le tampon, c'est à l'État qu'il revenait d'assumer à 100 % l'augmentation de la facture nécessaire pour ramener à 3,5 % de la valeur ajoutée les entreprises taxées au-dessus de ce taux ; mais si l'addition redevenait supérieure à ces 3,5 % en raison d'augmentations de taux votées par les collectivités, le différentiel est depuis 2007 payé par ces dernières : c'est ce qu'on appelle le « ticket modérateur ».

Son montant s'est élevé à 645 millions d'euros en 2007, sa première année d'application, ainsi répartis : 21 pour les communes, 68 millions pour les établissements publics de coopération intercommunale, notamment ceux à taxe professionnelle unique, 278 pour les départements et 277 pour les régions, collectivités qui ont le plus augmenté leur taux de taxe professionnelle. Ce montant atteint 765 millions d'euros en 2008.

Le taux de référence du PVA est celui de 2004 majoré du taux moyen d'augmentation en 2005 dans les communes, les EPCI, les départements et les régions. Dès lors qu'une collectivité a augmenté son taux en 2006 dans des proportions supérieures, la TP ne générait aucune recette supplémentaire s'agissant des entreprises dont la TP était déjà plafonnée.

S'agissant de la réforme à venir de la TP, ceci montre bien qu'on ne peut pas proposer aux entreprises (comme le souhaite notre Commission) un découplage de l'assiette actuelle de la taxe professionnelle en deux impositions distinctes, d'une part un impôt assis sur les valeurs locatives foncières des propriétés bâties des entreprises, et d'autre part un impôt assis sur la valeur ajoutée, si les entreprises ne reçoivent pas la garantie de ne pas voir déraper le taux du foncier. Or, à côté d'une contribution à la valeur ajoutée dont le taux serait fixé au niveau national (il devrait l'être à 1,5 %), les collectivités auront la liberté de déterminer le taux de la partie de l'impôt assis sur le foncier.

Notre Commission préconise donc de revenir pour la partie foncière de la taxe professionnelle à une liaison stricte avec le taux de la taxe d'habitation (ou la moyenne de celle-ci et de la taxe foncière) afin de protéger les collectivités contre un dérapage des taux. En la matière en effet, on doit bien reconnaître que le ticket modérateur, qui était la grande idée de Bercy, n'a pas eu l'effet dissuasif escompté. Bercy, quant à lui, juge la liaison des taux insuffisamment efficace. Mais, pour connaître assez bien les contraintes des collectivités locales, je ne pense pas qu'on puisse cumuler les deux options, et la liaison des taux me semble infiniment plus efficace que le ticket modérateur.

Le taux de la contribution à la valeur ajoutée, nouvelle fiscalité locale des entreprises, sera national, et son produit sera réparti entre les régions et les départements, si une entreprise a des établissements dans plusieurs de ces collectivités, selon des critères physiques – effectifs, surface d'implantation, etc.– pour garder un lien avec le territoire. La compensation qui se fera à l'euro près, mais devra tenir compte du ticket modérateur. Ainsi un département, qui avait théoriquement 100, si son ticket modérateur est de 10, sera en réalité compensé sur 90. Ce sera une disparition de fait du ticket modérateur.

Cette réforme touche également à la question des dotations de l'État aux collectivités locales. La répartition de la dotation globale de fonctionnement, qui s'élève à quelque 40 milliards d'euros, est établie à partir du potentiel fiscal, dont l'essentiel est constitué par la taxe professionnelle. Or celle-ci est déterminée par les bases du département, multipliées par un taux moyen : si le taux effectif diffère de cette moyenne, le différentiel joue sur la répartition de la DGF. Le taux national de la nouvelle TP bouleversera donc cette répartition. C'est pourquoi nous proposons de repousser l'entrée en application de cette réforme à 2011 pour les collectivités locales, après que des simulations auront été menées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion